NécrologieNo Comprende: Mimi Parker, la brillante chanteuse et batteuse de Low, nous quitte

Nécrologie / No Comprende: Mimi Parker, la brillante chanteuse et batteuse de Low, nous quitte
Mimi Parker, son partenaire Alan Sparhawk et leur chien (C) Sub Pop

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Ce dimanche, Mimi Parker, l’une des musiciennes les plus brillantes de la scène alternative américaine, nous quitta, laissant derrière elle non seulement un mari avec qui elle créa, pendant plus de 30 ans, l’une des discographies les plus belles qui soient, mais aussi un héritage musical qui fera encore parler de lui dans des décennies.

Arrive ce moment, dans la carrière d’un journaliste, où on fait l’expérience d’une première fois qu’on aurait aimé ne jamais devoir vivre, ni écrire dessus. Arrive ce moment où on apprend le décès d’une artiste que non seulement on a aimée, mais qu’on a interviewée, qu’on a donc, l’espace d’une petite heure, eu l’impression de connaître un tant soit peu. Alors certes, c’est peu de choses, une telle interview, pour un groupe, qui doit les enchaîner pour des raisons promotionnelles, affrontant bien souvent des questions journalistiques qui se suivent et se ressemblent, interviews qui tiennent, pour un groupe comme Low, au bout de 30 ans de carrière, plus d’une routine interminable que d’autre chose.

Et pourtant, pour moi, en tant que fanboy, quand Geert Mets, distributeur chez Konkurrent, que je connais grâce à Alan Sparhawk qui, lors d’un concert à Munich où j’étais allé lui parler, lui disant que j’étais journaliste, que leurs nouvelles chansons étaient absolument phénoménales et que je tenais à écrire dessus dès que possible et qui me dit alors d’écrire à Konkurrent pour qu’ils m’envoient un service presse de leur futur album „Double Negative“, quand Geert Mets me confirma donc que j’allais bien pouvoir les interviewer, j’étais très excité.

Je me rappelle cette interview, réalisée devant mon écran d’ordinateur dans la chambre d’hôtel d’un Marriott à Francfort, où je voyais Alan Sparhawk et Mimi Parker, l’un finissant les phrases de l’autre, avec Mimi un peu en retrait, laissant Alan développer ses pensées, les accompagnant souvent d’une réflexion courte et percutante, les voyant unis au bout d’une relation amoureuse et d’une carrière musicale commune de plus de 30 ans, le seul couple à durer, dans la musique indé, depuis la séparation assez torrentielle de Thurston Moore et de Kim Gordon, le voyant dans leur maison au fin fond du Minnesota, à Duluth plus particulièrement, une ville rendue célèbre par „Fargo“ (le film et la série), leur chien aboyant en arrière-fond, le couple soudé dans leur isolement et heureux de l’être. On était en octobre 2021 et je ne savais pas alors qu’on avait déjà diagnostiqué un cancer des ovaires chez Mimi.

La chose est d’autant plus cruelle – comme si une mort à 55 ans ne l’était pas toujours – qu’ils devaient jouer aux Rotondes, ce vendredi, un concert qui avait d’abord résisté à une première série d’annulations dues au combat de Mimi contre son cancer et qui avait, il y a peu, été annulé à son tour.

Ce n’est que partie remise, pensions-nous tous. Ce n’est que partie remise, disais-je à mes amis Alasdair Reinert et Pascale Dufour, quand ces deux-là avaient attrapé la satanée Covid et que je dus me rendre seul au concert de Low au Théâtre Fairmount à Montréal, le 2 avril de cette année. Je m’y étais rendu pour une visite surprise que Pascale, la magnifique épouse de mon meilleur ami, avait orchestrée, m’envoyant, un jour hivernal en février, un billet de concert en me disant que ça ferait plaisir, à Alasdair, si je passais les voir au Canada, mais que ce serait encore plus sympa si je venais sans l’en avertir, le concert de Low, groupe qu’on avait vu ensemble tous les trois à Glasgow en janvier 2019, devant constituer à la fois l’apogée et la fin de mon séjour.

Ce n’est que partie remise, me disais-je aussi, puisque lors de mon interview à Francfort, lors d’une Buchmesse à peu près désertée, alors que mon nouveau roman paraissait dans la foulée, je leur en avais parlé, de ce roman, puisqu’ils figurent sur la playlist de ce livre. Les deux avaient manifesté un intérêt pour le roman qui me semblait non feint et avaient demandé où on pouvait l’acheter et je m’étais promis de le leur donner après le concert à Montréal. J’avais oublié de l’apporter, parce que les préparatifs de ce voyage se firent à une époque étrange de ma vie et que je suis de toute façon extrêmement nul dans le service après-vente de mes livres.

Et je réalisais alors que cette expression – ce n’est que partie remise – est une de ces formules que nous espérons magiques, qui seraient là pour tenir la mort à l’écart, pour nous bercer dans l’illusion qu’il y aura toujours un après, puisqu’elle promet une sorte de status quo dont, à vrai dire, quand nous arrêtons de nous voiler la face, nous savons tous qu’il n’existe pas.

