L’histoire du temps présentQuand Meloni réécrit l’histoire …

L’histoire du temps présent / Quand Meloni réécrit l’histoire …
    Photo: AFP

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Sept ans. Sept ans déjà que le grand sémiologue, philosophe et écrivain Umberto Eco nous a quittés. Peu de temps avant sa mort, il avait fondé avec des collègues, en contribuant de sa poche à hauteur de deux millions d’euros, une nouvelle maison d’édition, La nave di Teseo (Le bateau de Thésée), en réaction à la reprise par la Fininvest de Berlusconi de la maison d’édition Bompiani, où Eco publiait ses livres depuis plus de 50 ans. La nave di Teseo vient de publier, pour l’anniversaire de son décès le 19 février 2016, deux petits recueils de texte du célèbre penseur, l’un sur la vérité – „Quale verità? Mentire, fingere, nascondere (Quelle vérité? Mentir, faire semblant, cacher)“ –, l’autre sur l’ère de la communication.

Le recueil sur „quelle vérité?“ s’ouvre avec un débat sur l’objectivité en journalisme, un texte de 1969. Eco y soutient que l’objectivité n’existe pas en journalisme puisqu’à tous les niveaux nous sommes en face d’interventions interprétatives, non seulement sur le fond mais aussi sur la forme: choix des titres, du layout, de la taille de l’article, de son insertion dans telle page plutôt que dans une autre, des couleurs, etc. Objectivité? Non, le journaliste livre des témoignages. Citons Eco: „Une bonne nouvelle pour moi est celle qui distingue entre témoignage sur les faits et témoignage sur les valeurs. Exemple: ,Un homme a mordu un chien‘ (c’est le fait). Point. ,Cela ne me plaît pas‘ (c’est le jugement de valeur). Une mauvaise nouvelle est celle où jugement de valeur et exposition du fait se mélangent. Exemple: ,Un homme méchant a mordu un pauvre chien.‘“ Eco conclut que le journaliste, ne pouvant être objectif, a d’autant plus le devoir d’en avertir le lecteur lorsqu’il émet un jugement personnel, d’expliquer qu’il est en train de lui livrer „sa“ vérité. Il devrait aussi confronter ses lecteurs à d’autres interprétations et d’autres nouvelles.

Le recueil se conclut avec des textes des années 2010 sur le faux, le mensonge et la falsification. En partant d’exemples tirés de l’histoire, de la politique, de l’art ou de la littérature, Eco propose une perspective optimiste. Citons-le à nouveau: „Non seulement nous sommes capables de nous déplacer dans le monde avec une certaine assurance en affirmant que quelque chose est vrai, même si nous nous trompons souvent, mais celui qui ment ou qui falsifie est presque toujours découvert. (…) Si un politicien a annoncé une réduction d’impôt et qu’il n’y a pas eu de réduction, la présence massive de faits nous indique que le politicien avait menti.“

Pour rester dans le cadre de vie d’Umberto Eco: nous pouvons raisonnablement décider que le Duomo de Milan que nous voyons aujourd’hui est le même que celui que nous avons vu l’année dernière. Autre exemple donné par Eco: le monde entier sait entretemps que le discours du 5 février 2003 du secrétaire d’Etat américain Colin Powell devant le Conseil de sécurité des Nations unies, dont nous venons de commémorer le vingtième anniversaire, déformait la réalité. Pour justifier la décision américaine d’envahir l’Irak, Powell raconta à la communauté internationale que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive. Il s’agissait en fait d’un mélange de mensonges et de fausses informations des services de renseignement, relayés par l’administration Bush.

… simplement parce qu’ils étaient Italiens?

