Au secret de l’atelier: Regard sur un espace de création et de mémoire

Au secret de l’atelier: Regard sur un espace de création et de mémoire

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Dans l’intimité de l’atelier, cette exposition met en lumière le processus créatif de Delacroix et de ses pairs ainsi que celui de trois artistes contemporains, en résonance avec l’univers du maître et l’atmosphère du lieu.

De notre correspondante Clotilde Escalle, Paris

 

INFO

Dans l’atelier: La création à l’œuvre

… jusqu’au 30 septembre 2019

Musée national Eugène Delacroix, 6, rue de Fürstenberg, 75006 Paris

www.musee-delacroix.fr

Le Musée Delacroix, rue de Fürstenberg, a été le dernier atelier du peintre Eugène Delacroix (1798-1863). Il s’y est installé en 1857, pour être plus près de l’église Saint-Sulpice et achever le décor qui lui avait été commandé, celui de la chapelle des Saints-Anges.

L’atelier comme espace de création et de mémoire, tel est le thème principal de la visite. L’atelier comme sujet de représentation et d’étude, témoignage des réunions entre artistes et personnalités, sans oublier les modèles.*

Ces représentations, par un certain académisme, ont valeur de témoignage, car aucun détail ne sera négligé. Delacroix est une figure majeure de l’art et son atelier, de son vivant, suscitait déjà la curiosité. Frédéric Bazille et Claude Monet s’y sont installés, deux ans après sa mort. „L’atelier de la rue Furstenberg“ (1865) de Frédéric Bazille est un hommage au musée-atelier de Delacroix. Outre les toiles de Monet qui ornent les murs, il représente un désordre savamment composé, jusqu’à la palette de couleurs à terre, et qui, malgré l’absence du peintre, évoque celui-ci à l’œuvre. On remarquera également le poêle qui rougeoie. Un lieu à l’alchimie secrète se dévoile en partie dans ce double hommage à Delacroix et Monet.

Le peintre de l’audace

Il faut également noter une œuvre de Delacroix, à la fois simple et puissante, intitulée „Un coin d’atelier“ (vers 1825, lavis brun et mine de plomb). Ici aussi il s’agit d’un lieu représenté en l’absence de l’artiste, avec tous les instruments nécessaires à la peinture, dans un instant suspendu. Fascination pour le processus de création qui, somme toute, doit demeurer secret. Surtout lorsqu’il s’agit de la fascination qu’inspire Delacroix, qui a su exalter la couleur, la libérer, annoncer en cela l’impressionnisme.

Autre thématique: celle des fauves. Ils ont beaucoup inspiré Delacroix, qui va les observer au Jardin des plantes. Il se passionne pour leur mouvement, les dessine et compose de nouveaux motifs dans son atelier. Delacroix est le peintre de l’audace. On la retrouve dans la section des têtes coupées. Comme Géricault, dont il semble s’inspirer, sans toutefois autant de violence.

Dans cette salle, nous pouvons admirer sa „Madeleine au désert“ (1845), une tête coupée donc, qui rappelle les études de Géricault pour „Le Radeau de la Méduse“. Cet art du fragment, nous le retrouverons évidemment plus tard chez Rodin.

Des époques entrelacées

L’exposition mêle les œuvres d’autres artistes de son époque et ses successeurs. Elle propose également le travail de trois artistes contemporains, qui dans ce cheminement s’inscrivent de belle manière dans le processus créatif de l’atelier, ainsi que dans l’univers de Delacroix, ce qui n’est pas chose aisée. Sont invités Anne-Lise Broyer, Laurent Pernot et Jérôme Zonder. Leurs œuvres ponctuent les salles et le jardin d’une présence à la fois remarquable et évidente.

Anne-Lise Broyer joue de la mémoire et de l’art comme d’un palimpseste, ainsi a-t-elle conçu pour „Champrosay“ (2019, miroir au tain gratté sur tirage argentique contrecollé sur aluminium) un miroir où se reflètent les frondaisons du jardin que Delacroix aimait tant. Sa technique réfléchissante miroite à la façon d’un daguerréotype. Et „Hommages“ (2019) est un fin bouquet de bronze, comme sorti de la toile de Fantin-Latour, „L’Hommage à Delacroix“.

Jérôme Zonder, quant à lui, cultive l’art du fragment. „Les fruits du dessin #6“ (2013, fusain et mine de plomb sur papier), dans un cadrage resserré, nous offre des mains, sans possibilité de narration, pour ce qu’elles sont uniquement. L’œil ne peut que s’attarder sur la précision et la méticulosité du dessin des doigts, de la peau, et ces mains deviennent le symbole de la transmission.

L’art du fragment

Dans une autre salle, Jérôme Zonder compose une sorte de cadavre exquis à partir de la figure humaine, telle qu’elle se rêve, entre le féminin et le masculin, „Je est un autre“ (2019, fusain, mine graphite et impression sur papier). Il y étudie aussi les potentialités multiples du dessin pour représenter un visage, un torse, un ventre, des cuisses. Et, pour finir en beauté, il faut admirer le bouquet de Laurent Pernot comme depuis un temps lointain, contemporain de Delacroix, figé dans des couleurs vives, à moitié fané et pourtant encore frais, sous ce qui semble être un glacis, il s’agit de „Nature morte – Hommage à Pierre-Joseph Redouté“ (2018, vase, fleurs, glace et neige artificielle, vernis). Cette nature morte, genre qui a beaucoup compté dans l’histoire de l’art, est le témoignage et la représentation d’un intervalle de temps, d’un espace où finalement les œuvres finissent par se côtoyer et se répondre.

D’autres œuvres de ces artistes sont à découvrir. La visite entrelace avec harmonie les époques, rendant atemporel un art qui l’est par définition. Au creux de l’atelier de Delacroix et de son jardin, cette visite se savoure.