Film„Les Intranquilles“, une tendresse bipolaire

Film / „Les Intranquilles“, une tendresse bipolaire
Damien Bonnard joue Damien, un artiste peintre bipolaire (C) Fabrizio Maltese

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S’il ne prend pas ses médicaments, l’artiste peintre Damien (Damien Bonnard) ne tourne pas rond. Sa femme Leïla (Leïla Bekhti) le connaît son Damien, avec ses sautes d’humeur, ses mensonges, ses éclats. Il est invivable, il régurgite ses médicaments, en cachette. Ce n’est pas de sa faute. On appelle ça bipolarité. Damien souffre. Leïla l’aime. Il le faut. Elle maintient le lien. Pour le couple, pour le fils.

Joachim Lafosse filme au plus près cette histoire d’amour gangrenée par la maladie. Ces intranquilles n’ont aucun répit. La maladie est usante. Barbu, revêche, Damien Bonnard incarne ce cas clinique. Son sourire attendrissant pardonne tout. Leïla restaure des meubles anciens. Usée, combative, elle veut remettre à neuf la famille blessée. Ca ira mieux? Leïla Bekhti et Damien Bonnard sont exceptionnels devant la caméra du cinéaste belge, „spécialisé“ dans les histoires de couples déchirés. En compétition au dernier Festival de Cannes, „Les Intranquilles“, une coproduction luxembourgeoise (Samsa), curieusement, n’a récolté aucune récompense. Rencontre avec Leïla Bekhti et Damien Bonnard sur la Croisette.

Tageblatt: Comment interpréter un artiste dans l’acte de peindre?

Damien Bonnard: Joachim voulait que le personnage soit photographe, mais quand il a su que j’avais fait les Beaux-Arts et que j’avais longtemps travaillé avec Marthe Wéry (peintre minimaliste belge, 1930-2005) à Bruxelles, il a changé. Il a senti que j’étais capable d’interpréter ce peintre Damien, et que j’en avais envie. J’ai travaillé avec le peintre belge Piet Raemdonck, au plus près de son style. Nous avons reconstitué son atelier dans une maison au Grand-Duché du Luxembourg où le film a été tourné en grande partie.

Vous incarnez une épouse au bout du rouleau, lassée de ces montagnes russes d’émotions. Ce rôle vous a-t-il fait peur?

Leïla Bekhti: Oui, un peu. Je ne parle pas des peurs qui me paralysent, mais de la peur qui donne envie. Si je lis un script et que je n’ai pas peur d’incarner un rôle, c’est moins excitant. Le personnage de Leïla peut tomber facilement dans la position de victime. Or, c’est quelqu’un qui refuse de subir et qui se bat. En même temps, elle décide de soutenir son mari parce qu’elle l’aime profondément. Aujourd’hui, on pourrait se dire qu’elle se sacrifie. Effectivement, elle a pris quinze kilos en dix ans parce qu’elle stresse. Mais elle tient le coup, par amour. C’est plus rock ’n roll d’essayer de maintenir le lien du couple alors qu’aujourd’hui, c’est très facile de se séparer. Il n’y a rien plus irrationnel que l’amour. Le film parle de ça. Il parle aussi de folie du quotidien qui nous embarque. Elle est contagieuse. L’idée que Leïla qui est très lucide, qui pense le rester alors qu’elle ne l’est plus du tout, m’a beaucoup plus.

Le personnage de Damien est sans limite. Comment l’incarner sans qu’il ne devienne (trop) caricatural?

D.B.: Il me fallait doser en permanence avec Joachim. Je ne connais pas tous ces moments de violence où j’explose dans la vie. Donc j’ai bossé avec plein de gens: un boxeur, des psychiatres, des patients et un ami qui ont cette maladie. Pendant mon entraînement de catamaran, j’ai demandé à provoquer moi-même un dessalage (lorsque le bateau se retourne et plonge dans la houle) pour voir ce qui se passait. Je me suis fait éjecté à 10 mètres, en pleine mer, il m’a fallu rattraper le bateau, le ramener, baisser les voiles … Cela m’a servi pour chercher à quel moment on switch, comment on passe d’un état à un autre. J’avais besoin de cet accident pour entrer en état de bipolarité. Bizarrement, je pensais que les phases de dépression auraient été des choses faciles à jouer. Mais, en réalité, pour créer de la non-énergie, il faut une énergie de dingue. Autant dans les phases de maniaque et d’euphorie, je ressentais une vraie joie parce que je pouvais déployer des choses, mais la dépression, elle, elle m’a anéanti. Je préfère la fatigue physique.

Les personnages portent vos prénoms. Cela vous a-t-il agacé, voire dérangé?

L.B.: Joachim a écrit plusieurs versions. Au final, cela nous a arrangés de porter nos prénoms réels sur le plateau. C’était plus simple, y compris pour sortir du rôle. J’ai pensé à Adèle (Exarchopoulos). Je ne pense pas qu’elle aurait moins bien joué si elle s’était appelée Adeline (dans „La vie d’Adèle, Chapitre 1 et 2“, ndlr).

D.B.: L’idée m’a plu tout de suite.

Damien rechigne à prendre ses médicaments. Un sentiment d’impuissance s’installe …

L.B.: Il touche le quotidien. Ramener notre fils à l’école devient fou. En même temps, Leïla, dans le film, n’est pas du tout artiste. Artisane, elle adore restaurer des meubles. Elle ne comprend absolument pas quand Damien parle de ses toiles parce que, lui, il est en folie créative. Quand il prend ses médicaments, il se sent éteint et il sent bien qu’il ne crée plus. C’est pour ça qu’il dit „Peindre, c’est ma vie“. Mais sa vie aussi, c’est sa femme et son fils. Le couple est le lien le plus compliqué, qu’on soit malade ou pas.

„Je ne peux pas te promettre que je guérirai“, dit Damien …

D.B.: On ne sait pas, en fait. C’est une maladie qui peut arriver une fois et ne jamais se reproduire. On peut avoir une seule crise dans sa vie, en avoir tous les jours pendant vingt ans et puis plus jamais. C’est tellement incertain. Je peux promettre d’essayer que ça aille mieux, mais, en vrai, je ne peux donner aucune garantie. C’est un message d’espoir.

„Les Intranquilles“ de Joachim Lafosse. Avec: Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah. En salle mercredi 6 octobre.