La semaine dernière, on commémorait en Italie le 79e anniversaire du massacre des Fosses ardéatines. Le 24 mars 1944, les troupes d’occupation nazies assassinèrent à Rome 335 hommes dans les galeries souterraines de Pozzolana sur la Via Ardeatine, connues plus tard sous le nom de „Fosse Ardeatine“. Les soldats nazis, sous les ordres du Hauptsturmführer SS Herbert Kappler, commandant de la Gestapo à Rome, et du Hauptsturmführer SS Erich Priebke, les exécutèrent un par un d’une balle dans la tête. Ce massacre fut perpétré en représailles à l’action militaire des „Gruppi di azione patriotica“ (GAP), communistes, le 23 mars 1944, 25e anniversaire de la fondation des Fasci di combattimento, contre les membres du bataillon de police „Bozen“ affiliés aux SS, via Rasella dans le centre de la capitale. L’attentat à la bombe avait fait 33 morts. Sur ordre du commandant en chef allemand pour l’Italie Albert Kesselring, il fut décidé de fusiller dix personnes par soldat allemand tué. Moins de 24 heures après l’attentat, 335 hommes furent exécutés sans que personne, à part les bourreaux et leurs victimes, ne le sache.

79 ans plus tard, dans un communiqué officiel du gouvernement, la première ministre Giorgia Meloni commémore ainsi cet événement: „Aujourd’hui, l’Italie honore les victimes du massacre des Fosse Ardeatine. Il y a 79 ans, 335 Italiens furent massacrés de façon barbare par les troupes d’occupation nazies en représailles de l’attaque partisane de via Rasella. Un massacre qui a marqué l’une des blessures les plus profondes et les plus douloureuses infligées à notre communauté nationale: 335 Italiens innocents massacrés simplement parce qu’ils étaient Italiens.“

Umberto Eco aurait sans doute aimé la réaction immédiate d’une grande partie de la presse italienne mais aussi des associations mémorielles, s’élevant contre ce mélange d’exposition de faits, de jugements de valeur, de mensonges et d’omissions de la part d’une politicienne prête au révisionnisme le plus grossier pour réécrire l’histoire du pays et mieux voiler celle de son parti.

Mensonges et omissions

Mensonge: Non, Madame Meloni, ces 335 hommes ne furent pas massacrés parce qu’ils étaient Italiens, ils le furent parce qu’ils étaient antifascistes, ce mot que vous n’arrivez pas à prononcer, et opposants au régime mussolinien, venus d’horizons politiques divers. Ils étaient membres du parti communiste, du parti socialiste, du parti de l’action, du parti républicain, de la Démocratie chrétienne, du Front militaire clandestin, etc. 76 victimes furent massacrées parce qu’elles étaient juives (https://www.mausoleofosseardeatine.it/vittime/).

Mensonge et omission: les victimes n’étaient pas seulement de nationalité italienne. Parmi eux figuraient au moins neuf citoyens étrangers, dont deux identifiés récemment seulement grâce à l’examen de leur ADN: Heinz Erich Tuchmann, juif de nationalité allemande, et Marian Reicher, juif de nationalité polonaise. L’une des victimes était d’ailleurs née au Luxembourg: Domenico Polli, entrepreneur dans le bâtiment, né le 1er janvier 1908 à Esch-sur-Alzette. Ses parents, l’ouvrier mineur Feliciano Polli et Pastora Rubini, s’étaient mariés le 30 mars 1907 à Esch et habitaient rue du Brill. Comme beaucoup d’autres immigrants italiens de l’époque, ils étaient originaires de la région de Perugia, lui de Valtopina, elle de Gualdo Tadino. Domenico Polli avait été arrêté quelques mois plus tôt à Rome en tant que militant du parti socialiste italien et accusé de détention d’armes et de munitions. Il était père de quatre enfants, la plus jeune, Gabriella, âgée de trois mois au moment de son assassinat. Tous les ans, elle est présente aux commémorations, tentant notamment de rendre attentive au sort des épouses des victimes, celles qu’on appelait après la guerre à Rome „quelle vedove“, „ces veuves“: voir la vidéo postée en 2021 par l’Università degli Studi di Milano où l’actrice Carlotta Natoli raconte Gabriella Polli.

Omission: ils furent tués par des soldats nazis, mais des soldats légitimés à occuper l’Italie et Rome par le régime mussolinien.

