LittératureCent ans avec Marcel Proust: un entretien avec Nicolas Ragonneau

Littérature / Cent ans avec Marcel Proust: un entretien avec Nicolas Ragonneau
Nicolas Ragonneau est éditeur, traducteur – et véritable „proustomane“

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Dans le cadre des commémorations liées au 150e anniversaire de sa naissance et à l’approche du centenaire de la disparition du célèbre écrivain français, auteur d’„A la recherche du temps perdu“, ce qu’on pourrait appeler la „proustomania“ ou „proustolâtrie“ ne faiblit pas au point que de nouvelles publications originales viennent enrichir la bibliographie déjà considérable parue au sujet de Marcel Proust. A l’occasion de la parution de son „Proustographe“ et de „Proustonomics“ (qui sont présentés dans différents salons littéraires), nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec Nicolas Ragonneau, éditeur, traducteur et véritable „proustomane“.

Tageblatt: Pourriez-vous vous présenter (du point de vue professionnel)?

Nicolas Ragonneau: Je suis dans le monde de l’édition depuis près de trente ans. J’ai commencé ma carrière éditoriale comme auteur, puis je suis devenu éditeur chez Gallimard dans les années 90, où je travaillais pour la branche tourisme. Cela n’a duré qu’un an et demi, mais ce fut très formateur: ensuite, j’ai poursuivi dans l’édition pratique, illustrée ou pas, pour différentes maisons d’édition, jusqu’aux éditions Assimil où je cumule des fonctions marketing et éditoriales depuis 2011. Chez Assimil, maison spécialisée dans l’apprentissage des langues quasi centenaire, j’ai initié plusieurs ouvrages d’apprentissage du luxembourgeois, tous des succès. Parallèlement, j’ai toujours maintenu une activité d’auteur et de traducteur. J’ai besoin d’écrire, c’est aussi vital pour moi que de dormir ou de respirer, et je ne fais pas de réelle différence entre écrire, traduire et éditer: ce sont des activités indissociables qui participent d’une culture du livre qui ne saurait s’envisager autrement.

De façon générale, quelles raisons vous ont poussé, à la fois dans votre parcours professionnel et dans votre espace privé, à vous intéresser à un monument de la littérature tel que Marcel Proust?

J’ai découvert Proust à 23 ans, alors que je préparais l’agrégation de lettres modernes. Dans ce cadre de lectures obligatoires et souvent mornes, la découverte de „Du côté de chez Swann“ m’a bouleversé dès les trois premières pages. J’étais comme chez moi dans un texte que j’avais l’impression d’avoir toujours connu, mais qui paradoxalement présentait une puissance inédite. J’ai poursuivi ma lecture de la „Recherche“ pendant six ans, à raison d’un tome par an. Ce furent en tout sept années inoubliables, qui ont profondément marqué l’homme que je suis devenu. Proust dans le cadre professionnel est toujours utile, quelle que soit votre spécialité, tout simplement parce que la „Recherche“ est un outil d’optique qui permet de décoder le monde, qui resterait sans lui comme un champ de signes inintelligibles.

Comment s’explique, selon vous, la „proustomania“ actuelle (qui est multidimensionnelle et intergénérationnelle)?

Voilà une question dont la réponse pourrait faire un livre de 500 pages. Je retiendrai deux points parmi des dizaines d’autres, qui concernent la „Recherche“. La première raison, c’est l’incroyable beauté et puissance du texte, qui mêle presque tous les genres romanesques. Je crois que cette puissance du texte tient aussi à son actualisation perpétuelle, car si le texte est ancré dans une réalité historique, il passe les années sans vieillir comme les pantins du bal de têtes à la fin du „Temps retrouvé“. La „Recherche“ propose par ailleurs une expérience d’identification du lecteur unique, quelle que soit la langue du lecteur: ce livre monumental n’est rien moins qu’un miroir que l’auteur vous tend, mais dont le faible tain laisse apercevoir Marcel Proust en maints endroits.

Comment vous est venue l’idée du „Proustographe“ qui constitue une démarche originale (quant aux nombreuses données chiffrées que vous abordez) de „figuration et de renouvellement des formes de l’encyclopédie proustienne“?

„Le Proustographe“ est une idée de Dorothée Cunéo, mon éditrice chez Denoël. Je lui avais fait parvenir le manuscrit de „Proustonomics, cent ans avec Marcel Proust“ et elle avait remarqué que ce texte contenait d’innombrables données et chiffres convertibles en infographie. Et c’est ainsi que nous avons commencé à réfléchir à un livre constitué de près de 100 infographies sur la vie et l’œuvre de Proust, superbement mis en pages et en images par Nicolas Beaujouan. L’ensemble est imprimé en or, noir et blanc et constitue une première en langue française: brosser un panorama complet de la vie, des créations et de la postérité d’un écrivain par le seul biais de la datavisualisation!

Dans „Proustonomics, cent ans avec Marcel Proust“, votre démarche est différente dans la mesure où cet ouvrage est conçu comme une exploration des traces (visibles ou pas) ou des signaux (faibles ou forts) de la „Recherche“, de l’économie des biens culturels, de l’économie de l’attention, de la phynance proustienne. Quelle est, selon vous, l’originalité de cet ouvrage?

„Proustonomics“ est un livre-bilan qui s’intéresse aux postérités de la Recherche depuis la mort de Marcel Proust en 1922. Elles peuvent être savantes (études, colloques, livres, etc.) ou populaires (chanson de Dave, traces dans des films, des prénoms, madeleines, questionnaire de Proust …), même si ces deux catégories sont un peu obsolètes aujourd’hui. Le sujet en soi, en quelque sorte „Proust après Proust“, est assez original, mais j’ambitionnais d’en faire un ouvrage dont le ton et la forme seraient aussi inédits. Il se compose de trois chapitres séparés par deux intermèdes: l’un est un ensemble de variations sur le début du livre „Longtemps je me suis couché de bonne heure“, l’autre quelques haïkus résumant les 3.000 pages de la „Recherche“. Je le vois comme un livre d’essais mêlant la farce et l’érudition (l’orthographe phynance est empruntée à Alfred Jarry), avec beaucoup d’énergie et des variations de registre et de pression, au sens quasi météorologique du terme. De quoi justifier le fait que ce livre soit publié aux éditions Le temps qu’il fait, qui fêtent leurs quarante ans cette année! Enfin, cet ouvrage documente de façon extrêmement détaillée les ventes de la Recherche depuis cent ans, ce qui n’avait jamais été réalisé auparavant.