PhotographieLe kaïros du photographe: „Romain Urhausen dans son temps“ aux Rencontres d’Arles 2022

Photographie / Le kaïros du photographe: „Romain Urhausen dans son temps“ aux Rencontres d’Arles 2022
Au-delà de la qualité des photos, c’est la scénographie intelligente de l’exposition qui convainc (C) Romain Girtgen/ CNA

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Avec „Romain Urhausen dans son temps“, Lët’z Arles et Paul Di Felice inaugurent une exposition qui met l’œuvre de cet artiste à cheval entre l’école humaniste française et l’école subjective allemande en contexte avec les photographes de son époque – et rend un hommage saisissant à la beauté et l’innovation du travail d’un photographe hors normes.

„C’est dommage qu’il n’en ait plus fait après“, regrette Sam Tanson („déi gréng“), ministre de la Culture, lors des discours officiels qui accompagnent le vernissage de l’exposition Romain Urhausen dans la pittoresque cour de l’espace Van Gogh, faisant allusion au fait que ce touche-à-tout, après une période créative qui avait atteint son apogée dans les années 50 et 60, se soit tourné vers d’autres centres d’intérêt, comme l’architecture, le design intérieur et la réalisation de films.

„Romain Urhausen dans son temps“ est, avec celle dédiée à Lee Miller, qu’Urhausen admirait par ailleurs (qui aurait donc été content de se savoir exposé dans un même espace que la photographe américaine), une des rares expos à caractère plus historique de cette 53e édition des Rencontres consacrée surtout à la photographie féminine contemporaine, comme nous le dira aussi Cécilia Zunt-Radot. Et le succès, poursuit la coordinatrice de Lët’z Arles, est plus qu’au rendez-vous, ce que confirment de premiers échos enthousiastes.

Conçue en six chapitres qui élucident autant d’aspects du travail d’Urhausen, l’expo est construite de façon à mettre son œuvre dans le contexte des années 50 et 60, de le faire dialoguer avec d’autres photographes de son temps – certain·e·s avec qui il a exposé, d’autres qu’il a connus et fréquentés.

Cette mise en contexte, qui est faite de façon intelligente et subtile, crée des échos et des résonances non seulement entre les photographies d’Urhausen et celles d’un Doisneau ou d’un Cartier-Bresson, mais tisse aussi tout un réseau de liens et de parallèles au sein de l’œuvre d’Urhausen lui-même, permettant ainsi de le voir comme un artiste qui a fait le pont entre la photographie humaniste française et la photographie subjective allemande – ce dont témoigne aussi sa formation, puisqu’après un passage à l’École technique de photographie et de cinéma à Paris de 1950 à 1951, il rejoint le cours d’Otto Steinert à Sarrebruck avant de retourner au Luxembourg en 1953, où son travail sera marqué par les deux écoles.

„En entrant dans l’expo, on délaisse en quelque sorte le quotidien contemporain pour se plonger dans celui de l’époque de Romain“, explique Paul Di Felice, curateur et architecte de cette exposition finement conçue, en nous guidant à travers la première partie de l’expo, consacrée à des momentanés de la vie de tous les jours et où c’est avant tout le croisement des regards et le jeu avec le hors-champ qui impressionne.

En témoigne cette photo où l’on voit une femme qui semble se couvrir la tête avec son sac et qui se retourne, surprise, contemplant peut-être le photographe ou un passant derrière elle et qui paraît comme accuser le voyeurisme du contemplateur. D’entrée de jeu, l’humour de l’artiste, qu’on retrouvera dans ses autoportraits loufoques, saisit: sur une photo, un décorateur traverse la rue avec le tronc d’une mannequin sous le bras et un air de coupable.

Romain Urhausen, Sans titre, Luxembourg, années 1950-1960 
Romain Urhausen, Sans titre, Luxembourg, années 1950-1960  © Romain Urhausen/ Collection de l’artiste

Vers une muséalisation de la photo

Le travail d’Urhausen s’inscrit dans un temps où la photographie était largement absente des musées. On la considérait alors comme un art plus ornemental ou pragmatique, qu’on utilisait à des fins illustratives, dans des magazines, ou publicitaires – sauf aux États-Unis, où le MoMA exhibait dès les années 1950 des photos, notamment lors d’une exposition organisée par Edward Steichen, „Postwar European Photography“, pour laquelle Steichen avait retenu quatre photos de Romain Urhausen, dont deux figurent dans l’exposition.

En Europe, on devait attendre les années 1980 avant qu’une telle consécration muséale de l’art photographique se fasse et que la photographie passe lentement du statut d’art décoratif à celui d’art tout court. Chez Urhausen, cette distinction entre photographie artistique et photographie commerciale n’a pas lieu d’être – on s’en aperçoit en contemplant une photographie réalisée pour Maggi, où l’objet publicitaire s’efface derrière un rideau qui s’apparente à celui qu’on doit écarter pour pénétrer dans l’exposition. „Même pour des travaux de commande, il faisait des photos artistiques“, explique Di Felice.

