Freitag14. November 2025

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LuxemburgensiaBas les masques: L’enquête printanière de l’inspecteur Wagner

Luxemburgensia / Bas les masques: L’enquête printanière de l’inspecteur Wagner

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Le tandem Basso/Lunghi remet le couvert, avec un troisième truculent polar qui colle à la saison. L’inspecteur Wagner, dopé à la caféine, mène l’enquête à pied, à travers Luxembourg, entre bars louches, dealers travestis, millionnaire russe cocaïnomane, agent immobilier irascible et pizzas. Au menu, un festival de digressions, un florilège de calembours vaseux et bien sûr, des coups de théâtre.

Avant toute chose, sachez que les masques auxquels se réfère cet opus n’ont rien à voir avec l’actuelle crise sanitaire, ce qui ne les empêche pas d’être des vecteurs de lutte contre la peste cupide et le choléra morose.
C’est clair, les amateurs de gymnastique olympique du verbe, de chiasmes, de néologismes et autres contrepèteries vont être servis. „Vrais masques et autres façades“, le nouvel opus policier (édité chez Phi) commis par Serge Basso de March et Enrico Lunghi, deux forbans biberonnés aux jeux de mots foireux, est un régal du genre.

Les auteurs se gargarisent, ils se délectent de se regarder écrire, c’est même la recette de leur succès – c’était déjà vrai dans les deux opus précédents, „Les Dessous de la Vierge à l’enfant“ (avec sa trame muséale) et „Y’a des fausses notes dans la cinquième“ (avec la Philharmonie comme décor) – mais cette fois, ils frappent encore plus fort. A vous en donner le tournis. Ils noient le lecteur en d’abondantes (et désormais légendaires) notes de bas de page, où ils n’en finissent pas de s’excuser à coups de métaphores improbables et d’élucubrations fumeuses, toutes torchées pour bousiller les repères et faire marrer. Le lecteur en sort essoré mais parfaitement heureux.

Un réel soluble dans le fictif

C’est que ce savoureux verbiage fourbit une intrigue béton. Avec un vrai cadavre – c’est le minimum requis dès lors qu’il s’agit d’un roman policier, en écho aussi au principe d’écriture qui est celui du … „cadavre exquis“. Sauf que le trucidé n’est pas celui que l’on croit, l’assassin non plus, ni son arme – un calibre 9mm factice – ce, en vertu d’un suspense tendu par une enquête rythmée par une course-poursuite, des interrogatoires et autant d’insomnies, ou de pauses-cafés, que de fausses pistes, lesquelles ont toutes des allures de coups de théâtre dus à une intervention extérieure mystérieuse: un appel téléphonique anonyme (c’est d’ailleurs par lui que tout commence) et une lettre envoyée à la rédaction d’un journal, le Lëtzebuerger Rand en l’occurrence, tout aussi anonyme.

On notera d’emblée les détournements de patronymes et d’acronymes, histoire de paraphraser la rituelle formule de précaution qui dit que toute vraisemblance par rapport à des homonymes ou des situations serait fortuite: on croise ainsi Charles Bauer, patron de l’agence immobilière Bauer & Co, Vladimir Bolchoï, millionnaire russophile amateur de belles poupées (vivantes), ennemi juré de Bauer et propriétaire du bar interlope où le crime a été perpétré, Xavier Bretelle, journaliste à Radio Sans Pincettes, Josée En Scène du „Rand“ ou Faux-Cul-Luxe par exemple.

Sinon, bien sûr que l’intervention mystère n’est en rien anonyme, bien sûr que c’est l’intrusion de plume de Basso/Lunghi, nos deux bretteurs lexicaux et syntaxiques: c’est leur nouvelle astuce afin de démêler leurs pieds du fil du tapis et de faire avancer l’enquête ou de lui éviter de s’enliser. Résultat, l’inspecteur Wagner discute pleines pages avec ses géniteurs de papier, il leur reproche leur immixtion. Il se plaint d‘ainsi perdre sa sagacité de fin limier. Et le lecteur d’assister médusé à un combat de chefs, à un réel soluble dans le fictif, et vice versa.

Embrouiller le schmilblick

Dans la foulée, Basso/Lunghi invite également quatre auteurs/regards extérieurs à participer à leur engeance: Anita Gretsch (aka Claire Leydenbach), Nathalie Ronvaux, Jeff Schinker et Tullio Forgiarini sont ainsi sollicités comme un renfort caisse pour, au final, contribuer à embrouiller le schmilblick.

