Nouveau roman / „Brèves de solitude“: Sylvie Germain s’inspire du confinement
Recto verso: Dans son nouveau roman „Brèves de solitude“, Sylvie Germain met en scène des personnages dans un square et leur basculement dans le confinement. Dans ses récits, tout le monde observe tout le monde.
Tageblatt: La pandémie était-elle une urgence, un support, voire une aubaine pour l’écriture de „Brèves de solitude“?
Sylvie Germain: Je ne retiens aucun des mots. Il me semblait insensé d’écrire sur ce qui se passait d’autant qu’il n’y a pas de recul. J’ai plutôt écrit sur le fait de la surprise, brutale, d’être enfermés, ce que personne ne pouvait imaginer. Et bien si, on a été comme les Chinois claquemurés chez nous pendant deux mois. Du coup, je disposais d’un temps dont je ne bénéficie jamais de la sorte. C’était une occasion de se mettre à écrire. Mais quand je commence l’écriture d’un roman, je n’ai pas d’idée précise sur ce vers quoi je vais. Avant le premier confinement, j’avais écrit trois pages autour de Serge, un citadin de 70 ans dans un square qui amène des gâteaux à sa vieille maman dans un Ehpad (maison de retraite médicalisée). J’étais déjà très sensible au thème du grand âge. Paf. Le confinement arrive. L’intrusion était tellement énorme, presque incontournable. Du coup, le hasard faisait, que cette fois-ci, j’imagine que Serge ne pourra pas rentrer dans la maison de retraite. En France, déjà une semaine avant le confinement général, les visites dans les centres médicaux étaient interdites. Les gens entendaient des rumeurs mais ne se rendaient pas trop compte. Sauf que quelques jours après, ils sont tous confinés. Voilà pourquoi, la première partie du livre se passe dans un square. Tout le monde observe tout le monde. On regarde les gens, on les évalue, on les jauge et on les juge, sans finesse. Ils se trompent tous les uns sur les autres. Finalement, on se trompe aussi souvent sur soi-même. Le confinement a été le cadre de mon inspiration et qui a dévié mon projet initial. Ce deuxième confinement ne m’inspire absolument rien, que de la colère et du ras-le-bol. En revanche, je sens qu’il y a d’autres choses qui se mettent en mouvement mais qui n’ont rien à voir avec ce confinement et ce virus. Bientôt il y aura des livres, des études sur ce sujet.
La crise sanitaire révèle une solitude qui existait déjà. Accentue-t-elle cet état?
Oui, pour beaucoup de personnes. Le deuxième confinement a donné lieu à une lassitude, on appelait de moins en moins les proches. Une grande partie des personnages du roman sont seuls, veufs, séparés … comme tellement de gens le sont dans nos villes parce qu’il n’y a plus de compagnonnage autour d’eux. Evidemment, le confinement a précipité leur solitude. Car impossible pour eux de sortir, de papoter, de partager un repas au restaurant, d’aller au cinéma avec un ami … Les petits plaisirs du quotidien ont été fracassés. Au lieu d’être seuls seulement le soir, c’était du matin au soir, sans plus d’échange, sans plus tous ces petits je ne sais quoi qui sont des agréments au cours d’une journée un peu vide. Là, il n’y avait plus rien.
Le confinement nous a plongés dans une crise que nous ne comprenons pas. Vous évoquez la „Bête“, une vision plutôt noire de l’être humain?
Un des personnages, Xavier, rêve de devenir écrivain mais qui se rendra compte qu’il n’en a pas les capacités. Il s’amuse. Il veut faire un pastiche de l’Apocalypse et la Bête. Comme il est assez technophobe, pour lui la Bête, c’est la société marchande, technologique. Finalement, les humains ont toujours fonctionné comme ça en disant la Bête, c’est le pouvoir royal, les communistes, le noir pour le blanc, le blanc pour le noir, c’est le juif et l’obsession de l’antisémitisme … La Bête c’est toujours l’autre. C’est la véhémence, la bêtise humaine, tout ce qui nous déshumanise en fait. Si on tombe sous son charme, la haine va surgir. Je pense qu’il y a de la violence, de la crapulerie, de la cruauté au fin fond de chacun d’entre nous. Le mieux c’est de s’en rendre compte. Comme n’importe qui d’autre, comme on a du sang dans les veines, on porte en soi une capacité de bonté mais aussi des remous bizarres de choses très archaïques de violence, de véhémence, de cruauté hélas souvent liée à la sexualité. Si on s’en rend compte, on peut peut-être mettre à distance, réfléchir, faire quelque chose avec ça.
Pourtant, il n’y a pas de scènes de violence dans votre roman.
