Fuir la solitude

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C’est avec des coups de hache abattant les cerisiers que s’achevait „La Cerisaie“ de Tchekhov. C’est avec des coups de hache donnés par Petouchok pour ouvrir la maison qu’il vient d’hériter que commence „Le Cerceau“ de Victor Slavkine, auteur dramatique moderne, originaire de Moscou./ Marc Weinachter

Si Tchekhov pointe la révolution à l’horizon et la fait peser sur ses personnages, les caractères de Slavkine ayant derrière eux révolution et guerre, sont en train de vivre et de ressentir le lent déchirement de la société soviétique. Belle atmosphérique mise en scène de Laurent Gutmann du Centre dramatique de Thionville, qui, avec les protagonistes de la pièce, fait pénétrer le spectateur dans l’obscurité profonde d’un garage délaissé, rongé de moisissures.
C’est ici que Petouchok, ingénieur quadragénaire, fait débarquer de sa Niva cinq amis et connaissances, invités à la fête de son anniversaire. S’installent ainsi dans sa datcha, léguée par sa grand-mère: un fidèle collègue de travail, une ancienne maîtresse un peu à la dérive, une pimpante jeune fille de rencontre, un ingénieux et opportuniste capitonneur de portes et un farfelu touriste suédois de passage.

A l’allure dandy

A ce groupe varié et plutôt bon enfant se joindra plus tard un vieil homme, à l’allure dandy, ancien amant de la grand-mère décédée. Joyeux d’avoir échappé au stress et à la contrainte de la grande ville et de respirer maintenant l’air de la campagne, plusieurs ont hâte de se précipiter aussitôt vers la forêt tout proche. Ce qui nous vaudra une ruée rocambolesque des comédiens vers la salle prenant d’assaut les premières rangées.
Petouchok, le personnage clef, judicieusement doté par Eric Petitjean d’une crispante nervosité intérieure, risquant à tout moment d’éclater, se sent fondamentalement mal dans sa peau. Plus très jeune et se lassant peu à peu de son travail, il envisage l’avenir avec scepticisme et angoisse. D’autant plus qu’il se sent seul et isolé, comme lâché par son environnement social; dans ces années 1980 l’ancienne fraternité et solidarité communiste allant en s’émiettant, chacun court pour soi visant un meilleur profit et une meilleure vie. Le passé partagé semble jeté aux orties, seuls comptent un présent à prendre et un nouvel avenir à construire, d’où doute généralisé sur le rôle de l’homme et de la société.
Ainsi moralement secoué et malmené, Petouchok, littéralement sous le choc et pétant les plombs, tâchera dans une ultime tentative de rassembler autour de lui dans sa datcha un groupe d’amis, partageant les mêmes idées et craintes, et décidant de vivre dorénavant en communauté. Mais bien vite, lors du dîner festif, les différences de caractère et de point de vue font face et s’opposent pour culbuter finalement le projet collectif. L’idéalisme théorique contré par la réalité crue, au grand désespoir de Petouchok. Reste le seul moyen de passer le temps en bonne convivialité: discuter de l’assassinat du tsar Paul Ier, lire d’anciennes lettres d’amour, s’amuser des clowneries du copain suédois, se remémorer la période faste de Sébastopol ou tout simplement jouer au cerceau.
Invité dans l’intimité du groupe attablé en un huis clos de véranda, le public aura cependant peine à suivre et capter les dialogues et monologues, l’assemblage vitré s’avérant plutôt hermétique à la parole.

L’intérêt décroche

Cette dernière malencontreusement mise en sourdine, le courant ne passe plus bien entre scène et salle, où involontairement l’attention baisse et l’intérêt décroche. A partir de là, le déroulement bien lancé du premier acte prend du plomb dans l’aile pour faire un long surplace dans un vase clos mal conçu. Visiblement, également mal à l’aise, les comédiens achemineront, non sans peine, la pièce vers sa fin, moment vite abandonné par l’ensemble sans même saluer les vaillants spectateurs clairsemés.
Une pièce après tout intéressante, parce que révélatrice d’un rongeant malaise politique et social dans l’ancienne Union soviétique, mais qui, pour ne pas rater son effet, aurait dû être portée par une plus grande flexibilité et conviction des acteurs, au jeu souvent statique, artificiel et emprunté.