Entretien„Beaucoup de femmes de militaires me remercient“

Entretien / „Beaucoup de femmes de militaires me remercient“
Louis Garrel dans „Mon légionnaire“ Photo: Chevaldeuxtrois

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Dans le court-métrage „Pour toi, je ferai bataille“ (2010), le jeune personnage d’Ana s’engageait dans l’armée pour trouver une discipline qui l’aide à structurer sa vie. La réalisatrice strasbourgeoise a elle aussi fait l’armée très jeune et est réserviste depuis. Une expérience qui imprègne sans nul doute son nouveau long métrage „Mon légionnaire“ sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs dans lequel Louis Garrel joue un homme engagé dans la Légion étrangère et Camille Cottin, son épouse, aux prises avec l’angoisse de l’attente …

Tageblatt: Pourquoi avoir choisi le sujet de la Légion étrangère?

Rachel Lang: Les officiers sont tous français alors que les légionnaires et leurs épouses ne sont que des étrangers, venus du monde entier. C’est encore plus dur quand on vient d’ailleurs. Quand l’homme est parti, la femme attend, seule, sans sa famille quelque part en France. J’ai choisi la Corse parce que cela me semblait très romanesque, un peu comme Pénélope et Ulysse sur une île. L’absence de mixité – les hommes d’un côté, les femmes de l’autre –, m’a intéressée. J’avais vraiment à cœur de rendre hommage à ces familles. Ecrire un drame m’a pesé. Cela m’a apporté beaucoup de tristesse, mais aussi, après coup, beaucoup de bonheur. Lors d’avant-premières au cinéma, beaucoup de femmes de militaires dans la salle me remercient d’avoir donné à voir, mis en lumière leur quotidien que les gens ignorent et qu’il est très difficile à partager.

La Légion étrangère attire-t-elle les jeunes? Pour quel combat?

Les légionnaires viennent de 150 pays et ils se battent pour un drapeau qui n’est pas le leur. Au final, ils se battent plus pour leurs camarades. Ils se créent une famille très forte, ils recommencent une vie à zéro. N’importe qui, sauf crime de sang, peut s’engager à la Légion étrangère. C’est un nouveau départ. C’est juste une page blanche. C’est se dépasser, aller loin. La Légion compte 10% des postulants, elle a le choix.

Vous êtes toujours réserviste à l’armée régulière française. Pourquoi cet engagement?

A la base, pour un job d’été, je suivais une formation militaire rémunérée et je cherchais de l’argent. Sportive, je me retrouvais par hasard là-dedans. J’étais en fac de philo, je rencontrais des milieux très différents, la force de la cohésion du groupe, la mixité sociale. Le fait d’aller tous ensemble d’un lieu à un autre, que l’individu soit noyé dans le groupe, je trouvais cette expérience hyper intéressante. Maintenant, j’y suis toujours. Quand on fait du cinéma, on a un impact dans le réel qui est très faible. Au mieux, je fais un film tous les quatre ans. Le reste du temps, je suis seule dans l’écriture. Je n’ai pas d’impact sur la société. Cet engagement me permet de servir. De 2015 à 2020, j’étais chef de section responsable de 40 réservistes à Thionville. Je suis partie au Mali. Ce n’est pas obligatoire, il faut être volontaire quoiqu’il en soit. On doit faire 30 jours par an minimum à l’armée et on fait toutes sortes de missions. Ce n’est pas un métier, c’est un engagement citoyen. Je ne renoncerai pas parce que je rencontre des gens très différents. Je me sens utile à mon niveau. C’est un acte de citoyenneté.

„Mon légionnaire“ fait écho à l’opération militaire Barkhane menée notamment au Mali par l’armée française.

On parle peu ce qui se passe au Mali sauf quand il y a un mort. On parle surtout des hommes et moins des familles. J’ai eu à cœur de montrer ce qui pousse ces hommes à s’engager et la base arrière de ces femmes qui attendent. J’avais envie de rendre hommage à cet engagement et à ces couples qui sont abîmés par la guerre. Cette guerre dont on parle peu, qui se passe loin de chez nous et qui, pourtant, est l’endroit où le djihadisme ne rentre pas trop en Europe et c’est là-bas qu’on intervient en ce moment. Ce n’est pas tellement questionner ce que la France fait là-bas, c’est plus montrer ces hommes, ces engagements. Quelle que soit la raison pour laquelle ils partent, ils sont déconnectés. Il faut que le Mali ait un État fort pour contrer le djihadisme. L’intervention des armées constitue un des outils, mais pas le seul. Il faut que tous les autres moyens soient mis en place pour être efficace. Pour le moment, cela ne l’est pas.

Vous filmez deux couples aux parcours très différents.

