„C’est comme dans une manif“: le recours collectif, un outil de démocratisation de la justice

„C’est comme dans une manif“: le recours collectif, un outil de démocratisation de la justice

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Les consommateurs ayant subi un même préjudice devraient trouver dans l’action collective la force et les moyens d’obtenir réparation. Jusqu’ici, le jeu n’en vaut souvent pas la chandelle.

De Jérôme Quiqueret

En franchissant l’Atlantique, le recours collectif ne s’est pas encore délesté du caractère sulfureux qui l’entoure. Sa parenté avec la class action américaine éveille le souvenir de condamnations fracassantes, qui, à coups de millions, mettent à genoux les entreprises et engraissent les cabinets d’avocats.

En recommandant son adoption en juin 2013, la Commission européenne avait exclu que le recours collectif puisse devenir sur le sol européen un tel symbole d’une judiciarisation à l’extrême. Ainsi, les dommages et intérêts ne seraient pas punitifs, les organisations de consommateurs n’en tireraient pas profit et les avocats ne se rémunéreraient pas en pourcentage des résultats.

Rééquilibrer le rapport de force entre le consommateur et l’entreprise

Les sentences spectaculaires américaines ont aussi éclipsé une réalité: le recours collectif, dans la grande majorité des cas, ne finit pas par une condamnation mais plutôt par un accord issu de négociations. C’est la vertu dissuasive de cet instrument juridique. En rééquilibrant le rapport de force entre le consommateur et l’entreprise, il empêche le préjudice autant qu’il facilite, le cas échéant, sa réparation.

Le Luxembourg devrait être un des derniers pays de l’Europe de l’Ouest à l’adopter. Pour la deuxième fois, le gouvernement l’a inscrit à son programme. Le nouveau ministère de la Protection des consommateurs, qui a hérité du dossier, ne veut encore rien trahir ni du calendrier ni de la forme qu’il prendra. Or, de cette forme dépendra la réelle plus-value pour le consommateur. L’expérience des pays voisins en atteste.

Des sommes modestes, certes, mais …

L’introduction du recours collectif doit garantir un plus grand accès à la justice. Jusqu’alors, le consommateur floué tend à renoncer à entamer une longue et coûteuse procédure judiciaire, pour un préjudice économique subi souvent modeste. Au Luxembourg, le phénomène serait d’autant plus important que le pouvoir d’achat des consommateurs tend à faire considérer modiques des sommes jugées ailleurs élevées.

Pour l’entreprise à l’origine de l’infraction, ces sommes modestes mises bout à bout peuvent constituer des revenus importants et conférer un avantage compétitif qui faussent la concurrence. Le recours collectif peut être aussi utile pour rétablir de l’équité entre entreprises.

Un fonds public pour financer les recours

Toutefois, avec l’introduction du recours collectif, le problème du financement de la procédure ne sera pas obligatoirement levé. Les pays de tradition juridique similaire au Luxembourg, la Belgique et la France, qui l’ont introduit tous deux en 2014, ont réservé le droit d’user à ce recours à des associations de consommateurs agréés. Mais, celles-ci n’ont pas toutes les reins assez solides pour multiplier les recours. La préparation des dossiers, les frais d’avocats et expertises peuvent avoir un coût prohibitif, éventuellement remboursé qu’en fin de procédure. Or, les associations doivent agir même pour les non-membres, sans pouvoir tirer profit de la procédure.

Bob Schmitz, conseiller juridique de l’ULC

„Le nerf de la guerre, c’est le financement. Le coût fait qu’à l’étranger, il y a très peu d’affaires qui sont lancées”, souligne Bob Schmitz; le conseiller juridique de l’Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) espère que le gouvernement fera du retard du pays une force en puisant aux meilleures pratiques. En la matière, c’est le modèle canadien d’un fonds public de roulement qui a fait ses preuves.

La responsabilité de l’entreprise

En général le recours collectif doit être précédé d’une mise en demeure. Ensuite, le juge doit examiner la recevabilité du recours, en vérifiant qu’il y a bien préjudice et qu’il concerne bien plusieurs personnes.

Le juge travaille ensuite sur le fond pour établir, dans un premier temps, la responsabilité de l’entreprise puis, ensuite, le mode de liquidation des préjudices. Il s’agit d’évaluer l’indemnisation et de définir les critères de rattachement qui permet aux consommateurs d’obtenir réparation.

Après la recevabilité, la Belgique oblige les parties à une négociation de plusieurs mois. Cela a permis à l’association belge de consommateurs, Test-Achats, de multiplier les succès que ce soit avec l’agence de voyages Thomas Cook, la Société de chemins de fer belge ou la plate-forme de réductions Groupon.

Cambridge Analytica

Test-Achats espère un même succès avec son action collective lancée le 11 juillet contre Ryanair, pour l’indemnisation de retards et annulations de vol lors de quatre jours de grève qui ont touché la compagnie en juillet, août et septembre 2018. Et le 4 novembre prochain, elle débattra avec Facebook devant le juge pour que 42.000 internautes obtiennent 200 euros en réparation du préjudice moral subi par l’exploitation de leurs données personnelles dans le cadre du scandale Cambridge Analytica.

Bob Schmitz plaide pour cette négociation obligatoire comme pour la prise en compte du préjudice moral. Leur absence explique le peu de succès des actions collectives en France. Cette dernière ne compte ainsi pas de recours collectif dans le cadre du dieselgate, à la différence de l’Allemagne, la Belgique et l’Italie.

Champs d’application, champs de bataille

Par contre, la France fait école pour ce qui est du champ d’application. En 2016, elle n’a plus réservé le recours collectif à la seule consommation mais l’a aussi ouvert à des domaines décisifs pour le citoyen: la santé, à l’environnement; la protection des données personnelles et la discrimination à l’emploi.

Pour l’heure, l’ULC plaide l’introduction d’un recours collectif pour le droit à la consommation au sens large, incluant toutes les obligations légales et contractuelles des professionnels vis-à-vis des consommateurs. Cela couvre aussi bien la protection des données, les services financiers, que l’énergie, les télécommunications et la santé.
Elle défend aussi le droit des PME au recours collectif, comme le permet la Belgique depuis juin 2018. Cette innovation a l’avantage de couper l’herbe sous le pied aux critiques qui présenteraient le recours collectif comme néfaste aux entreprises.

Il suffit d’avoir un leader

Bob Schmitz pense que le recours collectif va d’autant plus faciliter les demandes en réparation au Luxembourg que des dispositions psychologiques y prédisposent les consommateurs. „Le Luxembourgeois n’aime pas tellement que son nom apparaisse en justice. Avec le recours collectif, c’est comme dans une manif. Il suffit d’avoir un leader, et derrière vous pouvez un peu vous cacher.“ Le dieselgate n’a engendré que quatre plaintes individuelles, toutes suivies par l’ULC.

Déposées le même jour de 2018; elles viennent seulement d’être déclarées recevables en juillet. „Si on avait eu une loi sur le recours collectif; on aurait pu facilement réunir cent affaires au nom de l’ULC“, parie-t-il. Et si la future loi laisse au juge l’option de permettre aux consommateurs de se rattacher à la procédure après le jugement, comme c’est le cas en Belgique, leur nombre en pareil cas pourrait finir par être bien plus élevé.