Un nomadisme qui pète les formes: la saison théâtrale 2019/20 est lancée

Un nomadisme qui pète les formes: la saison théâtrale 2019/20 est lancée

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La rentrée s’annonce et avec elle, le début d’une saison théâtrale qui fait de plus en plus sortir le théâtre des confins de la scène pour investir, entre autres, la Chambre des députés.

Premier constat, la programmation des petits théâtres s’avère un brin moins touffue que d’habitude, ce qui n’est pas pour nous déplaire, au sens qu’on avait déjà à maintes reprises regretté un programme où les séances et les spectacles se chevauchaient parfois, ce qui faisait qu’il était souvent impossible de tout voir.

Ensuite, l’on remarque que le nombre de coproductions entre les théâtres et institutions culturelles va crescendo, faisant du nomadisme un leitmotiv de la saison – Véronique Fauconnet, directrice artistique du TOL, met en scène au TNL „Objet d’attention“ de Martin Crimp, une pièce sur le contraste entre voyeurisme et empathie, sur l’indifférence d’autrui quand surgissent le drame et la violence faite à un enfant. „Trouble affectif saisonnier“, une création du Centaure mettant en scène la rencontre entre une jeune tueuse (Eugénie Anselin) et Vlad, un quarantenaire désabusé (Serge Wolf) puis la cavale façon Bonnie and Clyde de ces deux hors-la-loi, est jouée aux Capucins et le Kasemattentheater retourne, lors d’une coproduction avec MASKéNADA, à son lieu d’origine, les casemates du Bock, pour deux monologues au cours desquels Luc Schiltz et Serge Tonnar prêteront voix à Judas.

Le Centaure mise sur le thème des dérèglements de notre époque

Un programme réduit donc pour la 48e saison du , où il n’y aura à voir que trois véritables créations dont une, on vient de le dire, sera jouée au théâtre des Capucins. Avant de découvrir ces pièces, le spectateur pourra voir le dernier cycle de la bibliothèque des livres vivants, qui fait se côtoyer deux œuvres phares de la littérature, en espérant que la rencontre ou la friction de deux textes et de deux voix fera se produire des étincelles.

Cette année-ci, ce seront „Nana“ de Zola et „Extension du domaine de la lutte“ d’Houellebecq qui ouvrent ainsi une saison inscrite sous le thème des dérèglements de notre époque – et des séquelles de ces mêmes dérèglements sur le comportement humain. Ça sera là aussi l’un des centres de préoccupation de la création de Claire Wagener et de Jacques Schiltz, duo inaugurant un nouveau cycle au Centaure appelé „Les agitateurs“. Point d’info sur le contenu de la pièce, puisque le principe veut que cette pièce soit créée le plus tard possible, afin de „réduire le temps entre l’actualité, l’idée artistique et sa création“.

Enfin, la saison se termine avec „Bug“, mis en scène par Fábio Godinho (dont les „Sales gosses“ sont à voir en reprise), une pièce sur la relation amoureuse entre une femme ayant fui un mari violent et un soldat en cavale persuadé que l’armée lui inoculerait des insectes sous la peau pour mieux le contrôler. Godinho se dit fasciné par le questionnement entre réalité et fiction – où commence le réel, où s’arrête l’imaginaire? – qui est au centre d’une pièce marquant aussi le retour sur scène de Myriam Muller.

Notons que Jules Werner, dans son mot d’intro, remercia le ministère de la Culture pour une convention augmentée de 50.000 euros. Notons aussi l’absence de Sam Tanson, ministre désormais en charge de la Culture, du Logement et de la Justice, pendant les conférences de presse.

Un volet historico-politique au Kasemattentheater

Au Kasemattentheater, la programmation est plus dense, grâce surtout à un nombre de reprises et aux désormais incontournables lectures, parmi lesquelles il faut citer „Mort aux cons“, une lecture sur 1919, année de la révolution luxembourgeoise avortée, une autre sur la mort, qui réunit des textes philosophiques et des témoignages de personnes mourantes et enfin, une lecture constituée de lettres de l’amante de Franz Kafka, Milena Jesenská. Cette dernière, auteure, journaliste et traductrice, femme forte donc, connut un destin tragique puisqu’elle finit arrêtée comme résistante et meurt dans le camp de concentration de Ravensbrück. Des lettres découvertes en 2015 et écrites pendant son emprisonnement forment la trame d’une lecture faite par Désirée Nosbusch qu’il faudra aller écouter.

