Interview„Tout s’est bien passé“, dans la vie, dans la mort

Interview / „Tout s’est bien passé“, dans la vie, dans la mort
Sophie Marceau et André Dussollier dans „Tout s’est bien passé“ de François Ozon © Carole Bethuel, Mandarin Production–Foz

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Dans „Tout s’est bien passé“ (Gallimard, 2013), Emmanuèle Bernheim raconte comment son père, se sachant condamné, la chargea de la lourde mission d’organiser son suicide assisté en Suisse. Ami de l’écrivaine (et coscénariste) décédée en 2017, François Ozon signe une chronique émouvante et universelle sur la difficulté des rapports familiaux et le droit à mourir dans la dignité. Sans tomber dans le pathos ni le militantisme.

Sophie Marceau tient le rôle d’Emmanuèle, André Dussollier incarne André Bernheim, victime d’un AVC. L’attaque lui a déformé le visage et l’a cloué au lit. Il refuse de vivre dans un corps diminué. Collectionneur d’art octogénaire, André fut un père capricieux, despote, odieux et charmeur. Fille dévouée, Emmanuelle aide finalement son père à en finir „parce qu’il aime la vie“. Intimiste et sensible, le film donne à réfléchir sur l’expérience éprouvante qu’est le suicide assisté. „Tout s’est bien passé“ a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.

Tageblatt: Vous vous êtes inspiré d’un récit autobiographique et de votre amitié avec Emmanuelle Bernheim. En quoi avez-vous pris des libertés par rapport à cette double réalité?

François Ozon: La difficulté, c’est de ne pas trahir. En plus, quand on connaît la personne, on a envie d’être respectueux. J’ai aimé ce livre, j’ai aimé cette personne. Et essayé d’être le plus fidèle. L’écriture littéraire et l’écriture cinématographique sont deux choses différentes. Il faut transformer un petit peu les choses. Il faut trahir tout en gardant l’esprit. L’écriture d’Emmanuèle Bernheim est assez à l’os, proche d’une écriture scénaristique, très behaviouriste, portant sur les actions, les gestes plus que sur les sentiments. Par exemple, le personnage d’Emmanuèle garde le sandwich de son père, le range dans le frigidaire, le met dans le congélateur et, finalement, le jette dans la poubelle. A travers ces gestes qui n’ont pas besoin de dialogue, on comprenait tout ce travail de deuil qu’est en train de faire le personnage d’Emmanuèle. La liberté que j’ai prise, c’était de rajouter certaines choses pour enrichir l’histoire. J’ai rencontré Serge Toubiana (compagnon d’Emmanuèle Bernheim, n.d.l.r.) et Pascale, la sœur cadette d’Emmanuèle. Je leur ai posé des questions notamment sur le personnage de G.M., lequel, dans le récit, n’est pas nommé clairement. Les deux filles le détestaient tellement qu’elles l’appelaient „grosse merde“. Surtout, j’ai ajouté et mis en scène le personnage de la mère d’Emmanuelle (Claude de Soria, n.d.l.r.) qu’interprète Charlotte Rampling, qui n’existe pas dans le livre. C’était un peu un choc pour moi quand Serge et Pascale m’ont parlé de cette mère, car je ne savais pas qu’elle était une artiste et faisait des sculptures, très belles. Comment cette femme avait été mise de côté participe de la névrose familiale. Je pense qu’Emmanuèle ne se serait pas sentie trahie, mais elle avait le choix de ne pas parler de sa mère du tout dans son livre.

Sophie Marceau: On doit être fidèle à son rôle et au metteur en scène. C’est lui qui vous regarde. A partir du moment où on est d’accord sur les grandes lignes du personnage, sur le sens de chaque scène, mon travail consiste à être fidèle, à essayer de retranscrire ce que le metteur en scène veut. Je suis son interprétation. Trahison ou pas trahison? Je ne sais pas. Ce n’est pas un documentaire. C’est formidable aussi de pouvoir mélanger la fiction et la réalité sans jamais trahir, en vérité, le message profond du personnage du film. J’ai lu le récit d’Emmanuèle pour m’inspirer du personnage. Pour moi ma bible, c’est le scénario et ce que le metteur en scène en fait.

Le père se venge-t-il en donnant cette mission à sa fille Emmanuèle? Cette hypothèse apparaît-elle clairement dans le récit?

François Ozon: C’est dans le livre. C’est la perversité du père de demander cette épreuve à Emmanuèle. Elle lui en veut de cette enfance, de ce père qui a été cruel, méchant avec elle, même si elle l’adore. Elle aurait préféré l’avoir comme ami. Il ne l’a pas demandé à Pascale, d’ailleurs. Ce qui crée une tension entre les deux sœurs aussi. Il n’est pas un bon père, mais Emmanuèle est une bonne fille.

Sophie Marceau: C’est toujours les mêmes à qui on demande des services. Emmanuelle est là pour aider les autres. Il y a aussi, quelque part, une grande confiance de demander cela à quelqu’un. Il se sait aimé par cette fille. C’est un personnage très égocentrique, jaloux.

François Ozon: André Bernheim avait dit à Pascale: „Cela ferait un très beau roman pour ta sœur.“ Cette phrase n’apparaît pas dans le récit. Et quand j’ai évoqué ce propos à Pascale, elle m’a répondu: „Je n’ai pas rapporté cette phrase à Emmanuelle parce que si elle avait su que mon père avait dit cela, elle n’aurait pas écrit le livre.“

„Tout s’est bien passé“ de François Ozon. Avec Sophie Marceau, André Dussollier, Géraldine Pailhas. En salle ce mercredi.