Capturer la poésie du quotidien, extraire quelque chose de drôle ou de touchant de la masse insigne et informe du réel, c’est ce qu’Urhausen savait faire, toujours avec une certaine malice, ce que confirment les photographies réalisées pour son livre „Les Halles“ – un ouvrage réalisé avec Jacques Prévert, qui lui fournit les textes (imprimés, comme nous le précise Di Felice, sur le papier qu’on utilisait alors pour emballer la viande) et dont il fit aussi le portrait. Cette collaboration s’inscrit dans la logique du travail d’Urhausen, qui, plutôt que de donner des titres et de dater ses photos, les accompagnait souvent de poèmes ou de citations d’auteurs, désancrant l’œuvre de son actualité, de son contexte et de son inscription temporelle pour la faire entrer dans un monde artistique, intemporel et subjectif.

Que ce soient les photographies en couleur, très picturales, „presque expressionnistes“, comme le dit Di Felice, celles des étalages où Urhausen insiste sur l’accumulation de marchandises au détriment de l’humain qui s’effacerait presque derrière les empilements de radis, celles, nocturnes, où le travail sur la forme prédomine ou celles, enfin, où des têtes de veau semblent nous narguer et qui dépassent le caractère glauque du sujet représenté pour le transcender en quelque chose de touchant, voire de presque comique: toutes ces photos traduisent un effort sur la forme, une façon de saisir le réel, de le recréer à travers le regard, la structure, la composition.

 Romain Urhausen, Sans titre, Les Halles, Paris, années 1950-1960
Romain Urhausen, Sans titre, Les Halles, Paris, années 1950-1960  © Romain Urhausen / Succession de l’artiste

Désenfouir le passé

La même chose vaut pour la section suivante, où sont accrochées ses photographies sur le monde de la sidérurgie, qui représentent tout un univers enfoui, disparu aujourd’hui, dont les signifiants orphelins désormais de leurs signifiés – les hauts-fourneaux éteints, les ateliers – sont disséminés à travers le sud du grand-duché, anciens géants sommeillant au milieu de banques et autres cartons à chaussures surdimensionnés à Belval.

C’est un univers que raconte aussi Jean Portante dans son monologue „Frontalier“, que les intéressés pourront aller voir à un jet de pierre d’Arles (bon, ce serait alors une pierre projetée de toutes forces par un de ces lanceurs de poids à carrure impressionnante qu’on voit aux JO, puisqu’il faut quand même compter un peu de trajet entre les deux villes, mais je pense vous m’avez compris): la pièce sera jouée à Avignon dans le cadre du festival off jusqu’à la fin du mois.

En juxtaposant les photos de Monika von Boch prises à Dillingen à celles de la Schmelz de Romain Urhausen, l’expo met en évidence une même passion pour le jeu formel, pour faire ressortir les forts contrastes d’un monde où le noir des puits d’extraction côtoyait le blanc aveuglant des étincelles et du feu – mais une telle mise en parallèle montre aussi la monotonie d’un travail partout pareil, partout pareillement exténuant, éreintant.

„Ses photos les plus marquantes, Romain les a prises à Paris, en Allemagne – notamment à Dortmund, où il a vécu – et dans le sud du Luxembourg, où l’on se rend compte au mieux de cette expressivité qui lui importait tant“, dira Paul di Felice alors qu’on le suit de son pas déterminé à travers Arles, qui rejoint alors la Librairie des Palais, où il présentera le bel ouvrage qui accompagne l’exposition – un ouvrage édité par delpire & co et qui se veut bien plus qu’un simple catalogue d’expo.

C’est lors de la présentation du livre devant ladite librairie, sur une terrasse improvisée que viennent perturber le bruit des voitures qui passent, qu’on attirait notre attention sur un défi de taille que devaient affronter le curateur (qui signe un beau texte dans le livre) et la maison d’édition, puisque Romain Urhausen n’accordait pas une grande importance aux annotations et datations, de sorte qu’il était difficile d’en replacer certaines dans la chronologie, certaines erreurs ayant pu être détectées grâce au sens d’observation de Stuart Alexander, directeur éditorial de delpire & co, qui remarquait que telle ou telle voiture n’existait pas encore en telle année, permettant ainsi de redresser des erreurs.

Dans sa façon de représenter le monde de la sidérurgie, d’incorporer des éléments graphiques, de donner à voir le paysage industriel, ses structures, ses échafaudages d’une façon à la fois abstraite et terriblement concrète, cette série annonce en quelque sorte la section suivante, où le côté expérimental de l’artiste est mis en valeur et où le travail sur la technique prend le dessus: l’on y trouve des photogrammes, des luminogrammes ou des négatifs, certaines photos ressemblant à de la peinture abstraite.

Romain Urhausen, Sans titre, années 1950-1960
Romain Urhausen, Sans titre, années 1950-1960  © Romain Urhausen / Succession de l’artiste

Un travail de longue haleine

On retrouve le même souci de construction et de déconstruction formelle dans les deux dernières sections, consacrées aux nus et à l’autoportrait – et il faut voir sa façon de présenter le corps féminin tout autant que ses autoportraits ironiques ou loufoques comme celui, bien connu, où il est installé sur une chaise au milieu des rails d’un chemin de fer, engoncé dans un costume comme une sorte de dandy excentrique, qui décalotte un œuf, pour bien saisir tout le talent et l’envergure du travail photographique  de Romain Urhausen – un travail qui jamais ne déteint au milieu de contemporains plus connus comme Doisneau, Cartier-Bresson et Steinert.

