Festival de Cannes„Drive My Car“ de Ryusuke Hamaguchi

Festival de Cannes / „Drive My Car“ de Ryusuke Hamaguchi
„Drive My Car“ est probablement l’un des meilleurs films de l’année

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En adaptant une nouvelle de Haruki Murakami, Ryusuke Hamaguchi signe le meilleur film d’une compétition officielle souvent forte quoique parfois décevante sur les grands noms. Ce film calme et émouvant sur le deuil et l’amour mériterait amplement la Palme d’or – ce serait là la troisième d’affilée pour un film asiatique.

„Drive My Car“ se passe, comme son titre l’indique d’ores et déjà, pour une bonne partie de ses trois heures, dans l’habitacle d’une vieille Saab rouge, dont son propriétaire, Yusuke (Nishijima) prend un soin extrême. Au début, le film s’évertue à dépeindre l’intimité d’un couple d’artistes. Yusuke est acteur et metteur en scène, elle écrit des scénarios pour des séries télévisuelles. Après la mort de leur enfant à l’âge de quatre ans, le couple est aliéné par le deuil mais trouve le salut dans des rituels d’amour touchants, qui s’appuient sur leur passion commune pour l’écriture et le théâtre – la femme de Yusuke tisse le scénario de ses histoires après avoir fait l’amour avec son mari et lui donne la réplique sur des cassettes qu’elle enregistre, permettant à Yusuke de mémoriser ses lignes de dialogue pendant qu’il conduit. Lors de sa première partie, „Drive My Car“ dépeint explicitement mais sans voyeurisme le quotidien et l’intimité de ce couple, qui prend fin avec la mort brutale de la femme de Yusuke.

Après la disparition brutale de son épouse, tout ce qui lui reste, ce sont ses souvenirs, une énigme relative à la fidélité de son épouse et la cassette, qu’il écoutera en boucle en conduisant, la voix de sa femme émanant comme de sa voiture dans ce qui constitue l’une des plus belles et touchantes trouvailles d’un film qui en regorge. Yusuke sera ensuite engagé pour la mise en scène d’un „Oncle Vanya“ qu’il ne sait plus incarner lui-même à force de l’associer avec sa vie et la mort de son épouse à Hiroshima, où il bénéficiera d’une résidence.

Depuis qu’un artiste imprudent a été impliqué dans un accident de voiture, on rechigne à laisser Yusuke conduire sa voiture: c’est donc la taciturne Misaki (Toko Miura) qui conduira la bagnole avec une délicatesse et une méticulosité qui reflètent la réalisation de Hamaguchi. Entre Misaki et Yusuke se tissera une amitié poignante, faite de peu de mots, sur fond du texte de Tchekhov récité par une voix fantôme qui baigne l’habitacle sans la moindre morbidité, sur fond des décors saisissants qu’ils traversent, sur fond aussi des autres relations qui se noueront avec un jeune et impétueux acteur ou encore une actrice muette, qui s’exprimera par signes.

Sans trop vous en dire – car le film, malgré la lenteur de son rythme et la liberté de sa narration, réserve son lot de rebondissements et de surprises –, les revirements de l’intrigue se déroulent avec souplesse et calme, le film prenant tout son temps – le générique s’affiche au bout d’une intro de 45 minutes. Et c’est très bien comme cela, car il faut de l’espace pour que se déploient les émotions qui gisent au plus profond des personnages et qui viennent lentement percer la surface – et il faut du temps au spectateur pour saisir toute l’incroyable maîtrise et la majesté de ce chef-d’œuvre qu’on aimerait, au bout de ces trois heures, revoir tout de suite. Car tout, dans ce film, est d’une beauté à vous couper le souffle – des relations qui se tissent entre les personnages au jeu des acteurs en passant par les différents plans, la perfection de sa réalisation et les réflexions sur le lien entre création artistique et vie privée. C’est simple: avec „Drive My Car“, Hamaguchi vient de sortir ce qui sera probablement l’un des films de l’année. Si le jury, qui annoncera son palmarès aujourd’hui, en venait à le bouder, il commettrait là un faux-pas inadmissible.

„Drive My Car“, de Ryusuke Hamaguchi, en compétition officielle, 4,5/5