This Hard Minett LandDeath To My Hometown

This Hard Minett Land / Death To My Hometown
L'adieu de la classe ouvrière. Photo prise par Sylvain Dessi à La Providence de Réhon en avril 1988. Retouchée par Dan Altmann.

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No cannon ball did fly No rifles cut us down No bombs fell from the sky No blood soaked the ground No powder flash blinded the eye No deathly thunder sounded But just as sure as the hand of god They brought death to my hometown They brought death to my hometown.

(Bruce Springsteen, „Death To My Hometown“, 2012)

Originaire des Vosges, j’ai grandi dans un milieu populaire fort éloigné du prolétariat de la grande industrie. En 1977, quand je suis arrivé à Longwy pour occuper mon premier poste de professeur dans un collège du bassin, j’ai été littéralement fasciné par l’univers qui m’accueillait. C’était comme si les images idéalisées de la classe ouvrière que j’avais intériorisées quand je m’étais plongé dans les écrits de Karl Marx, à l’université de Nancy II, s’étaient transformées en réalité. Le soir, je grimpais souvent la côte qui mène aux fortifications de Vauban à Longwy-Haut, pour admirer le spectacle incroyable des lueurs étincelantes et des éclats de feu qui illuminaient la vallée de la Chiers. En tant que militant communiste, je fus très vite intégré au sein de la sociabilité locale, découvrant alors l’intensité et la richesse d’une culture forgée au cours du temps et des luttes collectives.

Dès les années 1960, les premières mines de fer lorraines avaient été fermées. De nouveaux hauts fourneaux avaient été construits à Dunkerque et à Fos-sur-Mer pour exploiter le minerai importé de Mauritanie et permettre le développement de ce qu’on commençait à appeler „la sidérurgie sur l’eau“. Malgré cette menace, malgré la chute de la demande d’acier au milieu des années 1970, quand je suis arrivé à Longwy, nul n’imaginait l’ampleur du désastre qui se préparait.

Le sinistre „plan Davignon“ – concocté par les bureaucrates de Bruxelles pour „restructurer“ la sidérurgie – annonçait, à terme, la fermeture de toutes les grandes usines du bassin de Longwy-Villerupt. „Usinor frappe Longwy à mort“. C’est en lisant ce gros titre qui barrait toute la première page du Républicain lorrain que les gens découvrirent la terrible nouvelle, le 13 décembre 1978. Ce fut un tel choc qu’immédiatement la population unanime se dressa comme un seul homme pour s’engager dans une lutte collective qui dura pendant de longs mois, cimentée et entretenue par la radio de la CGT Lorraine Cœur d’Acier, animée par le journaliste communiste Marcel Trillat.

Pour décrire l’intensité de ce combat, régulièrement relancé par les „opérations coup de poing“ menées par les syndicats, le Monde évoqua un „mai 68 en plus ouvrier“. Les Français découvrirent alors l’existence du Pays Haut, ce petit coin de terre qui avait été depuis le début du XXe siècle, le premier arrondissement de France pour le taux d’immigration. C’est là que des milliers de prolétaires avaient fabriqué jusqu’au tiers de l’acier français lorsque la sidérurgie était encore le moteur du développement industriel.

Les pouvoirs publics ayant annoncé que tous les ouvriers du bassin seraient reclassés, mis en pré-retraite ou invités à rentrer dans „leur“ pays moyennant une petite prime, les commentateurs extérieurs à la région ne comprenaient pas les raisons d’une telle violence collective. La droite y voyait une conséquence de l’influence néfaste du parti communiste, qui dominait alors la vie politique locale. Ces gens-là ignoraient qu’en liquidant l’industrie du fer, les nouveaux maîtres de forge et les experts de Bruxelles avaient condamné à mort une société ouvrière qui était parvenue à forger peu à peu son identité collective autour des cheminées d’usine et des chevalements de mines.

Pour comprendre les raisons d’agir de ce peuple en colère, il fallait faire l’histoire d’un bassin qu’on appelait encore „le pays des trois frontières“, car beaucoup d’ouvriers qui travaillaient dans ces usines étaient des frontaliers belges et luxembourgeois. En rayant d’un trait de plume l’industrie locale, c’est l’histoire de ces prolétaires venus d’horizons multiples, mais qui avaient réussi à s’intégrer au sein d’un monde qu’ils avaient contribué à fabriquer, qui était jetée aux oubliettes. C’est donc le sens que ce petit peuple avait donné à sa vie qui était brulement anéanti. Telle était la raison profonde de la violence sociale qui a caractérisé cette lutte des hommes du fer.

En tant qu’enseignant, j’ai soutenu moi aussi avec ardeur leur combat. Mais la loi d’airain du capitalisme fut inflexible. Le plan Davignon ayant été rapidement mis en œuvre, la société des „hommes du fer“ fut engloutie sous les ruines des hauts fourneaux et des laminoirs désormais obsolètes. Comme c’est souvent le cas dans ce genre de situation, pour tenter d’atténuer le traumatisme qui résultait d’une lutte sociale que nous étions en train de perdre, nous nous sommes alors engagés dans un vaste „devoir de mémoire“, afin de sauver de l’oubli un monde sur le point de disparaitre.

