ExpoGustave Courbet: le chantre du réalisme

Expo / Gustave Courbet: le chantre du réalisme
„Les Casseurs de pierre“ (1849)

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Peindre la réalité des choses, l’un des principes du XIXe siècle, en littérature comme en peinture, répondait à une transformation radicale de la société, notamment par son industrialisation et la mise à bas dans les arts de la hiérarchie des valeurs. On se demande aujourd’hui, à un moment de bascule éventuelle de nos modes de vie, moment qui semble rejoindre les fictions cinématographiques et littéraires, de quelles images et installations les arts plastiques se saisiront.

Gustave Courbet (1819-1877) a été l’un des principaux chefs de file du réalisme. Peintre et sculpteur français, il a été en son temps un peintre de la transgression par les sujets et les personnages représentés, ainsi que par sa technique. Il n’hésite pas à représenter des personnages de dos, à mettre au premier plan des figures anonymes, celles du peuple.

A cette époque, littérature et peinture font bon ménage, Courbet s’est lié d’amitié avec nombre d’écrivains. Mais avec Baudelaire cette amitié a été orageuse, car Baudelaire, depuis une esthétique antérieure, plus proche de l’univers de Delacroix, désirait l’imaginaire au service de la création. Dans son „Portrait de Charles Baudelaire“ (vers 1847), Courbet opère une rupture avec le portrait traditionnel. Baudelaire est représenté avec ses outils de travail, une plume, un livre, son bureau. Plongé dans sa lecture, il ne regarde pas le spectateur, ignore le peintre.

Le portrait est incomplètement défini dans ses traits, le profil de Baudelaire est à peine esquissé mais reconnaissable. Deux taches de lumières éclairent le front et la main est parfaitement dessinée, non pas en utilisant le trait mais le cerne. Il existe plusieurs points de vue, nous voyons par en dessus le personnage, tandis que nous percevons la table par-dessous, ce qui est complètement novateur. Il faudra attendre Manet, les impressionnistes, Cézanne, pour avoir cette multiplication des points de vue. Autre point novateur, Courbet insiste autant sur la nature morte qui compose une partie du tableau que sur le personnage, elles comptent tout autant. Le peintre travaille également les parts d’ombre et de lumière. Il a une grande connaissance des maîtres anciens flamands, comme Rubens, Van Dick.

Montrer est déjà prendre parti

Courbet renouvelle son audace avec „Les Casseurs de pierre“ (1849) en représentant le travail, non plus dans une vision idyllique mais en soulignant l’effort. Il s’agit là d’un sujet inédit. Il peint deux personnages monumentaux cernés d’un trait épais qui les ancre dans le sol, comme dans un combat contre la matière, l’un de profil et l’autre nous tournant le dos, tout à leur besogne. Ce réalisme quasi humanitaire montre combien leur tâche les asservit. Précisons que le jeune homme est debout, tandis que l’homme plus âgé est à genoux. Courbet a expliqué son choix par une rencontre sur le chemin de ces casseurs de pierres. Les visages sur la toile sont invisibles, ce qui renforce l’abstraction, l’anonymat des personnages.

L’art de Courbet n’est pas un art sentimental. Et dans cette toile, au contraire d’autres peintres qui auraient laissé espérer une échappée vers le paysage, ici il n’y a pas de ciel, et les personnages, leurs vêtements, sont de la même couleur que la terre, leurs gestes sont justes. De cette abstraction surgit la notion de peuple, de labeur, et pourquoi pas d’une certaine revendication. Car montrer est déjà prendre parti. Ce réalisme humanitaire constitue à l’époque une forme de provocation, il répond chez Courbet à un désir de rompre avec la Monarchie de Juillet.

Courbet souhaite représenter tous les sujets sans les tirer vers l’anecdote, comme pour une peinture officielle. Il ne recherche aucun sentimentalisme, il ne vise aucune émotion, c’est un constat simple. Il en va de même avec „Un Enterrement à Ornans“ (1849-1850), qui a provoqué au Salon de peinture de 1850 un véritable scandale. Courbet supprime l’émotion facile au profit du réalisme. Il s’agit d’une scène contemporaine banale, d’un enterrement dans son village natal.

Le tableau, par ses dimensions monumentales, rivalise avec des peintres d’histoire comme Delacroix, Vernet, Ingres. Or il ne s’agit ni d’un tableau d’histoire, ni d’un tableau religieux. La composition est pourtant tout aussi noble, avec des personnages en frise. Courbet a pris pour modèles les gens de son village, chacun avec ses vêtements. Et Courbet de dire, „s’il n’était pas beau, je ne pouvais pas le faire beau“.

Or c’est ce qu’on a reproché à Courbet, de représenter des gens vulgaires, des trognes de paysans, comme on lui a reproché de ne montrer aucune émotion. Pourtant Courbet traite ces personnages avec un respect infini, par la technique, celle de la frise, et par des rappels à la grande peinture espagnole, en usant de monochromes sombres.

Ce qui scandalise aussi, c’est qu’on ne sait pas qui on enterre, la fosse est sans ornement, et un chien représenté au premier plan anéantit aux yeux de certains toute dignité. En outre, au premier plan, est également représenté un homme en costume ancien, dans des couleurs ignorées du reste du tableau, un révolutionnaire des années 1793-1795, une façon pour Courbet d’afficher ses idées.

Courbet est un réaliste. Il a su transgresser la censure avec une technique de virtuose. Témoin de son temps, il a retracé son époque tout en suivant l’évolution politique. Il est l’un des derniers grands maîtres à s’être inspiré de la Renaissance et de l’art ancien. Son appropriation du monde s’est faite sans vulgarité et avec une acuité extrême.

En 1870, Courbet refuse la Légion d’Honneur. Selon lui, „l’Etat est incompétent en matière d’art“. Il s’exilera en 1873 pour la Suisse. Là encore, on voit combien l’art est salvateur, le catalyseur de tensions, une façon certes parfois de sublimer, mais aussi, dans le cas de Courbet, de nous ramener à la réalité des êtres et des choses. A notre époque, là où des séries s’emparent des sujets du monde de façon réaliste et documentée, parions que les temps que nous traversons seront marqués à l’aune de la création.