Elle est suggérée dans le chapitre avec Xavier qui se remémore cette scène qui l’a traumatisé: le suicide d’un de ses élèves qui était persécuté à école et par les réseaux sociaux, surtout. Quand il s’aperçoit qu’on a piraté son compte, qu’on a dévoilé ses secrets et qu’on le tourne à ce point-là en dérision, cela lui est insoutenable. Je n’ai pas développé des théories sur le sujet. J’ai procédé par petites touches. L’extrême violence à l’égard des femmes ou parfois d’enfants par les prostitutions forcées, je l’ai évoquée à travers le personnage d’Yllka. Si elle en est là cette femme c’est qu’elle a subi parmi les pires violences qui soient. J’ai voulu tenir la violence à distance. Les bas-fonds de l’ignominie ont été atteints au temps de la Shoah. On avait dit plus jamais à ça, ce n’est pas vrai. Il y a eu des tas d’atrocités commises au Rwanda et dans d’autres pays d’Afrique, en ex-Yougoslavie. Il y a eu Daesch et il y en aura d’autres. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, aussi souillée soit l’eau du bain. Tout peut être dévié. Une performance de technologie, c’est extraordinaire mais c’est neutre. Tout dépend de l’usage que vous en faites. Ce que nous a proposé Internet, j’y vois, avec un émerveillement, constant une bibliothèque universelle. Dis-moi qui tu hantes sur Internet, je te dirai qui tu es. Ceux qui passent leur temps à regarder du porno salace et violent, ils se déstructurent de l’intérieur. Certains ne peuvent que se repaître des horreurs. La pédopornographie est d’un accès très, trop facile et tout ce qui est de l’ordre du porno, c’est souvent les plus grandes visites qui soient sur Internet. L’humanité elle n’est pas toujours flambante.
Les personnages cherchent une consolation, notamment auprès de Dieu, thème récurrent dans vos romans …
Le mot consolation est un très beau mot. On la cherche auprès des chiens, des oiseaux qui me sont chers même si je n’ai jamais eu d’animal à moi. Dieu est souvent en creux, en sous-main. Il peut y avoir des allusions, mais ne voient ces allusions que ceux et celles qui peuvent, veulent les voir ou les sentir. Le voile de Véronique, à peine mentionné dans le roman, cela ne dit plus rien à quelqu’un qui est indifférent. Le rapport avec Dieu fait partie de ma personne, de ma culture avec le temps, de ma sensibilité. Donc, fatalement, quand j’écris et que je laisse advenir des choses que je n’ai pas préparées, cela va être nourri par certaines lectures. Je sens bien mon intérêt pour la pensée d’Emmanuel Levinas sur le thème du visage, aussi ce questionnement et aussi l’émerveillement face aux Evangiles. Mais rien n’est dit tel quel. Les détournements faits de „Dieu“ par certains fanatiques imposent des relances du questionnement. La réflexion reste ouverte.
Qu’est-ce qui vous a consolé pendant le confinement?
Je n’avais pas besoin de consolation parce que je n’étais pas éprouvée. Au contraire, j’ai été tout de suite consciente du privilège que j’avais. Du fait de mon âge, de ne pas avoir cet immense souci de parents dans un Ehpad. Je n’avais pas non plus le souci de jeunes parents avec des enfants en bas âge ou des adolescents enfermés et, eux, devant travailler à distance. En général, dans le couple, c’est l’homme qui devient d’un coup violent parce qu’il est en frustration. Il y a eu une recrudescence de violences conjugales et de brutalité contre les enfants. L’horreur totale, ce sont tous ceux qui ont tout perdu, les restaurateurs, les artistes de spectacles vivants interdits de travail. Cela fait un an que ça dure, c’est insensé. J’ai parlé de quelque chose qui m’est plus intime qu’est la solitude. Laquelle? Comment on la vit, est-elle imposée ou pas?
Tous les personnages ont un prénom sauf le migrant. A lui tout seul, il représente toute la misère du monde?
Un petit peu oui. Je pouvais chercher un Erythréen, lui donner un prénom, lui inventer une histoire ou retrouver des témoignages. J’ai senti que cela serait à la limite malhonnête de faire de la littérature sur des témoignages de drames atroces. Simplement, les regards glissent sur ce migrant qui n’a plus rien. Ils ne sont pas tous mauvais et méchants mais ils sont à côté de la plaque. Lui, je ne lui donne pas de nom, je ne me penche pas sur son histoire, son intériorité. Je le laisse dans la visibilité absolue. L’excès de visibilité qu’il a le rend socialement invisible. On ne veut pas le voir. Pour la police, il risque d’être très visible. C’est ce qui arrive à la vieille dame: tout d’un coup, humainement, elle le voit. Elle est hantée par ça. Quelque chose est cassé en elle, ses principes, ses préjugés …
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