FranceL’affaire Dupond-Moretti, ou: quand la justice veut faire le procès de son ministre

France / L’affaire Dupond-Moretti, ou: quand la justice veut faire le procès de son ministre
Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti répond aux questions des médias devant la Cour de justice à Paris Photo: AFP/various sources/Olivier Morin

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La mise en examen du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, par la Cour de justice de la République (CJR), juridiction spéciale créée en 1993 pour juger les crimes ou délits éventuellement commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions, a suscité un vif émoi dans la classe politique de l’Hexagone. Et cela pour plusieurs raisons, qui ne sont pas toutes juridiques.

Qu’est-il reproché au garde des Sceaux, longtemps avocat de grand renom, et d’une efficacité qui, au pénal, lui avait valu le surnom d’„Acquittator“ … et de solides inimitiés chez les magistrats? D’avoir profité de son entrée au gouvernement pour régler un vieux compte personnel avec certains d’entre eux. C’est en tout cas ce qu’assurent plusieurs de leurs syndicats, ainsi que l’association Anticor, qui traque la corruption dans la vie publique. Ceux-ci avaient déposé plainte devant la CJR, laquelle, en janvier dernier, a ouvert une information judiciaire en janvier dernier pour „prise illégale d’intérêts“ à propos de deux affaires.

La première concerne l’enquête administrative ordonnée en septembre par le ministre contre trois magistrats du parquet national financier (PNF), qui ont fait scruter ses relevés téléphoniques détaillés quand il était encore avocat. Le PNF cherchait alors qui avait bien pu informer Nicolas Sarkozy et son défenseur Thierry Herzog – ami de Dupond-Moretti malgré leurs sensibilités politiques différentes – que leurs portables avaient été mis sur écoutes. Le futur garde des Sceaux avait alors dénoncé des „méthodes de barbouzes“ de la part du parquet et déposé une plainte, avant de la retirer au soir de sa nomination ministérielle, le 6 juillet 2020, justement pour éviter toute ambiguïté.

Dans le second dossier, il lui est reproché d’avoir diligenté des poursuites administratives contre un ancien juge d’instruction détaché à Monaco, Edouard Levrault, qui avait mis en examen un de ses ex-clients et dont il avait critiqué „les méthodes de cow-boy“ après les propos véhéments que ce magistrat avait tenus dans un reportage. Depuis, le ministre de la Justice s’est toujours défendu d’avoir cherché à régler ses comptes d’ancien ténor du barreau, insistant sur le fait qu’il ne s’agissait pour lui que de suivre les recommandations de sa chancellerie. Sans que, semble-t-il, le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, ne l’en dissuade à l’époque – le même très haut magistrat menant aujourd’hui l’offensive contre lui.

Démission ou pas?

Plus encore que leur complexité juridique, ce qui suscite l’embarras dans ces deux affaires est que l’on a l’impression qu’une partie du corps judiciaire cherche avant tout à obtenir la démission du garde des Sceaux, pour des motifs qui, eux aussi, pourraient bien relever du règlement de compte. Une longue perquisition à grand spectacle dans ses bureaux du ministère, une instruction rondement menée (contrairement à la légendaire lenteur de la justice française) et une mise en examen éclair, contre laquelle l’avocat de Dupont-Moretti va d’ailleurs déposer une requête en nullité: tout cela laisse perplexe nombre d’observateurs.

Au point que si une partie de l’opposition a très normalement saisi l’occasion de demander sa démission, en particulier à gauche et à l’extrême gauche, ainsi que chez les Verts, à l’inverse de nombreuses voix se sont élevées, non pas seulement dans la majorité macroniste mais aussi à droite, pour estimer que la „jurisprudence Balladur“, qui avait conduit entre 1993 et 1995 au départ de plusieurs ministres de ce dernier parce qu’ils étaient mis en examen, ne devrait pas s’appliquer dans le cas présent, tant les motifs des accusations formulées contre Dupont-Moretti leur semblent avant tout politiques.

Le garde des Sceaux a reçu le soutien du chef du gouvernement, Jean Castex, à plusieurs reprises, et, lors du dernier conseil des ministres, celui du chef de l’Etat lui-même, qui a multiplié les gestes amicaux en sa direction. Mais la position d’Emmanuel Macron n’est pas des plus faciles à tenir, malgré tout: en mars 2017, c’est-à-dire en pleine course à l’Elysée, il avait assuré: „Un ministre doit évidemment quitter le gouvernement s’il est mis en examen.“ Et le revoici à quelques mois de l’édition 2022 de la compétition …