Les fissures du 22 mars – Charles Declercq lutte contre le stress post-traumatique

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Trois ans ont passé, mais la reconstruction des victimes du terrorisme est toujours aussi difficile. Une rencontre avec Charles Declercq, rescapé des attentats.

Vendredi, plusieurs cérémonies de commémorations du 22 mars 2016 ont rendu hommage aux victimes et à leurs proches. Charles Declercq, rescapé de l’explosion dans la rame de métro Maelbeek, n’a pas participé aux recueillements prévus à Bruxelles et à Zaventem. Une façon de manifester sa colère contre les autorités? „Pas du tout. Le 22 mars reste une journée particulière“, répond Charles Declercq, prêtre de paroisse et critique de cinéma bruxellois. „Je comprends que des survivants, des familles ou des proches des victimes souhaitent se rassembler et commémorer ensemble la douleur. Je ne suis pas de ceux-là. Je ne veux tout simplement pas revivre ce passé dramatique.“ Mise à distance. Pour avancer, sans oublier.

Mardi 22 mars 2016. Un matin comme les autres. Charles Declercq, prend le métro, en route pour une projection de presse du film „Batman v Superman“. „Ce mardi-là, pressé par le temps, je me suis engouffré in extremis dans la première voiture du métro, ce que je ne faisais jamais. Quelques minutes plus tard, une déflagration, des vitres tombent sur mes jambes, plus de lumière, la fumée, les cris … C’était dans la deuxième voiture. Là où je devais être et où se trouvait le terroriste kamikaze. Je ne savais pas où j’étais. J’étais asphyxié. J’avais besoin d’air. J’ai réussi à m’enfuir par une des sorties de la station de métro Maelbeek.“ Charles Declercq n’est pas blessé. Malgré des maux de tête „fous“, il rejoint, à pied, son domicile. Il poste le drame sur Facebook.

„Charles est encore sur un nuage“

L’après-midi, il rejoint, toujours à pied, l’antenne bruxelloise de la radio RCF (Radio chrétienne francophone) pour sa chronique cinéma. Sauf, que cet après-midi du 22 mars 2016, c’est un autre film. Charles raconte sa terrible épreuve subie le matin même. „J’étais comme observateur de moi-même, je répondais aux questions en professionnel. Je voulais montrer que ces terroristes voulaient tuer notre pensée. J’ai fait mon émission pour défendre la culture, même celle des loisirs comme le cinéma.“ La directrice de la radio qui l’avait interviewé déclare: „Charles est encore sur un nuage.“

S’enchaînent très vite une vingtaine d’interviews qu’il accorde, du haut de „son nuage“, à des journalistes belges, français, canadien, danois. Les médias ont trouvé „le“ témoignage d’un vivant parmi les morts. Au bout de 15 jours, Charles refuse tout interview. Il a assez dit. Il ne veut pas devenir une figure médiatique. Il préfère le silence: „Laissez-moi tranquille, il y a d’autres victimes que moi. Je sens que je vais craquer.“ Trois jours plus tard, Charles le survivant s’effondre. Il pleure. La carapace a fini par craquer.

Dans les premières semaines, c’était important de pouvoir refaire le film. D’avoir un déroulement clair et cohérent des événements, d’arriver à rendre tout ce qui était irréel, réel. Pas si simple. „Pendant deux, trois semaines après les attaques, je faisais des câlins à tout le monde, en pleurant … parce que je n’en pouvais plus de ce que j’avais vécu. En plus, je me sentais coupable d’avoir réchappé. Certains tendent à minimiser un stress psychologique, moins grave qu’une blessure. On ne voit pas une blessure psychologique guérir. Je ne me sentais pas autorisé à faire valoir que j’étais une victime. Il m’était nécessaire de voir des gens comme moi qui n’ont pas de blessures physiques mais qui ont subi ce choc de voir un monde s’écrouler autour d’eux.“ Charles retient ses larmes.