Ce volet historico-politique sera complété par une pièce en langue turque sur les attentats de la NSU (le parti national-socialiste souterrain, un groupuscule terroriste responsable de l’assassinat d’immigrés turcs, grecs et kurdes). La pièce oscille entre théâtre documentaire, satire et prière aux morts.

Parmi les créations propres au Kasemattentheater, on retiendra „Intervention“ – une soirée-surprise qui se meut en une de ces „interventions“ américaines où les invités formulent leurs inquiétudes face à un ami en train de guider sa vie dans le cambouis –, „Rosenkranz und Gildenstern auf Greta“ – une nouvelle pièce de Fanny Sorgo, dont on avait tant apprécié le „Himmelblaue Herr“, mettant au centre, dans une réécriture de Hamlet, les deux personnages de gardes tant délaissés – et „Das Hau-Projekt“ de Jacques Schiltz autour du génial Arnold Hau, brillant penseur, poète, urbaniste, génie universel qui, hélas, n’a jamais existé puisque ce furent des artistes de la Nouvelle Ecole de Francfort qui l’inventèrent.

Enfance et prisons au TOL

Au Théâtre ouvert Luxembourg, l’accent est mis sur l’enfance, avec tous les thèmes qui s’y attachent – la protection, la filiation, l’innocence. La saison commence avec „Rabbit Hole – Univers parallèles“, de David Lindsay-Abaire (prix Pulitzer de l’œuvre théâtrale), une pièce qui tourne autour de deux parents qui perdent leur enfant, mort dans un accident de voiture huit mois avant le début de la pièce. Refusant tout pathos et sentimentalisme, la pièce promet même, comme nous l’indique sa metteure en scène Véronique Fauconnet, d’être drôle par moments.

„Le poisson belge“, mis en scène par Aude-Laurence Biver, qui décrit la pièce comme une comédie poétique, évoque la rencontre entre un vieux monsieur rabougri et une jeune fille espiègle, qui vient perturber le quotidien solitaire du vieux.

Enfin, „Comme s’il en pleuvait“ de Sébastien Thiery clôt la saison avec une pièce plus légère, plus drôle, où un couple se trouve dans une situation incongrue, puisque des liasses de billets de cent euros commencent par apparaître partout dans leur appartement. Le couple fera vite face à leurs divergences de comportement et les tensions culminent quand un voisin paranoïaque, qui prétend avoir été volé, toque à leur porte.

TNL: l’emprisonnement de l’individu dans la société

Au Théâtre national du Luxembourg, la saison porte sur un sujet moins drôle: on y parlera surtout d’emprisonnement – par la société, par le trop-plein de libertés qui nous fait perdre le sens de l’orientation, par l’impression qu’on éprouve d’être contrôlés de partout. Il est donc logique que Frank Hoffmann, le directeur du théâtre, s’en prenne cette saison-ci à la célèbre „Métamorphose“ de Kafka – comment mieux exprimer la sensation de confinement qu’en mettant en scène le sort de Gregor Samsa?

D’autres créations de la saison déclinent ce sujet – „Nom Iesse gi mer an den Hobbykeller“ est la dixième collaboration entre l’écrivain Guy Rewenig et Frank Hoffmann et propose un huis clos où s’affrontent un juge et un procureur, „La vieille qui marchait dans la mer“ de Frédéric Dard raconte comment une vieille arnaqueuse tombe amoureuse d’un plagiste 60 ans plus jeune qu’elle (ici, le corps devient carcan), „Parterre“ de Michel Clees, auteur en résidence de cette saison, met au centre de sa pièce la collocation qui, au fur et à mesure que les loyers augmentent, devient une nécessité plus qu’un plaisir alors que „Open House“ de Will Eno (mis en scène par Anne Simon) évoque la prison familiale. Parmi les productions accueillies, soulignons un „Baal“ (de Bertolt Brecht) joué par Thomas Thieme, „Qui a tué mon père“ d’Edouard Louis ou encore „Why“ de Peter Brook sur les raisons qu’on peut avoir à sacrifier sa vie aux arts de la scène.

Par ailleurs, une nouvelle série de lectures accompagnées par de la musique aura lieu dans le bar et réunit toute une gamme de voix fortes féminines – et pour célébrer l’instauration du vote des femmes (il n’y a que cent ans …), le TNL organise fin septembre une manifestation spéciale à la Chambre des députés, montrant peut-être que théâtre et politique ont depuis toujours bien des similitudes. Notons enfin qu’un peu partout, lors des conférences de presse, l’on porta hommage à deux disparus de la saison précédente: le réalisateur et metteur en scène Pol Cruchten et l’hebdomadaire Le Jeudi.