Royaume-UniObservations sur le Brexit: L’histoire est pleine d’ironies troublantes

Royaume-Uni / Observations sur le Brexit: L’histoire est pleine d’ironies troublantes
Le Premier ministre britannique en pleine campagne électorale en septembre dernier en Ecosse: bien éloignée est l’époque où un jeune Boris Johnson frappait aux portes des électeurs d’origine turque et kurde de sa circonscription électorale du nord de Londres et leur demandait de voter pour lui Photo: AFP/Andrew Milligan

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Deux évènements significatifs de l’histoire européenne marquent la dernière semaine de janvier: la commémoration, le 27 janvier, du 75e anniversaire de la libération par l’armée soviétique du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et la sortie, le 31 janvier, du Royaume-Uni de l’Union européenne.

Toutefois ce ne sont pas seulement les hasards du calendrier qui nous poussent à évoquer la libération d’Auschwitz et le Brexit dans une même phrase. Certains écrivent que le projet d’unification européenne avait pour but d’empêcher de nouveaux Auschwitz. Certes, l’idée de l’interdépendance économique des nations qui est au cœur du projet européen est censée prévenir de nouvelles guerres entre les grandes puissances européennes. Mais la Shoah a d’autres origines que la rivalité entre les nations. L’antisémitisme est au cœur de la culture européenne: du „Marchand de Venise“ de Shakespeare aux opéras de Richard Wagner, de la poésie de T.S. Eliot à la „Judensau“, que l’on retrouve dans de nombreuses églises dans le monde germanophone.

Depuis la découverte de la monstruosité des camps nazis, un examen critique et continu du phénomène antisémite a bien eu lieu en Europe et au sein des églises catholiques et protestantes, un examen qui est loin d’être achevé. La haine antisémite qui est encore bien présente partout en Europe n’est cependant plus institutionnalisée. Toutefois peut-on vraiment affirmer que la peur de l’autre ne continue pas à animer certaines interprétations du projet européen? Comment expliquer l’opposition viscérale de certains à l’idée de l’adhésion de la Turquie, déjà bien avant les dérives du régime erdoganien? Pourquoi la Commission européenne continue-t-elle à concevoir les immigrés et les réfugiés comme une menace pour „notre mode de vie européen“, alors que la vraie menace contre le pluralisme politique que l’Union européenne veut promouvoir vient des partis nationalistes et ultra-conservateurs qui se radicalisent en son sein?

La „turcophobie“ fut un des piliers de la campagne pour le Brexit en 2016

L’histoire est pleine d’ironies troublantes. C’est sans doute pour cela que les avocats du Brexit, malgré leur volonté d’émancipation du „joug bruxellois“, incarnent les valeurs de cette Europe „altérophobe“. La „turcophobie“ fut un des piliers de la campagne pour le Brexit en 2016. Lors du référendum, des affiches mensongères affirmaient que la Turquie et ses 76 millions d’habitants, majoritairement musulmans, s’apprêtaient à rejoindre l’Union européenne. Bien éloignée était l’époque où un jeune Boris Johnson frappait aux portes des électeurs d’origine turque et kurde de sa circonscription électorale du nord de Londres et leur demandait de voter pour lui, l’arrière-petit-fils d’un journaliste ottoman exilé en Angleterre. A l’image de son parti, Johnson allait bien vite découvrir que l’islamophobie fournissait des outils bien plus efficaces pour manipuler les électeurs. Quant au parti travailliste de Jeremy Corbyn, indécis jusqu’au bout sur la question du Brexit, il continue à être hanté par le spectre de l’antisémitisme – et ce non seulement dans sa version antisioniste, mais bien aussi dans ses versions conspirationniste et anticapitaliste.

Avec le Brexit, les citoyens européens du Royaume-Uni sont en train de découvrir le quotidien des migrants non-européens dans ‚l’environnement hostile‘ conçu par Theresa May, alors qu’elle était ministre de l’Intérieur

Laurent Mignon

Toutefois ce ne sont pas seulement les discours „altérophobes“ qui rappellent certaines pages sombres de l’histoire européenne. Le Brexit est en train de réaliser une dépossession démocratique, rarement vue dans l’histoire des Etats de droit. Ainsi les citoyens de l’Union européenne qui résident et travaillent au Royaume-Uni depuis des années voient leur existence remise en question. C’est à eux de prouver qu’ils sont légalement au pays. Leurs acquis démocratiques sont également remis en cause, puisque ils vont perdre le droit de vote aux élections locales.

Avec le Brexit, les citoyens européens du Royaume-Uni sont en train de découvrir le quotidien des migrants non-européens dans „l’environnement hostile“ conçu par Theresa May, alors qu’elle était ministre de l’Intérieur. La politique de „l’environnement hostile“ signifie que les hôpitaux et les municipalités, les écoles et les universités, les agences immobilières et les autres prestataires de services ainsi que les employeurs sont invités à dénoncer aux autorités les personnes qu’ils soupçonnent d’être illégalement au pays. Désormais les citoyens européens sont également dans le collimateur. Rares étaient ceux qui protestaient contre ces mesures quand elles ne les concernaient pas. Il n’est pas donné à tout le monde de faire preuve du même courage que le philosophe français d’origine juive Henri Bergson qui notait dans son testament en 1937 que malgré sa proximité intellectuelle et spirituelle avec le catholicisme, il refusait de se convertir car il voulait „rester parmi ceux qui seront demain des persécutés“. Le courage de Bergson, qui avait des origines anglo-irlandaises, pourrait être un symbole pour une autre Europe. Ouverte, internationaliste et solidaire. Il est grand temps qu’elle se réveille.

* Le Luxembourgeois Laurent Mignon est Associate Professor of Turkish à l’Oriental Institute
de l’Université d’Oxford en Grande-Bretagne. Ensemble avec
Katja Triplett il a récemment publié Et le papillon chanta: Orhan Veli, les ,Haïkaï de Kikakou‘ et la genèse du haïku turc (Paris: Editions Petra, 2019).

Hary
31. Januar 2020 - 19.33

@Gerner 'Wéi vill Bauze sinn op der Foto?' 4! Hunn ech eppes gewonnen? ?

Gerner
31. Januar 2020 - 9.31

Wéi vill Bauze sinn op der Foto?