L’histoire du temps présent: Qui étaient les putschistes en 1918-19?

L’histoire du temps présent: Qui étaient les putschistes en 1918-19?
Emile Reuter, chef des putschistes en 1918-1919?

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

„Qu’est-ce qu’on nous a délibérément trompés, à des fins souvent politiques, nous, les générations d’après-guerre!“ Cette réaction de lecteur à la chronique hebdomadaire „L’histoire du temps présent“, que mes collègues et moi publions sur radio 100,7 et dans le Tageblatt, revient souvent.

Denis Scuto

Cela me rappelle l’avertissement lancé aux étudiants par les pionniers français de la méthode historique, Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos, dans leur Introduction aux études historiques de 1898: „C’est que la Critique est contraire à l’allure normale de l’intelligence. La tendance spontanée de l’homme est d’ajouter foi aux affirmations et de les reproduire, sans même les distinguer nettement de ses propres observations. Dans la vie de tous les jours, n’acceptons-nous pas indifféremment, sans vérification d’aucune sorte, des on dit, des renseignements anonymes et sans garantie, toutes sortes de ‚documents‘ de médiocre ou de mauvais aloi? (…) L’instinct naturel d’un homme à l’eau est de faire tout ce qu’il faut pour se noyer; apprendre à nager, c’est acquérir l’habitude de réprimer des mouvements spontanés et d’en exécuter d’autres. De même, l’habitude de la Critique n’est pas naturelle; il faut qu’elle soit inculquée, et elle ne devient organique que par des exercices répétés. Ainsi le travail historique est un travail critique par excellence; lorsqu’on s’y livre sans s’être préalablement mis en défense contre l’instinct, on s’y noie.“ Une de ces affirmations que nous acceptons sans le nécessaire esprit critique figurait la semaine dernière dans le titre d’un article du supplément culturel „Die Warte“ du Luxemburger Wort: „Eine Republik Luxemburg hat keinen Bestand.“

La critique, contre-nature et vitale

Il s’agit d’une citation du professeur et écrivain Nicolas Welter, extraite de ses Souvenirs, parus en 1926 sous le titre „Im Dienste“. Welter était le directeur général (ministre) de l’Instruction dans le gouvernement de coalition Emile Reuter, issu des élections pour la Constituante en juillet-août 1918. Un gouvernement sous la présidence du Parti de la Droite, mais dans lequel les partis socialiste, libéral et populaire disposaient d’hommes de confiance. Welter était l’homme de confiance des socialistes. Or, d’après eux, il avait abusé de cette confiance, en défendant en novembre-décembre 1918 la dynastie alors que les socialistes demandaient l’abdication de Marie-Adélaïde et l’instauration de la république.

Le 25 novembre, le Parti socialiste pose un ultimatum au directeur général Nicolas Welter: la suspension de la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde devrait être mise en vigueur endéans deux semaines. Cette suspension des pouvoirs avait été demandée par une motion du 13 novembre 1918 d’Auguste Thorn, député du Parti de la Droite, votée à 36 voix contre deux et dix abstentions: „La Chambre, dans l’intérêt de l’apaisement du pays, exprime le vœu que la Grande-Duchesse s’abstienne de tout acte souverain jusqu’à ce que le peuple, par la voie du référendum, se soit prononcé sur la forme de l’Etat.“

Ce compromis, à savoir un référendum et la suspension de la Grande-Duchesse, avait permis de sauver la dynastie le 13 novembre 1918. En effet, cette première motion avait ouvert la voie vers le vote sur une deuxième motion, celle du libéral Robert Brasseur exigeant la renonciation de la dynastie Nassau-Weilburg au trône grand-ducal. Elle fut rejetée à une courte majorité de 21 voix contre deux et trois abstentions.

La première et si décisive motion, elle, ne fut jamais réalisée. Les pouvoirs de la Grande-Duchesse ne furent pas suspendus. Une fois l’ultimatum expiré, le 11 décembre, Nicolas Welter donna sa démission. Les deux hommes de confiance des libéraux, Auguste Liesch, et des populaires, Auguste Collart, en firent de même, mettant fin au gouvernement Reuter. La Chambre des députés demande le 13 décembre, par 32 voix contre 7, au gouvernement de gérer les affaires courantes en qualité de „ministère d’affaires“. Mais le gouvernement Reuter s’y oppose et n’assiste plus aux séances de la Chambre jusqu’au 14 janvier 1919. La Grande-Duchesse décide de ne rien décider. En d’autres mots, le pays connaît un vide de pouvoir en ce qui concerne l’exécutif, du 13 décembre 1918 jusqu’au 14 janvier 1919, lorsque la nouvelle Grande-Duchesse Charlotte nomme le gouvernement comme „ministère d’affaires“, comme la Chambre l’avait demandé un mois plus tôt. Nicolas Welter décrit cette démission collective dans ses Souvenirs, même s’il n’en détaille pas toutes les conséquences institutionnelles. Mais cette crise ministérielle et ce vide de pouvoir ne sont mentionnés dans aucun manuel d’histoire nationale. Elles ne figurent pas non plus dans la publication officielle „Les Gouvernements du Grand-Duché de Luxembourg depuis 1848“, où le gouvernement Reuter est en place sans interruption de septembre 1918 à mars 1925 et le ministre Welter jusqu’en avril 1921. Le mot „démission“ n’y apparaît pas pour 1918-1919.

Des silences qui en disent long

Voilà comment on traite les aspects de l’histoire nationale qui dérangent: ils n’ont jamais existé. Pourquoi les mentionner au risque de troubler les gens. Pire encore, cela pourrait développer leur esprit critique. Impensable. Mieux vaut passer les faits sous silence. Mieux vaut lisser les discours sur le passé.

