L’histoire du temps présent: La renaissance de l’empire chinois

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Le 1er octobre, la République populaire de Chine fêtait les 70 ans de sa naissance en grande pompe. Le même jour des milliers de Hongkongais manifestaient pour la défense de leurs libertés. Ces deux événements ont un point de départ qui remonte loin dans le passé, à une époque où la globalisation et le libre-échange furent imposés par la force et dans l’humiliation.

De Vincent Artuso

15.000 soldats, des centaines de chars, des missiles et des avions de combat du dernier cri; après cela un défilé civil comptant pas moins de 100.000 participants. La République populaire de Chine a fêté ses 70 ans ce 1er octobre et elle l’a fait de manière fastueuse et surdimensionnée. „Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation“, a proclamé le président Xi à cette occasion: „Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant.“

Ces mots étaient bien sûr adressés aux rivaux de la Chine, en premier lieu les Etats-Unis. Ils étaient aussi destinés à l’opposition interne, tout particulièrement aux milliers de Hongkongais qui, au même moment, manifestaient pour la préservation de leurs institutions et de leurs libertés héritées de la période britannique. Quand Hongkong fut rétrocédée à la Chine, en 1997, la République populaire s’engagea à y maintenir le multipartisme pendant au moins une cinquantaine d’années. Deng Xiaoping avait résumé le compromis par une formule restée célèbre: „Un pays, deux systèmes.“

Le système politique de Hongkong porte l’empreinte de l’occident. Il est aujourd’hui menacé. Dans le reste de la Chine, le parti communiste exerce, depuis 1949, un pouvoir sans partage. Il a refait de cette nation ce qu’elle a le plus souvent été dans sa très longue histoire: une hyperpuissance à visée impériale. Ce réveil remet en question un ordre international qui était précisément né de l’éclipsement de la Chine. Pour comprendre la situation actuelle il faut remonter à un passé lointain, revenir sur des événements dont on ne fête l’anniversaire ni en Occident, ni en Orient, les guerres de l’opium dont la première éclata il y a exactement 180 ans.

Une voie maritime directe vers les Indes

Avant d’en venir à ces événements, il faut toutefois remonter encore un peu plus loin, s’intéresser au moment où les Européens entrent directement en contact avec l’Extrême-Orient. La voie avait été ouverte par les Portugais, à l’extrême fin du 15e siècle, quand Vasco de Gama débarqua sur la côte occidentale de l’Inde. Moins d’une génération plus tard, le Portugal s’était taillé dans l’Océan indien un empire qui allait des côtes de l’actuel Mozambique à celles de l’actuelle Indonésie. Décrit de cette manière, cela paraît très impressionnant, il ne faut cependant pas s’imaginer que cet Estado da India était un empire colonial au sens moderne.

Les Portugais ne dominaient pas de vastes territoires. Ils avaient mis en place un réseau de comptoirs et de places fortes qui leur permettaient de sécuriser leurs routes maritimes vers les Indes. Dans cette région, il fallait certes compter avec eux mais ils n’étaient qu’un acteur parmi d’autres. Il serait complètement anachronique de croire qu’à cette époque les Etats européens étaient d’une manière ou d’une autre, supérieurs à ceux d’Asie. Les Ottomans, les Séfévides, les Moghols ou les Ming, avaient largement les moyens de les tenir en respect avec leurs richesses immenses, leurs administrations sophistiqués et leurs armées performantes.

Les Européens ne dominaient pas plus les échanges commerciaux, c’était même l’inverse. Le marché asiatique n’était pas très intéressé par leurs produits. Pour obtenir les épices, les étoffes, les produits de luxe dont ils raffolaient tant, les Occidentaux devaient payer en espèces sonnantes et trébuchantes, or ou argent. La balance commerciale avec l’Asie fut longtemps clairement déficitaire pour l’Europe. Ce n’est qu’à la fin du 18e siècle que la situation se retourna.

Révolution industrielle

Les Hollandais supplantèrent les Portugais en tant que principale puissance européenne dans l’océan Indien, au 17e siècle. Au siècle suivant, il durent à leur tour céder la place aux Français et aux Britanniques. A l’issue de la guerre de Sept ans, la première guerre véritablement mondiale, ces derniers chassèrent leurs rivaux d’Amérique du Nord et d’Inde. Si la force des armes permit aux Britanniques de s’imposer face à leurs concurrents occidentaux, la Révolution industrielle leur donna les moyens de soumettre leurs partenaires commerciaux asiatiques en les transformant en débiteurs.

L’Inde produisait au 18e siècle un quart des biens manufacturés mondiaux. Ses cotonnades, les „indiennes“, étaient très appréciées, notamment en Europe, en raison de leur excellent rapport qualité/prix. Les Britanniques en importèrent énormément, jusqu’à ce que l’introduction de machines dans leur industrie textile leur permette de renverser la vapeur. Rendus plus compétitifs grâce au travail mécanique – et suite à la levée de toute restriction à leur importation – les produits britanniques inondèrent le marché indien. L’industrie locale finit par s’écrouler et l’économie du sous-continent fut réorientée vers la production de matières premières.

