FranceLes violences du week-end vont-elles se reproduire?

France / Les violences du week-end vont-elles se reproduire?
Des policiers tirent des grenades lacrymogènes en direction de manifestants  Photo: AFP/Thibaud Moritz

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Une dixième journée nationale de protestation contre la réforme des retraites, juridiquement réputée, adoptée du fait du double échec des motions de censure de la semaine dernière, mais non pas explicitement votée par l’Assemblée nationale, est organisée ce mardi. C’est peu dire qu’elle s’ouvre sur des incertitudes multiples.

La première concerne, comme toujours, l’affluence qui sera observée dans les cortèges. La précédente, jeudi dernier, avait surpris les autorités en affichant, après une érosion des chiffres, un sensible rebond. Qu’en sera-t-il aujourd’hui? Selon une note des Renseignements territoriaux, entre 650.000 et 900.000 manifestants devraient se mobiliser sur l’ensemble de l’Hexagone, dont 70.000 à 100.000 dans la capitale.

L’exécutif pourrait à la rigueur considérer de tels chiffres, surtout dans le bas de la fourchette, comme un signe de (très relatif) essoufflement. Mais il en est un autre qui inquiète beaucoup plus l’Elysée: celui de la participation des jeunes, qui pourrait doubler, voire tripler ce mardi, par rapport au 23 mars. Le pouvoir redoute en effet qu’après avoir longtemps paru assez indifférents au conflit, les étudiants ne se mobilisent à leur tour.

Une autre interrogation, sans doute plus anxiogène encore pour le gouvernement comme pour une partie de l’opinion, porte sur le degré de violence que pourront atteindre les affrontements entre casseurs et forces de l’ordre. Déjà, les manifestations de jeudi dernier s’étaient terminées par des scènes d’une rare brutalité, avec notamment des dizaines de débuts d’incendies. Mais le week-end passé a porté, sur le site de Sainte-Soline, dans l’Ouest de la France, où doit être installée une vaste réserve d’eau destinée à permettre aux agriculteurs de la région un arrosage de leurs champs en été – ce qui n’a donc aucun rapport avec la réforme des retraites – la violence anti-policière à son paroxysme, et la riposte des gendarmes aussi.

Macron se rêve en chef du „parti de l’ordre“

Cet épisode a clairement marqué un tournant, avec l’intervention d’un bon millier de militants – ou faut-il dire plutôt: de combattants? – d’extrême gauche, français et européens, sans grand rapport avec les méthodes des écologistes qui avaient appelé à cette manifestation, pourtant interdite, élus en tête. Ces casseurs très politiques agissaient en formation quasi-militaire (par exemple avec des attaques soit en colonne, soit en formation dite „en tortue“), avec des explosifs, des cocktails Molotov, de l’acide, des couteaux, des haches, et bien entendu d’innombrables projectiles. Ils ont incendié de nombreux véhicules de la gendarmerie, démoli le matériel public qui était déjà installé, et fait près de cinquante blessés parmi les policiers. Lesquels n’ont pas eu la main légère dans leur riposte …

Certes, les manifestations d’aujourd’hui vont être solidement encadrées, elles, par le service d’ordre de l’intersyndicale; et de son côté, la préfecture de police de Paris a annoncé que son dispositif serait „costaud“ pour éviter la répétition d’un tel déferlement d’hyper-violence. Mais on n’en redoute pas moins, du côté du pouvoir, que ne continue de s’installer une dérive aux conséquences imprévisibles. Et cela d’autant plus que politiquement, les espoirs d’éclaircies se font attendre.

D’abord parce qu’Emmanuel Macron ne démord pas de ses intentions d’appliquer la réforme dans les délais prévus: même l’idée d’une pause dans sa mise en œuvre (qui ne réglerait d’ailleurs rien sur le fond) semble lui rester étrangère. Il paraît même chercher à incarner, face aux contestataires violents, le camp de l’ordre. Souvenir de mai 68? Mais à l’époque, le ressort de l’agitation n’était pas le rejet d’une loi, c’était surtout une grande aspiration à l’ouverture et à la modernité, de l’université comme des relations du travail. Et puis il y avait à l’Elysée, en la personne de De Gaulle, un chef susceptible de refaire une certaine unité nationale le moment venu …

Vers un „référendum populaire“?

Ensuite, les ouvertures du chef de l’Etat comme de sa première ministre sur le thème: „Nous sommes prêts à recevoir les syndicats“ se heurtent obstinément au fait que les discussions évoquées porteraient certes sur différentes questions sociales, mais surtout pas sur ce qui suscite actuellement ce mouvement de révolte: la réforme des retraites. On comprend que les intéressés ne se pressent pas de prendre rendez-vous … Et comment espérer, dans ces conditions, renouer enfin le dialogue social par lequel on aurait dû commencer, non finir?

Enfin, au-delà des grèves et des manifestations, et à supposer que la réforme ne soit pas partiellement retoquée par le Conseil constitutionnel, se profile pour le pouvoir une autre menace: celle d’un „référendum d’initiative populaire“ (RIP) contre la réforme. Pour être activée, cette procédure suppose qu’un cinquième de l’ensemble des parlementaires et 10% au moins du corps électoral le demande.

Le premier de ces chiffres est déjà atteint; vu l’ampleur du mécontentement de l’opinion, le second ne paraît aucunement hors de portée. Encore faudrait-il, bien sûr, s’entendre entre opposants sur une formulation de la question sur laquelle il s’agirait d’appeler les Français à statuer. Du moins l’idée flotte-t-elle actuellement dans l’air avec insistance. C’est dire combien, de toute façon, la journée d’aujourd’hui a peu de chances de mettre un terme aux tourments des uns et des autres.