En tout cas, qui dit coups de théâtre, dit … théâtre, le lieu du masque et du faux-semblant, et c’est précisément la toile de fond de ce nouvel opus de 183 pages divisé en quatre actes et six scènes – incluant quatre intermèdes, un entracte et un acte bonus – où gravitent Bolchoï, Bertolt Blech, le truand présumé mais faux coupable avéré – ex-garde du corps de Charles Bauer, Bertolt est surtout l’amant d’Henri Bauer, le fils de Charles (vous suivez?) –, ainsi qu’une actrice, Romy Schneider, que le même Charles tient à séduire mais qui veille secrètement sur les amours cachées de Bertolt et d’Henri. Il y a aussi John Markovich, le copain qu’Henri Bauer déguisa afin d’éconduire son père; un déguisement qui se fit dans le bar malfamé dont le gérant, aussi majordome de Bolchoï (vous suivez toujours?), est le point de départ et de chute de ce vaudeville furieusement capillotracté.

On notera que dans toute cette folle équipée, il n’y a que deux femmes, la susnommée Romy et … Sandra, la jolie compagne de l’inspecteur Wagner, une historienne de l’art aux seins plantureux, enceinte jusqu’aux yeux (en dépit d’une futile parenthèse sur la paresse du chromosome Y, autant que vous le sachiez, ce sera un garçon). De là à suspecter Basso/Lunghi de misogynie, il y a un pas que l’on ne franchira pas …

Cherchez les femmes

En couverture, les auteurs précisent qu’il s’agit d’un „roman noir sans fil rouge“. Que nenni! Hormis l’allusion colorée à Stendhal (la culture, ça s’étale), il y a bien un fil. Et il est plutôt vert, printemps oblige. Les auteurs consacrent d’ailleurs d’entiers passages non dénués d’odeurs, ni de saillies poétiques, à ce protagoniste chlorophylle. Ils soulignent que si le printemps décime l’hiver, au moins, lui, a un alibi.

Le lecteur assidu aura sans doute remarqué que la prose assassine de Basso/Lunghi respecte non seulement un baromètre saisonnier – parfaitement perméable aux variations météorologiques qui impactent l’environnement et l’humeur des personnages – mais aussi un tempo musical. C’est pourquoi les trois enquêteurs empruntent leur nom à des compositeurs célèbres, sauf que l’inspecteur principal, conformément à cette partition en „Quatre saisons“ – par analogie aussi à la pizza quatre fromages dont raffolent Basso/Lunghi, nos auteurs à quatre mains –, s’appelle non pas Vivaldi mais Wagner. Fidèlement escorté par deux adjoints, Verdi et Nunes.

Pour rappel, les trois acolytes cohabitent depuis 2013, à raison d’un roman (environ) tous les trois ans (du coup, on attend l’été pour 2023). Et tout comme ils le font pour la saison, les auteurs fabriquent des arrêts sur images aussi délicieux que précis sur le moindre objet, la petite anecdote, l’habitude, manie ou toquade, autant d’indices révélateurs de la physionomie, du caractère, de la psychologie de leurs protégés, avec Verdi l’adepte des aphorismes bancals, Nunes la force tranquille toujours affamée et Wagner, le fondu de café toujours fâché avec sa montre.

D’ailleurs, l’horaire est un élément complice du récit, toujours réglé comme une horloge suisse, à la seconde près. Mais la singularité du tout tient à la déambulation. L’enquête emprunte un itinéraire millimétré, qui slalome dans un Luxembourg pleinement reconnaissable et en même temps, jamais vu. Tous les quartiers y passent – bas-fonds et immeubles à 12.000 euros le m2 inclus –, assortis d’un descriptif architectural, urbanistique et historique remarquable. Lequel descriptif démasque quelque peu les auteurs qui, chemin faisant, déshabillent une réalité socio-économique très peu portée … à gauche.

En résumé, drôlement plus futé que le guide du même nom, le nouveau pavé Basso/Lunghi est à arpenter d’urgence.

Info

Basso-Lunghi, „Vrais masques et fausses façades. Roman noir sans fil rouge“, éditions Phi.
En vente dans toutes les bonnes librairies (non confinées) ou sur internet: www.phi.lu.