Les Indiens devaient dorénavant payer les textiles qu’ils achetaient de Grande-Bretagne en chanvre, en coton ou en indigo. Mais c’était surtout l’opium qui intéressait leurs créanciers britanniques. La contrebande de cette drogue rééquilibrait la balance des paiements, autrement très déficitaire, qu’ils avaient avec la Chine. C’était le seul produit qu’ils arrivaient à écouler massivement sur ce marché quasiment verrouillé et très peu intéressé par les biens étrangers. Les Britanniques, à l’inverse, ne pouvaient plus se passer d’une denrée que les Chinois étaient alors les seuls à proposer: le thé. En 1720, ils en importèrent près de 13.000 tonnes, en 1830 plus de 360.000.

Narcotrafic britannique en Chine

La Chine comptait, au début du 19e siècle, près de 400 millions d’habitants. C’était une puissance sûre d’elle-même, peu intéressée par le monde qui s’étendait au-delà de frontières qui la ceignaient et par-delà les mers qui la bordaient. Ayant une économie diversifiée, son idéal était de vivre en autarcie. Seul le port de Canton était ouvert au commerce international. C’est ici que les Britanniques venaient se fournir en thé. Le pouvoir impérial y trouvait son compte tant que ce commerce lui rapportait des métaux précieux. Or à partir des années 1830, les Britanniques rapportaient moins d’argent à la Chine qu’ils n’y déversaient de narcotiques. La balance des paiements s’était inversée en leur faveur.

Pour les autorités chinoises cela était d’autant plus inacceptable que la consommation de cette substance, par ailleurs interdite, commençait à avoir des répercussions sérieuses sur la vitalité de la société. La mortalité était en hausse, la productivité en baisse. En 1839, l’empereur rejeta les propositions britanniques de légaliser et de taxer le trafic d’opium. Un haut-fonctionnaire, Lin Zexu, fut chargé de la lutte contre ce fléau. L’une de ses initiatives fut d’abord d’adresser une lettre à la reine Victoria, dans laquelle, en appelant à son sens moral, il lui demandait d’intervenir. N’ayant reçu aucune réponse il ordonna que soient saisis les cargaisons d’opium de marchands britanniques de Canton et les fit détruire. Cela fournit aux Britanniques le prétexte pour déclarer la guerre à la Chine. La première guerre de l’opium venait de commencer.

Pour lord Henry Palmerston, Premier ministre de Sa Majesté, l’enjeu du conflit n’était pas de laver un affront mais de contraindre les Chinois à abandonner leur politique protectionniste. Il s’agissait en quelque sorte d’une croisade pour le libre-échange. Elle se termina en 1842 par une victoire britannique. Les Chinois durent ouvrir cinq de leurs ports aux commerces avec les Occidentaux. Ils durent aussi céder Hongkong, qui resta britannique jusqu’à la fin du 20e siècle. Le commerce de l’opium restait en revanche illégal. Ceux qui le pratiquaient encouraient la peine de mort, qu’ils soit Chinois où Occidentaux. Cela mena à un nouveau conflit, en 1856.

Guerre de l’opium

Dans cette seconde guerre de l’opium, les Britanniques purent compter sur l’appui des Français mais aussi des Américains et des Russes. Rapidement les combats tournèrent en leur faveur. En 1860, les troupes occidentales prirent Pékin. Les palais d’été furent mis à sac puis incendiés. Battus et humiliés, les Chinois durent signer le premier des „traités inégaux“. Onze ports devaient désormais être ouverts au commerce, les droits de douane sur les produits occidentaux étaient réduits à un minimum.

Le pouvoir impérial ne se remit jamais complètement de cette catastrophe. Dans les décennies qui suivirent, la Chine connut une suite ininterrompue d’interventions étrangères, de soulèvements intérieurs et de guerres civiles. Ce cycle ne fut interrompu qu’en 1949 lorsque Mao Zedong restaura un semblant d’unité et réincarna l’Empire du milieu en République populaire.

Cette histoire révèle certains faits qui sont en contradiction avec l’idéologie de boutiquiers qui domine aujourd’hui l’Occident. La première est que le libre-échange n’est pas une garantie de paix. La deuxième est que l’économie de marché ne mène pas automatiquement à la démocratie. En Chine, elle a été imposée par les armes et à conduit à la dictature du parti communiste. Celle-ci est d’autant plus acceptée par les Chinois qu’elle a d’abord mis fin à une période de déclin et d’anarchie et qu’elle a ensuite rendu sa puissance à une vieille nation. Qu’elle en a fait le challenger des Etats-Unis.

La troisième est que la globalisation n’est pas que ce phénomène irénique qui amène les peuples à se respecter en se rencontrant et en échangeant. Au 19e siècle elle est née de la soif de puissance et de la cupidité. Aujourd’hui encore, sa dynamique ne semble pas mener à une unification de l’Humanité mais à la formation de grands blocs antagonistes. Il est intéressant, à ce sujet, de noter que le principal argument utilisé pour maintenir en vie le processus d’unification européenne, plutôt moribond, est la peur d’être écrasé entre la Chine et les Etats-Unis. C’est que, malgré nos illusions néolibérales, nous nous souvenons de la leçon infligée à la Chine il y a longtemps: la guerre n’est que la simple continuation du business par d’autres moyens.