La thérapie par la fiction: „Maniac“, la série qui dynamite tous les codes

La thérapie par la fiction: „Maniac“, la série qui dynamite tous les codes

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„Maniac“ est une mini-série en dix épisodes réalisée par Cary Fukunaga – premier argument de taille en faveur de l’œuvre, pour ceux qui ont vu l’excellente première saison de „True Detective“ réalisée par le même Fukunaga en 2014.

De Julien Jeusette

L’univers de „Maniac“ diffère cependant radicalement de la fiction policière réaliste. Au premier abord, le spectateur y perd tous ses repères contextuels: s’agit-il des années 1980? S’agit-il d’un temps à venir ? Les époques se télescopent et se confondent. La ville présente une dimension nettement futuriste, avec des robots de trottoir qui ramassent les crottes de chien, mais les écrans semblent tout juste inventés et les pixels grossiers rappellent les premiers jeux d’arcade tels que PacMan et Tetris. Les personnages ont la possibilité d’acheter un ami pour une après-midi (cela existe déjà au Japon), mais la mode et l’omniprésence des cigarettes signalent un monde qui n’est plus le nôtre.

L’inquiétante étrangeté de cet univers – que l’on pourrait qualifier de rétrofuturiste – et les images esthétiquement très travaillées qui rappellent „2001: L’Odyssée de l’espace“ rendent d’emblée la série fascinante. Les deux personnages principaux, Annie Landsberg et Owen Milgrim (joués par Emma Stone et un Jonah Hill méconnaissable), sont des trentenaires un peu marginaux, esseulés, qui éprouvent chacun à leur façon la difficulté d’être au monde. Owen est employé de bureau et vit dans un triste appartement au sommet d’une tour. Alors que ses parents sont richissimes, il a choisi cette vie précaire pour se détacher d’eux. Car en raison de sa différence (il a été diagnostiqué schizophrène), Owen est le mal-aimé de la famille. Contrairement à son frère blond charismatique qui va prendre les rênes de l’entreprise paternelle, Owen est terne, maussade – mais il est doté d’une sensibilité qui fait de lui une sorte de poète maudit.

La situation d’Annie semble moins grave: elle vit en collocation et ses rapports avec son père sont meilleurs (même s’il vit dans une curieuse boîte électronique au fond du jardin). Mais pour se remettre d’un traumatisme qui la hante, elle passe ses journées à se droguer. Le destin des deux personnages se croise dans une clinique avant-gardiste: pour gagner un peu d’argent, ils se sont inscrits comme cobayes à une mystérieuse expérience scientifique.
L’idée au principe de celle-ci est simple: une équipe de chercheurs américains et japonais tout à fait loufoque a inventé une technologie qui mêle biologie et informatique dans le but de soigner définitivement n’importe quel trouble psychologique, sans passer par un psy. Après avoir pris une pilule, les patients connectés à un réseau entrent dans une sorte de rêve fictionnel dans lequel ils sont guidés par un ordinateur surpuissant. Selon le stade de l’expérience, ils revivent leur traumatisme dans des situations différentes, dans des mondes parallèles radicalement éloignés du leur – la série suggère ainsi implicitement que l’immersion fictionnelle a une vertu thérapeutique. S’identifier à quelqu’un d’autre (dans un roman, un film, un jeu vidéo) permettrait de mieux être soi.

C’est grâce aux mondes fictionnels que „rêvent“ les deux personnages durant les expériences que la série innove – et frôle l’absurde. „Maniac“ joue sur le fait que le rêve autorise toutes les libertés. A chaque fois que les personnages prennent une pilule, ils sont transportés dans une autre vie, dans une sorte de monde parallèle.

Ces mises en abyme (des histoires dans l’histoire) développent à chaque fois un univers cohérent qui pourrait être le début d’une nouvelle série. De façon inattendue, tous les genres fictionnels y passent: le spectateur se trouve plongé dans un univers fantastique, puis dans un univers de science-fiction, un film d’espionnage et ainsi de suite. Ici encore, on voit bien que Cary Fukunaga vise à rompre nos habitudes, à nous faire perdre nos repères, mais toujours de manière décalée, au second degré, sans se prendre au sérieux. Remarquable également est le jeu sur la durée des épisodes. Alors que les séries se sont progressivement conformées à des épisodes d’une durée moyenne de 45 à 55 minutes, „Maniac“ nous rappelle qu’il s’agit là d’une convention. Chaque épisode de la série a une durée différente, et l’un s’achève brutalement après 20 minutes. Bref, au niveau du fond et de la forme, cette série qui porte sur la solitude et l’amitié, la perte et la maladie mentale, la précarité et l’éthique scientifique, échappe à toute catégorisation. Elle pousse le spectateur hors de sa zone de confort et l’oblige à se confronter aux innombrables facettes du réel.

Ainsi, sa leçon fondamentale consiste peut-être à nous rappeler qu’en raison de la complexité de l’âme humaine et du caractère imprévisible du monde, toute catégorie fixe n’est qu’une convention, qu’une dangereuse simplification de la réalité. Une réalité fondamentalement maniac, dingue.