Cinéma / „Chanson douce“ est un film dont on sort profondément troublé
En adaptant le roman de Leïla Slimani, Goncourt 2016, Lucie Borleteau offre à Karin Viard une nouvelle gamme d’interprétation et à son public, une réflexion profondément troublante sur le système dans lequel nous mettons au monde et élevons nos enfants.
En 2016, Leïla Slimani remportait le Prix Goncourt avec son roman „Chanson douce“, qui s’inspirait de deux faits divers ayant eu lieu aux États-Unis: le meurtre par une nounou des deux enfants dont elle était responsable et la maltraitance d’un nourrisson par sa baby-sitter. Des sujets particulièrement difficiles, qui auraient de quoi rebuter le spectateur à passer deux heures en salles. Mais Lucie Borleteau („Un beau soleil intérieur“, „Numéro une“ …) et ses co-scénaristes Jérémie Elkaïm et Maïwenn sont parvenus à composer un récit profond, d’une psychologie fine, complète, à la fois juste et inattendue. Car le parti pris des auteurs et de la réalisatrice est véritablement de nous interroger sur le système qui a permis à une telle monstruosité de se produire, sans porter de jugement définitif ou tranché, sans désigner non plus de coupable unique.
Au cœur de leur réflexion, et tout au long du film, se trouve la thématique du rôle de la femme – qu’elle soit mère ou nounou. Myriam (Leïla Bekthi) est une jeune maman qui aime ses enfants, mais ne supporte plus de voir sa vie résumée aux couches de son dernier né. D’un commun accord (et même si son mari Paul semble tout d’abord un brin réticent) le couple de jeunes parents décident d’embaucher une nourrice. Après plusieurs entrevues, ils tombent sur la perle rare: une femme expérimentée, calme, dont les enfants tombent aussitôt amoureux; une femme droite et bien mise qui annonce d’entrée son entière disponibilité.
La condition de la femme
Louise est une bénédiction pour Myriam et Paul: sa présence leur permet de s’adonner à leurs métiers terriblement chronophages et exigeants et de rester flexibles face à des emplois du temps parfaitement imprévisibles. Mais rapidement, Myriam évoque sa „double peine“: elle ne voit plus ses enfants et sa pile de travail ne semble jamais diminuer. La mère de Paul (parfaite Noëlle Renaude) met alors les pieds dans le plat, comme à son habitude, en interrogeant les parents sur leurs choix: pourquoi avoir mis des enfants au monde si c’est pour les laisser aux mains d’une étrangère?
Avec „Chanson douce“, Borleteau pose une série de questions profondément troublantes quant à la condition de la femme et dresse plusieurs portraits de destins féminins – de la mauvaise mère à la femme qui vend ses services et son corps pour s’acheter une vie à l’Occident, en passant par la jeune maman incapable de se détacher de son bébé ou à la carriériste absentéiste …
Un malaise profond et grandissant
Le destin attendu des petites filles va jusqu’à faire l’objet des comptines que Louise chantent à Mila: dans leurs paroles est évoquée la mission sur Terre du deuxième sexe, qui consiste à trouver un mari et à procréer. Louise, quant à elle, semble avoir décidé de mener sa vie autrement que selon ce chemin tout tracé: elle ne veut plus d’homme dans sa vie, refuse de s’occuper d’autrui. Les enfants des autres sont la seule exception. Mais que se passera-t-il lorsqu’ils auront grandi?
Karin Viard est magistrale dans ce rôle et ce nouveau registre, qui lui permettent d’exprimer une palette d’émotions et de niveaux d’interprétation encore inexplorés, nouvelle preuve de la finesse de son jeu et de son grand talent. Quant aux auteurs, ils ont su développer un langage visuel extrêmement fort et marquant pour mettre en place un malaise profond qui va grandissant, jusqu’à basculer dans l’horreur.
Ombre et lumière, angoisse et merveilleux
Le film est une sorte de conte visuel qui se meut entre ombre et lumière, angoisse et merveilleux – à l’image du récit que Louise raconte aux enfants pour les endormir: l’histoire de la princesse souillée dont on ne voyait plus que les yeux. Et tandis que Louise parle, les images de la veilleuse pour enfants tournoient sur le mur, déformées par la projection de la lumière – une mise en abyme de la nature-même de ce film, avec sa caméra légèrement mouvante qui semble effleurer tendrement les personnages, sa lumière chaleureuse et gaie, ses intérieurs harmonieux, sa gamme de couleurs parfaitement assortie au rouge à lèvres impeccable de Louise … tandis que grandissent la menace et l’horreur, comme une ombre s’approchant d’un parc d’enfants.
Un film par lequel on se laisse emporter, dont on sort profondément troublé; un film politique, engagé et maîtrisé, qui confirme le talent de ses interprètes et auteurs.
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