Au cas où la complexe réalité historique vous intéresse quand même, je vous propose de commencer avec des sources imprimées comme les comptes rendus de la Chambre des députés de 1918-1919. C’est d’ailleurs plus intéressant à lire que des récits nationaux épurés.

Le vide de pouvoir n’est pas abordé non plus dans l’article d’Antoinette Welter, petite-fille de Nicolas Welter, dans la „Warte“. Sinon, on aurait pu se poser la question de quel droit trois ministres du gouvernement Reuter qui n’est plus, au maximum, qu’un „ministère d’affaires“, se rendent en mission officielle à Paris auprès du ministre français des Affaires étrangères, Stéphen Pichon. Voilà la question que pose un autre, l’historien Gilbert Trausch, en 2005 dans l’une de ses dernières publications: „La stratégie du faible: Le Luxembourg pendant la Première Guerre mondiale (1914-1919)“ (p. 145).

La délégation du gouvernement luxembourgeois reçoit le 23 décembre 1918 à Paris de la part de Pichon la réponse „que le Gouvernement français ne croit pas possible d’avoir des rapports ou des négociations avec le Gouvernement de la grande-duchesse de Luxembourg qu’il considère comme s’étant gravement compromise avec les ennemis de la France“. Cet épisode est, lui, mentionné dans la plupart des manuels d’histoire nationale. Après un blanc de plusieurs semaines en novembre-décembre 1918, le fil du récit est repris. Brièvement, puisqu’il est interrompu de nouveau, entre le 23 décembre 1918 et le 9 janvier 1919, lorsque la Gauche tente une nouvelle fois d’instaurer la république au Luxembourg, période qui n’est de nouveau pas mentionnée dans les manuels.

L’article d’Antoinette Welter et les Souvenirs de son grand-père sont d’un grand intérêt pour ces deux semaines. Entre le 23 décembre 1918 et le 9 janvier 1919, ce n’est plus seulement la Gauche libérale et socialiste, mais encore une partie de la Droite catholique et de ses nouveaux alliés comme Nicolas Welter qui fait des démarches pour se débarrasser de la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde. En négociant la solution Charlotte avec la diplomatie française. L’article dans la „Warte“ revient en détail sur les démarches dans ce sens de Nicolas Welter et de son jeune frère, Eloi, médecin à Paris, auprès d’Armand Mollard qui fut ministre de France au Luxembourg jusqu’à l’invasion et l’occupation du pays par l’armée allemande en 1914.

L’Arbed a besoin d’appuis et de partenaires

Mais ils étaient loin d’être les seuls. Comme l’a relevé récemment Henri Wehenkel dans un article du Lëtzebuerger Land (http://www.land.lu/page/article/537/8537/DEU/index.html), repris dans son livre „Entre chien et loup“, le commissaire de l’Arbed Léon Laval et son cousin, le baron Auguste Jacquinot, directeur de la briqueterie de Bettembourg, se rendent eux aussi à Paris, à la demande d’Emile Reuter, pour négocier la solution Charlotte. La vente des usines allemandes au Luxembourg se profile à l’horizon. L’entrée du capital français dans l’industrie sidérurgique luxembourgeoise, un argument possible pour convaincre le gouvernement français d’accepter le maintien de la dynastie Nassau-Weilburg à travers Charlotte. L’Arbed, de son côté a besoin d’appuis et de partenaires français en vue de la dénonciation du Zollverein qui entre en vigueur le 31 décembre 1918 et pour empêcher la nationalisation des usines au Luxembourg.

Dans la soirée du 9 au 10 janvier 1919, la Grande-Duchesse Marie-Adélaïde signe l’acte d’abdication, rétrodaté au 9 janvier, journée où la république de Luxembourg a été proclamée pas moins de quatre fois et la séance de la Chambre a été suspendue avant que les troupes d’occupation française n’interviennent et ne mettent fin au mouvement révolutionnaire. Le 14 janvier, lorsque la Chambre se réunit à nouveau, une nouvelle Grande-Duchesse monte sur le trône: Charlotte.

Pendant un mois il n’y eut pas de gouvernement, mais ses membres démissionnaires ont continué à agir comme s’ils détenaient ces pouvoirs. Avec le but de sauver la dynastie et la monarchie. Comble de l’histoire, dans nos manuels d’histoire nationale, dans notre „roman national“ sur fond de légendes monarchistes, on reproche aux républicains de 1918-1919 d’avoir tenté un putsch. Or, leur mouvement a échoué notamment parce que leurs représentants à la Chambre ont tenu à respecter la légalité parlementaire. Alors que les membres monarchistes du gouvernement ont usé et abusé de pouvoirs dont ils ne disposaient plus et n’ont pas hésité à appeler à la rescousse, contre leur propre population, les soldats d’une puissance étrangère.

J’y pense, je voulais en fait vous expliquer pourquoi l’affirmation ’qu’une République de Luxembourg n’aurait pas survécu’ est une des nombreuses affirmations sans fondement dont on nous abreuve depuis cent ans. Excusez-moi, mais bon, en tant qu’historien, on ne sait plus par où commencer quand on suit les conseils de Langlois et Seignobos: „Ici, comme en toute science, le point de départ doit être le doute méthodique. Tout ce qui n’est pas prouvé doit rester provisoirement douteux; pour affirmer une proposition il faut apporter des raisons de la croire exacte. Appliqué aux affirmations des documents, le doute méthodique devient la défiance méthodique.“