„You fought the adversary/It was no ordinary fight“

Il y a des groupes qui marquent votre vie, qui l’accompagnent comme une bande-son dont on ne se lasse pas, qu’on écoute par intermittence, parce qu’il y a un nouvel album qui paraît et qui marque, et qui nous donne envie de nous replonger dans une discographie qu’on aime, parce que des mélodies entêtantes resurgissent dans nos têtes – et Mimi et Alan en ont écrit, des mélodies qui marquent, parmi lesquelles je pense spontanément à „Especially Me“, chanson qui met si bien en valeur le chant de Mimi, ou encore l’imparable „No Comprende“. Qu’on réécoute parce que, très simplement, leurs chansons nous manquent comme des gens peuvent en venir à nous manquer.

A rembobiner le fil de ma vie parfois décousue, je me rappelle les séances d’écoute avec Alasdair et Pascale, après que Geert Mets m’eut envoyé en avant-première l’album „Double Negative“ et comment nous l’écoutions dans l’ancien appartement de Pascale, dans un silence religieux, retenant presque notre souffle, avec nos yeux qui pétillaient parce que la musique qu’on entendait nous transperçait. Je me rappelle mon séjour canadien à Toronto, avec Jenny, ma compagne d’alors. Nous logions dans un hôtel un peu cher, un peu hipster, mais en fin de compte très joli et, alors que je lisais un roman dans leur restau-bar en bas, je découvris „Double Negative“ dans ma médiathèque et me demandais comment l’écouter: d’une traite? Chanson par chanson? Lentement? Impatiemment? En boucle, jusqu’à épuisement?

Je me rappelle mes concerts de Low à Berlin, toujours au Festsaal Kreuzberg, toujours avec mon amie Christine, le premier la veille du reboot de la présence luxembourgeoise à la Frankfurter Buchmesse, le dernier en avril – ce sera donc mon tout dernier concert de Low. Je me rappelle Low à la Kulturkirche à Cologne, avec mon éditeur Ian De Toffoli et sa compagne Annick Kieffer, me rappelle un concert de Low à Munich, un autre à l’Ancienne Belgique où un spectateur insulta Alasdair, qui avait osé rompre le silence en éternuant.

Je me rappelle mon tout premier concert de Low, à Williamsburg, avec mes amis Luc Lamesch et Patrick Scholtes, alors fraîchement exilé aux Etats-Unis et dans l’appart duquel nous logions, ce concert auquel j’assistais peu après être sorti d’une relation qui avait failli me coûter la vie et lors duquel je versais de chaudes larmes, touché par la grâce de cette musique, heureux d’être en vie, sachant déjà que j’allais vouloir ponctuer ma vie de concerts de ce groupe.

Je pense à tous ces concerts qui m’ont marqué, qui ont structuré ma vie et, si je me sens à présent un peu comme exposé à la sauvagerie du monde qu’Alan a si bien capturé sur leurs deux derniers albums en déconstruisant complètement et magnifiquement le son de sa guitare, c’est un peu parce que le chant de Mimi émergeant au milieu de ce torrent chaotique manquera à jamais.

Et je pense aujourd’hui à Alan Sparhawk, qui a passé toute sa vie à faire de la musique avec sa femme, de la musique magistrale, unique, de la musique qui durera, qu’on écoutera encore longtemps, j’en mettrai ma main au feu (mais c’est toujours bête, de mettre sa main au feu, car invariablement elle brûle), surtout leurs trois derniers albums, „Ones and Sixes“, „Double Negative“, et le récent „HEY WHAT“.

Je pense à Alan Sparhawk qui chantait, sur ce qui sera donc à jamais leur dernier album, couronné album de l’année en ces pages: „I’ve slept beside you now/For what feels like a thousand years“, et ces mots dédiés à son épouse font vibrer mon corps de tristesse.

Je pense à ce dernier album, où l’enlacement des voix d’Alan et de Mimi au milieu d’un torrent de white noise, d’une instrumentation plus noisy que jamais, devint une belle métaphore – au milieu du bruit des machines, du chaos qu’est devenu le monde, émerge la beauté de deux voix parfaitement accordées, qui se portent et se soutiennent.

Je pense à Alan Sparhawk, qui me parlait, lors de notre interview où nous avions fini par discuter à bâtons rompus, du prochain album qui ne se fera donc jamais, je pense à Alan Sparhawk qui a perdu la voix qui le portait à travers les désillusions dont il parlait, à Alan qui a perdu sa complice, son acolyte. Et rien ne me console, si ce n’est de me replonger dans la discographie riche et belle, sensuelle et triste, du groupe, écoutant d’abord „No Comprende“ – parce qu’il n’y a rien comprendre, à cette vie, juste de la belle musique pour s’en consoler.