Si l’expo enchante autant, c’est aussi qu’elle est le fruit d’un travail de longue haleine, qui connut au moins deux moments de rupture, le premier quand la pandémie retarda d’une année l’inauguration de l’exposition, le deuxième quand l’artiste, qui avait lui-même accompagné le travail de Paul Di Felice, décéda en juillet 2021.

„Au final, le décès de Romain n’a pas changé grand-chose à la planification de l’exposition“, nous confie Paul Di Felice alors qu’il nous guide d’un air passionné et instruit à travers l’exposition le matin du vernissage, pointant vers telle photo, nous initiant aux subtilités de la scénographie: le long couloir de la salle au premier étage de l’espace Van Gogh a ainsi été découpé par des faux murs où le rouge domine – une couleur que l’on retrouvait dans la cuisine de l’artiste et qui donne le ton des (rares) photographies de couleur effectuées pour „Les Halles“.

„S’il est fort regrettable et triste que Romain ne soit pas là aujourd’hui pour voir le fruit de notre travail commun, il faut souligner que l’année supplémentaire dont nous avons disposé a quand même permis d’approfondir nos recherches, pour lesquelles le travail de Krystyna (Dul, note de la rédaction) a été précieux.“

„Après la mort de Romain“, poursuit Di Felice, „j’ai été content d’avoir retenu, pour cette exposition, de nombreux aspects de son œuvre – de façon à ce que cela soit un véritable hommage, et non pas une simple rétrospective. Du coup, j’ai voulu être généreux avec les images.“ En fait, le curateur en a retenu une centaine de Romain Urhausen et une quarantaine d’autres artistes. C’est grâce à l’intelligence de la scénographie et de l’accrochage, tous deux d’une rare subtilité, que ce nombre assez impressionnant de photos ne donne jamais l’impression d’un trop-plein.

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 “ credit=“© Romain Urhausen / AUTAAH, Collection du Centre national de l’audiovisuel (CNA)“]

Éloge du réel

Plutôt que la série de discours officiels du vernissage, lors desquels le Premier Ministre Xavier Bettel (DP) faisait l’éloge de la photographie, rappelant son rôle primordial de témoin de la vérité à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, alors que les nazis essayaient de nier leurs crimes haineux, mais aussi sa capacité, au quotidien, de rappeler nos disparus, c’étaient d’autres images qui auraient probablement retenu l’attention de Romain Urhausen: les duchesses d’Arles, engoncées dans des robes improbables, qui brassaient l’air avec des éventails; deux dames qui, très loin du coin des discours, trinquaient d’un air blasé en se disant que ça tournait enfin vers la fin, cette logorrhée dont de toute façon elles se fichaient éperdument, pour qui l’hommage qu’on rendait au photographe devait n’être qu’un bruit de fond gênant; les frères du duo Faux Real qui s’adonnaient à leurs folles chorégraphies; Ian De Toffoli qui distribuait un flyer de sa pièce „Terres arides“, jouée elle aussi à Avignon, au Premier Ministre en lui expliquant qu’il figure dedans, dans sa pièce.

Ou encore la foule qui s’amassait devant la longue table dressée où l’on servait du champagne, du rosé et du vin blanc; le petit vieux qui, à peine servi, vidait sa coupe Marie-Antoinette d’un trait, restant agglutiné devant le buffet sans lâcher du regard les serveurs, les incitant d’un geste impérieux à bien vouloir reremplir son verre; les solitaires d’un moment qui s’isolaient dans un coin pour tapoter des textes dans leurs smartphones ou pour souffler un peu; le bal toujours un peu hypocrite de ces réceptions mondaines où le vernis de la civilisation s’écaille à mesure que l’ivresse gagne les gens; la file devant la petite camionnette sur le boulevard des Lices, qui sert des sandwichs américains délicieux et délicieusement gras, comme sortis d’une autre époque; cette soirée un peu absurde enfin, où nous atterrîmes et où quelqu’un commençait à lire, avec un gros accent français, des textes de Mark Fisher, l’homme qui a peut-être détesté le capitalisme avec le plus d’entrain et qui s’est donné la mort en 2017, à l’âge de 49 ans.

Oui, en y repensant, à la soirée du vernissage et aux photographies à la fois sensibles et expérimentales de Romain Urhausen, l’on se dit que, pour capturer le réel, il faut de la technique et de l’innovation formelle, certes, il faut trouver ce que Cartier-Bresson appelait l’instant décisif, sorte de kaïros du photographe, aussi, mais il faut avant tout la sensibilité d’un regard à la fois subjectif et humaniste, qui transcende la banalité du réel en quelque chose d’universel.

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, années 1950 “ credit=“© Romain Urhausen / AUTAAH, Collection du Centre national de l’audiovisuel (CNA)“]