FrancePap Ndiaye, ministre de Macron et historien de la condition noire, est détesté à l’extrême droite

France / Pap Ndiaye, ministre de Macron et historien de la condition noire, est détesté à l’extrême droite
Pap Ndiaye, historien de la condition noire, est détesté à l’extrême droite Photo: AFP/Emmanuel Dinand

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De tous les „nouveaux“ du gouvernement français, Pap Ndiaye est celui dont la nomination, à la tête de l’Education nationale, suscite le plus de commentaires. Aux manettes d’un ministère notoirement explosif, l’historien doit aussi affronter un tir de barrage de l’opposition, notamment l’extrême droite.

Parmi les nouveaux venus au gouvernement français, il en est un dont le profil personnel suscite déjà de nombreuses controverses: Pap Ndiaye, nommé ministre de l’Education nationale. A gauche, on se réjouit plutôt de l’arrivée de ce brillant intellectuel d’origine africaine; mais à droite, et surtout à l’extrême droite, on redoute d’assister avec lui au triomphe d’un certain „indigénisme“ contraire aux principes de l’universalisme républicain.

Tel est, du moins, l’argument aussitôt avancé dans les rangs du Rassemblement national et chez Eric Zemmour, par des gens dont on doute d’ailleurs qu’ils aient lu les œuvres de cet enseignant-chercheur de 56 ans, penseur de la „condition noire“ en France et ailleurs, théoricien et ethnologue. La rapidité du rejet qu’il a inspiré dans cette fraction-là de la classe politique aura d’ailleurs constitué, à sa façon, un rappel de ce que reste en ses profondeurs l’extrême droite, en dépit de ses proclamations.

Petit florilège. Pour Marine Le Pen, il s’agit là de „la dernière pierre de la déconstruction de notre pays, de ses valeurs et de son avenir“. Et son intérimaire à la présidence du RN, Jordan Bardella, de surenchérir: „Sa nomination est un signal extrêmement inquiétant envoyé aux élèves français au sein de l’Education nationale, déjà minée par le communautarisme.“ Quant à Zemmour, il assure que „c’est toute l’histoire de France qui va être revisitée à l’aune de l’indigénisme, en reformatant les esprits des petits Français pour leur apprendre que les Blancs sont éternellement coupables.“

Très reconnu … et inconnu

Prenant, voici un an à Paris, la direction du Musée de l’immigration, où il avait été nommé en raison de ses nombreux travaux sur le sujet, et sur les questions raciales, M. Ndiaye avait ainsi défini sa ligne de conduite: „Refroidir les sujets brûlants.“ Voilà une ambition qu’il devra certainement garder à l’esprit au ministère de l’Education nationale … Et non pas seulement du fait des attaques dont il a fait l’objet, mais aussi, voire surtout, s’il veut tourner la page de la gestion de son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, dont le caractère facilement péremptoire et les a priori systématiques avaient hérissé, cinq années durant – un record pour le poste, au demeurant – une partie importante du corps enseignant.

Le paradoxe est que Pap (de son prénom complet Papa) Ndiaye est à la fois un universitaire très reconnu de son milieu, et inconnu du grand public. Longtemps, on l’a au mieux considéré comme „le frère de Marie Ndiaye“, écrivaine qui obtint le prix Goncourt en 2009. Tous deux sont nés d’un père sénégalais, qui fut jadis le premier ingénieur Ponts et Chaussées de l’Afrique subsaharienne, et d’une mère française, enseignante.

Une enfance tranquille dans la classe moyenne de la banlieue parisienne – „Je n’ai jamais eu à m’intégrer, j’étais d’ici!“, explique l’intéressé – puis un cursus universitaire très brillant, qui lui fera dire souvent qu’il est „un pur produit de l’école républicaine française“: l’Ecole normale supérieure, l’agrégation d’histoire, un doctorat à l’Ecole des hautes études en sciences sociales …

Modèle républicain et discriminations

Viennent ensuite plusieurs années aux Etats-Unis qui vont changer sa vie, notamment à l’université de Virginie où le propulse une bourse française en 1991. „Mon passage aux Etats-Unis m’a permis de penser la question raciale. D’autant plus qu’en France, il y a trente ans, ce sujet était très marginal dans le monde universitaire“, expliquera-t-il.

Quand il rentre à Paris en 1998, il se spécialise dans l’histoire sociale des Etats-Unis et des minorités, tourne un peu autour du PS, avant de s’en distancier en douceur. Il se défend d’être un „identitaire“, pour qui l’appartenance ethnique primerait tout, et alerte contre, dit-il, „le piège de l’essentialisme, que certaines voix de la négritude n’ont pas évité“. Mais M. Ndiaye dit refuser „que la force du modèle républicain, théoriquement aveugle à la couleur de peau, empêche la réflexion sur les discriminations“.

On pense au beau mot de „négritude“ lancé par Léopold Sedar Senghor, lui-même normalien et qui fut président du Sénégal, et chanté par le grand poète antillais Aimé Césaire, dont il aime citer cette phrase: „On peut être attaché à une culture sans être détaché de l’universalisme.“ Ce pourrait bien être en y songeant aussi qu’Emmanuel Macron, jouant le contraste et la surprise, a nommé Pap Ndiaye à la tête de ce ministère que, lors de la passation de pouvoirs, son prédécesseur a défini comme „la plus belle maison de la République“.