Omission: les occupants nazis furent assistés par des hauts responsables fascistes italiens – le questeur de Rome Pietro Caruso, le ministre de l’Intérieur de la République de Salò Guido Buffarini Guidi et le chef de la „Banda Koch“, qui traquait les antifascistes italiens à Rome, les torturait et les livrait aux Allemands, Pietro Koch. (Après la Libération, le procès, la condamnation et l’exécution de Caruso, en septembre 1944, et l’exécution de Koch, en juin 1945, furent filmés sur demande de la Cour par Luchino Visconti, qui avait été arrêté et torturé par la Bande Koch, et des images furent intégrées dans le documentaire „Giorni di gloria“.)

Tout comme Giorgia Meloni, les autres politiciens de Fratelli d’Italia (FdI) détournent l’histoire, en refusant, eux aussi, de prononcer ce mot, antifascisme: Tommaso Fotti, président du groupe FdI à la Camera dei deputati, parlant le 24 mars de „victimes du second conflit guerrier“, Fabio Rampelli, vice-président de la Chambre, de „l’horreur de l’occupation nazie“, d’„antisémitisme“ et de „racisme“.

Umberto Eco a appelé sa maison d’édition La nave di Teseo, une référence à la légende de Thésée, parti d’Athènes pour combattre le Minotaure. A son retour en vainqueur, les Athéniens auraient tout fait pour préserver son bateau, le réparant si souvent qu’il n’avait bientôt plus une seule pièce d’origine. En philosophie, le bateau de Thésée fut utilisé pour questionner la notion d’identité, pour s’interroger si un objet dont de nombreuses parties ont été remplacées ou une personne dont le physique ou la personnalité ont changé reste le même objet ou la même personne.

L’exemple de Giorgia Meloni nous donne une réponse claire pour ce cas-ci. Tout en revêtant la charge de présidente du Conseil de l’Italie républicaine, née des actions de ces Italiens et Italiennes qui ont résisté au fascisme, tout en changeant plusieurs fois le nom de leur parti, Meloni et ses camarades n’ont guère changé. Ils sont les (in)dignes héritiers du Movimento sociale italiano (MSI), lui-même né des cendres du Partito nazionale fascista de la Repubblica sociale italiana (RSI), les héritiers de ces autres Italiens qui ont combattu aux côtés de Hitler et de Mussolini dans les rangs de la République de Salò.

15 des 335 victimes du massacre des Fosse Ardeatine, dont Domenico Polli, né en 1908 à Esch-sur-Alzette: antifascistes (communistes, socialistes, démocrates chrétiens, membres du parti de l’action, du Front militaire clandestin) et juifs persécutés pour motifs raciaux; militaires, ouvriers, paysans, commerçants, entrepreneurs, employés, pharmaciens, journalistes, cinéastes
15 des 335 victimes du massacre des Fosse Ardeatine, dont Domenico Polli, né en 1908 à Esch-sur-Alzette: antifascistes (communistes, socialistes, démocrates chrétiens, membres du parti de l’action, du Front militaire clandestin) et juifs persécutés pour motifs raciaux; militaires, ouvriers, paysans, commerçants, entrepreneurs, employés, pharmaciens, journalistes, cinéastes Foto: https://www.mausoleofosseardeatine.it/vittime/
Grober J-P.
3. April 2023 - 9.51

"… simplement parce qu’ils étaient Italiens?" Wéi waren d'Reaktiounen vun der italienescher Press zu der "Feier"? Rhetorik vun där Madam erënnert méch un epuer Galionsfiguren hei am Land déi d'Geschicht verdréinen.

Robert Hottua
2. April 2023 - 16.13

"MUSSOLINI und RATTI standen für totalitäre Konzepte, der eine im Staat, der andere in der Kirche, beide lehnten Demokratie ab, verlangten unbedingten Gehorsam, zeigten eine judenfeindliche Grundeinstellung. (...) Ohne Römische Kurie kein Faschismus, ohne Achille RATTI kein Benito MUSSOLINI, ohne Pius XI. kein Duce - so kann man die Kernthese auf den Punkt bringen." (Prof. Dr. Hubert WOLF, Vorwort zum Buch von David I. KERTZER: Der erste Stellvertreter - Pius XI. und der geheime Pakt mit dem Faschismus, Theiss-Verlag, 2016) MfG Robert Hottua