Avec quelques collègues du bassin, j’ai fondé l’Association pour la préservation et l’étude du patrimoine du bassin de Longwy-Villerupt (APEP). Nous avons mobilisé notre énergie pour recueillir la mémoire des hommes et des femmes qui avaient fait vivre cette société, mais aussi pour sauver les archives, et pour conserver les traces matérielles du passé industriel.

Une nouvelle bataille s’est alors engagée, qui pourrait paraître dérisoire, mais qui avait pour enjeu la défense de la dignité de tout un peuple. Les idéologues de la reconversion se sont constamment élevés contre ce „devoir de mémoire“, sous prétexte que pour attirer des investisseurs (qui ne sont jamais venus ou qui sont restés sur place juste le temps d’encaisser les primes d’Etat), il fallait „changer l’image“ du bassin. Finalement, la nouvelle classe dominante a aussi gagné cette bataille-là. A Longwy, il ne reste plus que les vestiges d’un haut fourneau couché sur le sol comme un animal abattu. C’est sur ce cadavre de fer qu’a été construit, en 2011, un golf où les grands vainqueurs de la reconversion, les cadres supérieurs des „trois frontières“, viennent désormais parfaire leur swing chaque weekend.

Etant donné que j’avais réalisé, au cours de la lutte de 1979-80, que l’incompréhension des commentateurs extérieurs résultait de leur ignorance de l’histoire des hommes du fer, j’ai décidé de leur consacrer ma thèse de doctorat. En suivant l’exemple du père Serge Bonnet, sociologue au CNRS, qui avait été le premier à s’intéresser au prolétariat du bassin de Longwy-Villerupt – et qui m’a beaucoup aidé dans mes premières recherches – c’est la fascination pour cet univers ouvrier qui a orienté de façon décisive ma carrière scientifique.

L’histoire du bassin de Longwy-Villerupt a été pour moi un formidable laboratoire pour comprendre que la lutte des hommes du fer était le chant du cygne d’une classe ouvrière qui avait marqué toute l’histoire de la grande industrie, mais qui était en train de disparaître. Ce phénomène, observé à Longwy, avait une dimension bien plus large. Il concernait la France entière et au-delà toutes les nations qui avaient construit leur prospérité sur l’industrie lourde.

Parmi les souvenirs les plus vifs que j’ai gardés de ce passé, je terminerai en évoquant les moments où Bernard Lavilliers, qui est pour moi le Bruce Springsteen français, est venu dans la région pour apporter sa solidarité au combat des hommes du fer.

„Un grand soleil noir tourne sur la vallée

Cheminées muettes, portails verrouillés

Wagons immobiles, tours abandonnées

Plus de flamme orange dans le ciel mouillé

On dirait, la nuit, de vieux châteaux forts

Bouffés par les ronces, le gel et la mort

Un grand vent glacial fait grincer les dents

Monstre de métal qui va dérivant.

J’voudrais travailler encore, travailler encore

Forger l’acier rouge avec mes mains d’or

Travailler encore, travailler encore

Acier rouge et mains d’or“

(Bernard Lavilliers, „Les mains d’or“, 2001)

Sur l’auteur

Gérard Noiriel, né en 1950 à Nancy, est socio-historien, directeur d’études à l’EHESS de Paris. Il a publié de nombreux ouvrages sur l’histoire des classes populaires et de l’immigration en France, dont „Gens d’ici venus d’ailleurs – La France de l’immigration de 1900 à nos jours“, (Éditions du Chêne, 2004) et „Une histoire populaire de la France“ (Agone, 2018). Avec Martine Derrier, il anime aussi une association d’éducation populaire (le collectif DAJA) qui propose des spectacles pour transmettre les connaissances produites par les chercheurs en sciences sociales dans les milieux populaires.

This Hard Minett Land – Das Buch

Bald ist es so weit: Seit März haben das Tageblatt, das Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH) und capybarabooks die LeserInnen jeden Freitag zu einer besonderen Entdeckungsreise durch Luxemburgs Süden eingeladen: Rund 40 SchriftstellerInnen und HistorikerInnen ließen sich von Bruce Springsteens Songs inspirieren und schrieben Texte über das luxemburgisch-lothringische Eisenerzbecken, „de Minett“, sowie über diejenigen, die dort leben und gelebt haben. Begleitet wurden und werden die Texte in deutscher, englischer, französischer und luxemburgischer Sprache von Illustrationen des Luxemburger Künstlers Dan Altmann. Im November erscheinen nun sämtliche Texte und Zeichnungen versammelt in Buchform bei capybarabooks. Bestellen Sie jetzt! „This Hard Minett Land“ wird Ihnen dann sofort bei Erscheinen versandkostenfrei zugeschickt. 

Susanne Jaspers & Denis Scuto (Hg./dir.)
This Hard Minett Land
Mit Illustrationen von Dan Altmann
ca. 256 Seiten
20 x 12 cm, Klappenbroschur
25,00 Euro
Erscheint im November 2022