Le couple Maxime (Louis Garrel) et Céline (Camille Cottin) est français. Ils ont une vie en commun, ils ont un enfant. Ils ont fait des études supérieures. Céline est avocate, elle ne veut pas renoncer à ses ambitions. Vlad (Aleksandr Kuznetsov) est légionnaire et Ukrainien. Il n’a pas demandé à sa compagne Nika (Ina Marija Bartaité) de le rejoindre (1). Elle lui a désobéi. Ils forment un couple beaucoup plus jeune qui a moins les armes que le premier. Les deux couples appartiennent à des classes sociales différentes.

Le retour du terrain est difficile. Comment retrouver sa place dans la vie parisienne?

On ne comprend rien, on ne sait pas grand-chose, on ne sait pas trop ce qu’ils font. Quand on revient c’est un peu difficile. Les amis critiquent le départ de Maxime, par exemple. La place vide qu’il a laissée est vite remplie: sa femme s’occupe de tout, elle garde la maison, les enfants … Comme il n’y a plus de service militaire obligatoire, il n’y a plus de lien avec la nation, la porosité n’existe plus entre ces milieux. Du coup, il y a une ignorance et il y a une erreur d’appréciation. Le militaire est soumis au pouvoir civil, il obéit au président la République, c’est le principe de la démocratie. C’est un fonctionnaire.

Vous avez choisi Louis Garrel et Camille Cottin, pourquoi?

Louis a dû faire beaucoup de musculations. Aidé par un coach légionnaire et un coach sportif, il a fait trois semaines de formation militaire dans le sud de la France, encadré par des anciens légionnaires. Louis ne correspondait pas du tout au personnage. Mon producteur m’a poussée à le rencontrer. Il a fait une lecture du scénario qui s’est avérée excellente. J’ai pris le risque qu’il fasse le job physique de s’engager alors que rien ne le rattachait à cet univers. Il a fait le boulot. S’agissant de Camille Cottin, il fallait quelqu’un qui tienne tête au personnage de Maxime. Qu’elle ait le charisme, la force et en même temps l’humour pour ne pas que le personnage soit plombé et subisse en permanence. Camille a dans l’œil une double tonalité, elle peut avoir beaucoup de joie et une touche de drame à la fois.

A quoi ressemble le quotidien des femmes?

Ne pas savoir si l’homme qu’on aime va rentrer, de voir gérer les angoisses des enfants. Ce sont des combattantes, elles gèrent tout et elles sont peu mises à l’honneur. Le club des femmes, la base arrière sont le vrai sujet du film

Comment vous êtes-vous documentée?

J’ai rencontré beaucoup de légionnaires, qui parlent peu. J’avais un ami, chef dans la Légion étrangère et j’étais amie avec son épouse. J’ai rencontré beaucoup de femmes de façon informelle. Le commandement est un système patriarcal. Quand ils ont appris que j’étais en contact avec des épouses, ils leur ont interdit de me parler. J’avais montré mon scénario, mon projet de film, on avait besoin de matériel … Ils ont tout bloqué. On a loué le matériel à l’armée marocaine.

„Mon légionnaire“ fait penser à Edith Piaf, à Serge Gainsbourg. Le titre de cette chanson se rapporte aux femmes …

Oui, „mon“ se rapporte aux femmes. Dans le film, Nika se fait un tatouage avec ce titre. La hiérarchie chez les hommes se répartit chez les femmes. Maxime, officier, doit être le père de ses hommes. Il aimerait que, pareil, ces femmes d’officiers soient des mères de famille et s’occupent des autres femmes. Or c’est très mal vécu par elles quand c’est un ordre qui vient de l’extérieur. Céline incarne cette réticence. Et cela marche très bien. Il y a une sororité qui se crée quand ça vient de la base.

Vous filmez beaucoup les corps. Le sexe existe-t-il encore?

Dans le film, peu en tout cas. Il faut le temps de se réacclimater, de se retrouver au bon endroit. L’acte sexuel existe pour faire des enfants. Il est utile, fonctionnel et hors champ. Quand on voit le rapport sexuel, il est un peu abrupt. La vie sentimentale des légionnaires n’est pas leur priorité. Ils doivent avant tout trouver leur place dans la société. Il y a un conflit de loyauté puisqu’ils sont très fort engagés dans leur métier et ils laissent à la maison des femmes et des enfants.

(1) La jeune actrice lituanienne est décédée en avril 2021 dans un accident de voiture, à 25 ans. Elle est la fille du réalisateur et acteur lituanien Sharunas Bartas et de Katarina Golubeva, l’une des héroïnes du cinéma indépendant des années 80.

„Mon légionnaire“ de Rachel Lang. Avec: Louis Garrel, Camille Cottin, Aleksandr Kuznetsov, Ina Marija Bartaité. Mention spéciale du jury: Ina Marija Bartaité; Valois du scénario au Festival du film francophone d’Angoulême 2021. Bayard du Meilleur scénario et Prix de la critique au Festival international du film francophone de Namur 2021. En salle.