FranceAttentats du 13 novembre 2015: un procès exemplaire et pour l’Histoire

France / Attentats du 13 novembre 2015: un procès exemplaire et pour l’Histoire
Ce croquis d’audience réalisé le 29 juin 2022 montre le principal accusé, Salah Abdeslam, dessiné sur une vue générale de la salle d’audience pendant le procès des attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015  Photo: AFP/Benoît Peyrucq

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Tout le monde en France se souvient de l’endroit où il se trouvait le 13 novembre 2015. C’était la nuit de l’horreur, profondément gravée dans la mémoire collective. Elle a laissé des blessures et de la colère et marque encore aujourd’hui la politique du pays. Après un procès d’anthologie, les verdicts sont tombés.

Le procès des attentats islamistes du 13 novembre 2015 à Paris, qui avaient fait 130 morts (et même 132 si l’on y ajoute le suicide ultérieur de deux rescapés, traumatisés à jamais par la tuerie) et de très nombreux blessés, s’est achevé mercredi soir par une série de lourdes condamnations, dans une atmosphère de gravité recueillie qui avait déjà largement prévalu durant ces très longues audiences.

La longueur même du procès – il s’est étendu sur 149 journées, un record absolu pour la justice française, et encore ne s’agit-il là que de la première instance – aurait pu, le cours de l’actualité aidant, entre retour du Covid, guerre en Ukraine et flambée des prix, faire retomber l’attention du grand public français. Or il n’en aura rien été, finalement; comme si, au-dessus de ces soucis immédiats, cette tragédie avait eu besoin, à l’instar de celles du théâtre grec, de sa catharsis, cette nécessaire „purgation des passions“ selon la formule d’Aristote.

Il est vrai que tout s’est accumulé pour rendre les Français particulièrement attentifs à ce funeste vendredi de novembre 2015, le „V13“ comme le surnomment les journalistes. D’abord, bien sûr, l’ampleur du massacre, qu’au-delà du nombre des victimes les descriptions des policiers, rescapés et sauveteurs ont rendue de manière particulièrement saisissante. „Ce n’était même plus un gros attentat, a expliqué l’un d’eux à la barre de la Cour d’assises spéciale de Paris, c’était une scène de guerre, avec les hurlements des blessés, les gémissements des agonisants, des cadavres partout, le sang dans lequel on pataugeait …“

Sentiment de guerre confirmé lorsque l’on a appris, avec le début des différentes enquêtes nationales et internationales, que les auteurs de ce carnage étaient des djihadistes envoyés de Syrie, et qui avaient transité par la Belgique, pour frapper au cœur des Français innocents, inconscients, insouciants … Et cela avec l’ambition avérée de provoquer non seulement le maximum de douleur et de chagrin, mais aussi, voire surtout, le maximum de peur.

Plus d’un million de pages …

Le terrorisme s’en prend toujours très volontiers aux civils – c’est évidemment plus facile et moins risqué – et l’on ne voyait que trop bien ce qui était en cause, ce qui faisait de ces innocents des coupables aux yeux des tueurs. C’était une soirée clémente de début de week-end, le Stade de France était plein, le Bataclan aussi, les terrasses des bistrots étaient noires de monde – bref, le sport, le music-hall, la convivialité joyeuse autour d’un verre, le tout dans une parfaite mixité entre hommes et femmes: un condensé de tout ce que les islamistes abominent.

Et tout cela, dix mois après l’assassinat de la rédaction de Charlie-Hebdo et l’attentat contre l’hypermarché casher de la porte de Vincennes … Le procès, pour pouvoir être engagé, a nécessité, sous l’autorité du Parquet national antiterroriste, une enquête multiforme de plusieurs années, et l’aide de services étrangers, belges en particulier. Au total, ce sont plus de 1.000 policiers qui y ont pris part.

Et surtout, ces audiences-fleuves ont, dès le début, confirmé leur caractère hors norme, avec, dans une salle de tribunal de la taille du hall d’une grande gare parisienne, quelque 2.500 parties civiles (dont 415 auront été entendues spécifiquement), 542 gros volumes de dossiers regroupant plus d’un million de pages, environ 4.000 objets et documents placés sous scellés). Ouvertes le 8 septembre dernier, elles devaient s’achever fin mai, mais plusieurs pauses sanitaires en ont ralenti le cours.