Mots après mots

La STIB (Société des transports intercommunaux de Bruxelles) lui octroie un suivi psychologique de cinq séances. Charles se sent aidé, écouté. Il surmonte le choc, mots après mots. Pas complètement: „Je pense que cinq séances ne suffisent pas. 20, 30 ou 50 séances n’auraient rien arrangé du tout. En fait, j’aurais voulu avoir la possibilité d’une aide psychologique à la demande, peut-être jamais. Ce choc psychologique ne se règle pas en quelques semaines. En fait, cela ne se règle jamais.“

Charles nous raconte tout cela comme si c’était hier. Aujourd’hui, c’est encore là.
Tout ce qu’il avait enfoui, très vite, resurgit avec puissance et netteté. „Rien n’a disparu de ma mémoire. On ne saura jamais faire disparaître ce que j’ai vécu.“ Charles a repris le métro assez rapidement après les faits. „Mais il m’a fallu trois mois pour refaire le chemin que j’avais fait le 22 mars 2016. J’étais fier d’avoir refait ma fuite. J’ai envoyé un message à ma psychothérapeute. Ce jour-là, j’avais fait mon deuil.“

Seule différence: il évite les foules, dans le métro qu’il prend régulièrement. Il change voiture dès que l’angoisse monte. Surtout, il lui reste l’odeur. „Aujourd’hui encore, je sens la fumée, psychologiquement. Quand le métro freine, l’odeur des freins sur le métal m’envahit. Je m’en souviens, plus que des corps et de la rame éventrée. Le stress, toujours présent, rend la vie pénible.“

Une fissure subsiste

Depuis quelques mois, il possède une carte „Reconnu titulaire du statut de solidarité nationale pour les victimes d’actes de terrorisme“. Cette reconnaissance, il la met dans un tiroir. „Elle m’offre la gratuité des transports sur la STIB. C’est symbolique.“ Une fissure subsiste: „Je voudrais revoir les gens qui étaient dans la même voiture que moi. On a vécu un moment intense ensemble. On a été reliés par une bombe. Un rêve impossible. Je n’y crois plus. A un moment donné, il faut arrêter, tourner la page. Il est impossible de retrouver ces gens-là pendant les cérémonies.“

Voit-il aujourd’hui la vie différemment? „On reconsidère des choses“, confie Charles Declercq. „J’ai vécu le tragique de l’existence humaine, c’est-à-dire ma mortalité. Je le savais avant, mais pas de la même connaissance. Je me suis rendu compte que ma vie prendrait fin un jour et que ce jour-là aurait pu être le 22 mars 2016. Je profite de l’instant présent. Avec la conscience que mes jours sont comptés, maintenant.“

Mais c’est parfois sur un événement qui peut sembler anodin que les souvenirs remontent. Vendredi matin, jour du troisième anniversaire des attentats, Charles se surprend à refaire le chemin de sa fuite du métro, qu’il avait pris il y a trois ans. Il se rend à la projection de presse „Grâce à Dieu“ de François Ozon. „Voir ce film dans ces circonstances-là était surprenant“ reconnaît le prêtre de paroisse. Drôle de journée. „J’ai été pris par l’émotion de ces détresses d’enfants victimes de pédophilie, que je reconnais un peu partout dans l’institution dont je fais partie. Je l’ai vu comme une protection d’abord de l’institution avant le regard sur les victimes. Elles m’ont fait penser aux victimes du 22 mars 2016. Quelle est la place de la victime dans nos sociétés? Quand un abbé me dit ,Le doigt de dieu était sur vous‘, je lui réponds, ,et sur les 32 autres victimes alors?‘ Dieu n’a rien à voir avec cela. Ce discours religieux m’insupporte complètement“, s’indigne le prêtre et journaliste. „Je m’en suis sorti, mais pas grâce à Dieu. De la violence comme celle-là, illégitime et celle qu’on voudrait légitime, est la fragilité du monde. Ni Dieu, ni Allah ne fait que ce déchaînement arrive.“

Les questions se bousculent

Charles Declercq n’assistera probablement pas au procès des attentats (attendu pour 2020): „Tous ces gens-là sont présumés innocents. Même si, dans notre cœur, on sait qu’ils ont fait des choses terribles.“

Qu’est ce qui amené ces gens-là à nous agresser? Qu’a-t-on a fait en Irak, en Syrie? Quel est ce cri de colère qui fait que des gens ont besoin de violence fût-elle religieuse? Pourquoi comprennent-ils mal leur dieu? Quelle image les chrétiens ont-ils de Dieu? Les questions se bousculent.

„Je rêve aussi d’un islam où on montre d’autres images d’Allah que celles que certains veulent faire passer“, raconte Charles. „Nous avons tous nos endoctrinements. C’est une même haine de l’autre, différent, qui ne pense et ne fait pas comme moi. Croire que ce fond de mal dans notre humanité n’est pas présent, c’est se dédouaner trop facilement.“