Angles morts et distorsion du regard: „Deborah De Robertis – le sexe-caméra“ à l’Institut Pierre Werner

Angles morts et distorsion du regard: „Deborah De Robertis – le sexe-caméra“ à l’Institut Pierre Werner
L’artiste Deborah De Robertis (gauche) et l’historienne, philosophe et politicienne Geneviève Fraisse

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Connue surtout pour avoir exposé son sexe devant des œuvres d’art majeures, ayant plus récemment quitté les murs des institutions muséales afin de performer dans le Parlement européen et à Lourdes, Deborah De Robertis a engendré un buzz médiatique, monnaie courante de nos jours. Mercredi soir eut lieu une discussion sur son œuvre d’artiste-performeuse en présence de la conférencière Ainhoa Achutegui, directrice du Centre culturel Neumünster, et de Geneviève Fraisse, philosophe, politicienne et historienne française, ancienne directrice du CNRS.

De Alasdair Reinert

Dès l’âge de 16 ans, Déborah De Robertis, une Franco-Italienne de nationalité luxembourgeoise, crée sa première œuvre en incarnant des poupées en cire, jouets d’enfants – symboles de la femme-objet. De surcroît, elle rencontre son premier obstacle, le photographe avec qui elle signe le contrat voulant glisser de sa propre vision esthétique au dépit des vœux de l’artiste, l’objectifiant ainsi une deuxième fois.

Mais elle n’arrive vraiment à inverser les propos de l’image de la femme nue qu’en 2014 quand elle s’invite dans le Musée d’Orsay pour exposer son sexe devant „L’Origine du Monde“ de Gustave Courbet, et plus tard se mettre à nu devant „l’Olympia“ de Manet, armée d’une caméra Go-Pro. Il s’ensuit un véritable déferlement médiatique. Elle se sert de la fixité du nu dans ces tableaux du 19e siècle pour renverser le regard des spectateurs, teinté selon elle par le voyeurisme sexiste de l’artiste, créant un angle mort où une contre-lecture féministe peut s’immiscer.

De Robertis relie l’immobilité de ces corps au regard des anatomistes de jadis inspirés par les esquisses de la vulve de Léonard de Vinci. Ce détournement du regard s’inscrit dans la lignée d’activistes performatrices des années 60 et 70 comme Valie Export et les Guerilla Girls avec leurs pancartes illustrant la discrimination féminine dans les arts.

Des performances déculottées

La conférence faisait suite à un article d’Ainhoa Achutegui paru dans
forum, qui inscrivait l’œuvre de Deborah De Robertis dans une forme contemporaine de l’„empowerment“ des femmes dans un monde de l’art lui aussi dominé par le patriarcat.
De Robertis était épaulée par Geneviève Fraisse, qui interprétait l’œuvre avec perspicacité en la complétant sensiblement par sa propre investigation académique, soutenant ainsi les propos de l’artiste.

Geneviève Fraisse la considère également comme une écrivaine qui, par son jeu sur l’immobilité du modèle, créerait une disruption basée sur une réécriture d’œuvres historiques en renversant le regard vers les spectateurs, „pénétrant“ ainsi leur voyeurisme conditionné. Celle qui est vue devient celle qui voit. Il n’est guère étonnant que les directions du Louvre et de l’Orsay, détentrices d’un pouvoir „d’encadrement culturel“ contrôlé, aient interrompu ses performances en recourant aux forces de l’ordre. Faisant l’objet d’une plainte de leur part, De Robertis a été placée en garde à vue pour délit d’exhibitionnisme sexuel et a dû comparaitre en justice.

Du proxénétisme institutionnel

Evoquant l’exploitation économique de l’artiste Jeff Koons qui s’est servi de l’image de la Joconde pour l’imprimer sur des sacs Louis Vuitton sans qu’il fît inculpé par le Louvre, De Robertis entend démontrer la discrimination explicite: Koons suscite l’admiration, sa chatte provoque la censure.

L’opinion publique qui circule autour de l’exhibition de sa vulve invite à des débats sur la censure dans une ère où la recherche de ce qui est soumis au tabou s’avère plus complexe.
Par ses choix de représentation de la femme, en incarnant la Marianne, la Joconde ou la poupée Barbie, De Robertis prétend leur donner une identité propre comme sujet et leur offrir un droit de réponse, leur permettant de ne pas demeurer des objets biaisés par le regard de l’artiste. Les institutions muséales, ou dans le cas de sa plus récente œuvre, le Parlement européen, deviennent à la fois l’objet et le cadre de mise en scène et de la diffusion médiatique.

Toutefois, la conférence n’a pas pu résoudre comment l’artiste entend revendiquer et assurer son droit d’auteur pour „récupérer“ son œuvre au vu de l’hypermédiatisation qui accompagne ses actions.

Activisme farouchement politique

Elle a néanmoins donné l’exemple des photos choisies par l’éditorial d’un quotidien français, montrant sa confrontation avec des agents du CRS à la suite d’une démonstration des „gilets jaunes“ à Paris qui concourait avec son action #Marianneiswatchingyou, et a indiqué considérer que leur récupération constituait son droit intellectuel. Elle critiquait leur encadrement biaisé et les tentatives qui ont suivi afin de s’accaparer de ces photos, qui auraient violé son copyright.

Positionnée esthétiquement entre un activisme farouchement politique comme celui des Femen originaires d’Ukraine et les médiums de transmission plus classiques comme le cinéma, l’exemple de De Robertis montre comment la levée considérable de tabous a complexifié sa mission d’éclairage, son approche esthétique ainsi que sa prétention d’avancement du débat féministe. Néanmoins, cette conférence démontrait qu’il reste primordial de contrecarrer les échauffements émotionnels des chambres d’écho des réseaux sociaux avec le dialogue et l’opportunité de l’artiste à faire face aux préjugés.
Les historien(ne)s de l’Art jugeront sur le mérite s’attachant à la contribution qu’apportera De Robertis à l’avancement des femmes dans la suite de l’histoire, en repoussant ainsi la question du fin-mot.

merciderien
28. Oktober 2019 - 23.16

très bien, de robertis! allez y!