Respecter les droits de la défense

Il est vrai que tout le monde, et pas seulement les magistrats dont c’est de toute façon le devoir, tenait à ce que ce procès soit juridiquement irréprochable. Et hier en France, quotidiens et partis soulignaient à l’unisson qu’il l’a été. Car pour que la réponse apportée au terrorisme islamiste par les démocraties fût exemplaire, il fallait cela: non pas, face à la barbarie djihadiste, une réplique féroce et bâclée, mais une instruction minutieuse, détaillée, acharnée à découvrir la vérité, suivie d’un procès équitable. Il ne pouvait s’agir d’appliquer la loi du talion, tout particulièrement dans une Europe qui a heureusement banni la peine de mort. Au fond, il fallait aussi en faire un procès pour l’histoire.

Maintenant, il faut que j’arrive à être autre chose, à repenser à autre chose. A mettre mon chagrin à la retraite, et à retrouver la paix.

Un des survivants du Bataclan au soir du verdict

Le président de la Cour d’assises spéciale, Jean-Louis Périès, l’avait souligné en ouvrant la première audience, le 8 septembre: „Il va nous falloir nous attacher au respect de la norme judiciaire, autrement dit à l’application de la procédure pénale et des droits de chacun, à commencer par les droits de la défense.“ De fait, les avocats qui avaient la lourde charge de défendre les prévenus n’ont pas contesté la façon dont les débats ont été dirigés. Et l’un des 20 accusés – dont 6, présumés morts en Syrie, étaient jugés par défaut – a même été lavé du chef de terrorisme, car son rôle s’était limité à fabriquer de faux papiers sans savoir, vérification faite, qu’ils allaient aider les terroristes à perpétrer leur forfait.

Il s’en tire avec deux ans de prison, tandis que les autres accusés écopent de peines allant parfois jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité, avec des possibilités de réduction impossibles à accorder avant 22, 26, voire 30 ans (dite alors „incompressible“, ce qui n’est donc pas tout à fait exact) selon l’importance de leur rôle et le degré d’atrocité d’antécédents pour lesquels ils avaient jusqu’ici échappé à toute condamnation.

„Retrouver la paix“

Parmi ces derniers, le cas de Salah Abdeslam, qui avait réussi à prendre la fuite du Bataclan le soir du massacre avant d’être arrêté l’année suivante en Belgique, a été particulièrement débattu. L’intéressé assurait en effet n’avoir „tué lui-même personne“ car il aurait „renoncé“ à se servir de son gilet garni d’explosifs – alors que l’enquête de la police scientifique a montré que si l’explosion n’avait pas eu lieu, c’était uniquement parce que ce dispositif était défectueux. Pour l’avocate générale, Abdeslam avait donc bien „sur la conscience, et d’un point de vue juridique sur les mains, le sang de chacun des innocents assassinés au hasard“.

Du côté des parties civiles – survivants, parfois handicapés à vie, familles de victimes, au destin souvent brisé – le verdict a été accueilli avec une satisfaction digne, que l’on sentait teintée tout de même à jamais voilée par les affreux souvenirs de ce maudit „V13“, et le chagrin de tant de deuils. Et que les longs mois d’audience, passionnément suivis le plus souvent, non dans un grondement de foule hostile mais dans un silence triste et attentif, ne parviendront pas à effacer.

Des solidarités se sont nouées entre les victimes, des amitiés parfois inattendues se sont nées sous le regard compassionnel des Français. L’association des familles de victimes attend quand même encore un peu avant de s’auto-dissoudre: l’aventure judiciaire s’arrête-t-elle vraiment là? Mais quand tourner la page, cela semble décidément plus facile à dire qu’à faire … Comme le disait au soir du verdict l’un des survivants du Bataclan: „Maintenant, il faut que j’arrive à être autre chose, à repenser à autre chose. A mettre mon chagrin à la retraite, et à retrouver la paix.“