Géométrie et lyrisme en parfaite symbiose: Anna Recker, une cosmologie fascinante

Géométrie et lyrisme en parfaite symbiose: Anna Recker, une cosmologie fascinante

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Après une année riche en expositions internationales, notamment dans quatre musées allemands, tel le Musée d’art de Bayreuth, Anna Recker revient au Luxembourg avec une remarquable rétrospective sélective intitulée „7 Dekaden – 7 Phasen“ à la Galerie Simoncini.

De Maggie Steffen

Du néant jaillit, majestueux et imposant, un monolithe. Le silence absolu. L’homme semble absent. Pourtant entailles, signes et symboles trahissent son passage. L’érosion a laissé marques et fissures. Plus loin, un paysage, désertique, de bunkers, de cités … se réfère-t-il à de civilisations archaïques extinctes, de cataclysmes du passé? A moins de présager de ceux à venir? Une vision futuriste d’un néant? D’une actualité poignante.

Refuge ou prison, l’ambiguïté intrigue. Et se glisse volontiers dans l’œuvre d’hier et d’aujourd’hui. Ambivalences des structures obéissant aux lois rigoureuses de la géométrie et d’une vision onirique, empreinte d’émotion et de lyrisme. Riche en questionnements sous-jacents. Quelques éléments seulement parmi les plus énigmatiques d’une quête d’absolu sans fin, des possibles, de variations ludiques apparemment contradictoires, d’exploration de sphères que tout oppose. D’un univers intemporel.

Tageblatt: Après avoir exploré les structures des pierres, vous avez abordé l’univers de la géométrie. Une suite logique?

Anna Recker: Tout a probablement commencé en Normandie où j’ai été fort impressionnée par les restes de bunkers de la Seconde Guerre mondiale. Il en émanait quelque chose d’irréel que j’ai transposée dans mes peintures. Mes paysages de cette époque montrent une polarité entre l’inviolabilité de la nature et l’artifice. Il y perce déjà la tendance vers la composition géométrique d’une part et certains signes laissés par la main de l’homme, comme le triangle.

D’où provient cette longue fascination pour les formes géométriques, source d’inspiration sans fin, comme l’est également la boucle de Möbius?

Mon père était forgeron et depuis mon enfance je me suis toujours appliquée à dessiner. Lui-même a dessiné et réalisé toutes sortes d’ornements et bricolé des jeux géométriques pour nous, ses enfants. La transposition s’est ainsi faite tout naturellement.

Votre démarche semble fortement intériorisée. Vous souciez-vous du regard et de la compréhension du spectateur?

En fait, je ne pense ni au spectateur ni à moi-même. Au départ je planifie tout soigneusement. En développant les projets, que ce soit en peinture, en dessin ou en installation, le hasard surgit souvent et tout prend une autre tournure. Alors j’explore ces hasards qui me mènent vers d’autres hasards. Je suis complètement absorbée par mes recherches et explorations, un peu hors de tout.

Le conceptuel mathématique peut paraître hermétique. Or le jeu existe. Ambivalences?

Certes on peut trouver un aspect complexe à mon travail. Cependant je me tiens volontiers à disposition pour des explications et j’en propose même à l’aide de mes dessins. Et il ne faudrait pas réduire mon travail à cet élément. En partant des géométries je cherche bien un certain partage avec le visiteur en l’invitant à participer, agir, comme dans les puzzles, installations de triangles ou autres formes qu’il peut déplacer à sa guise et „jouer“. Hormis cet aspect ludique, qui va de pair avec une certaine austérité, j’intègre mes formes géométriques dans des paysages où le rêve est volontiers présent.

Pour Schiller l’homme n’est entièrement humain qu’en jouant. Pour moi, c’est essentiel. Peu importe le milieu social, le pays ou l’éducation, le jeu devient un élément susceptible de tisser des liens entre les hommes. Il engendre également l’estime et la confiance en soi.

Un aspect moins connu de votre travail est celui de la chorégraphie. En fait des „théâtres ou spectacles complets“, quatre projets de concepts interdisciplinaires.

A la Folkwangschule (dans la lignée du Bauhaus) où je croisais Pina Bausch, j’ai été sensibilisée à cette expression artistique qui joint l’architecture, le „graphic design“ la danse, la musique, le mouvement et l’expression corporelle. Pour moi: toujours dans un esprit dominé par la géométrie. Il faudrait en fait visionner les vidéos pour saisir pleinement le concept de ces interventions.

Ainsi la nature, la poésie, le jeu s’intègrent-ils parfaitement dans votre univers?

La nature est une source d’inspiration constante. Prenons le symbole de l’eau, le rythme et la forme des vagues. Le jeu des formes, comme le triangle dans le cycle de l’eau. Il pointe en hauteur, quand l’eau de mer s’évapore. Vers le bas, quand elle descend des nuages sous forme de pluie. J’en ressens une certaine poésie. Ensuite le bleu symbolise la couleur du rêve, de l’évasion.

Des triangles naissent également les hexagones, engendrant déclinaisons et trouvailles à l’infini. Vous détecterez également des traits légers, sortes de lignes directives, de réseaux, qui soutiennent les géométries. Peut-être comme un filet de sécurité dont j’ai besoin pour planer ainsi dans mes sphères de l’infini.


Le parcours artistique

En proposant une sélection rétrospective, Anna Recker, s’affirme, une fois de plus, comme créatrice de haut rang, aussi discrète qu’exceptionnelle. C’est sans doute grâce à sa quête artistique de longue haleine, exigeante, hors des sentiers battus et sans la moindre concession aux tendances, qui lui a valu récemment encore, le prestigieux 58e Grand Prix Européen „Kaiser Lothar“, (154 candidatures) et jadis au Luxembourg, les Prix Raville et GrandDuc Adolphe.

Depuis quelques décennies et hormis l’Allemagne, ses expositions ont mené l’artiste aux quatre coins du monde, de Paris et Londres vers les Etats-Unis et la Malaisie en passant par Monaco (Musée national), Madrid, Barcelone et Moscou. Autres exemples: „Grands et jeunes d’aujourd’hui“ au Grand Palais à Paris, „Art Cologne“, Bibliothèque nationale à Berlin, Banque centrale à Francfort, Musée d’état au Luxembourg, Pinacothèque municipale d’Athènes.

Après ses études de design graphique à la célèbre „Folkwangschule für Gestaltung“ et les cours magistraux à l’académie des Arts de Berlin, Anna Recker avait fondé une école d’art à Luxembourg. Depuis 1982 elle travaille en artiste indépendante.

En dépit d’une évidente reconnaissance internationale et en raison de sa quête plasticienne intransigeante, d’une technique parfaite, subtile, il paraît légitime de s’interroger sur le fait que le Mudam semble tarder encore à intégrer dans ses collections cette œuvre universelle et unique, toute en rigueur et en sensibilité.