Passion livresSpaghetti alle vongole

Passion livres / Spaghetti alle vongole
Tonino Benaquista Photo: Gallimard/Francesca Mantovani

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En 1954, la famille Benacquista-Polsinelli troque l’Italie pour la banlieue parisienne. Une décision hasardeuse dont le benjamin, Tonino, n’en finit pas de mesurer les conséquences.

„Dans la rue, je tiens ma mère par la main pour ne pas qu’elle se perde“, „À la nuit tombée, nous ressemblons à une famille“, „Ne vous mariez jamais“… Les quarante-neuf brefs chapitres qui composent „Porca miseria“ sont autant de micro-récits des origines détaillant cette fêlure intime qui vous empêche de connaître le sentiment de légitimité que „d’autres ont vissé au corps“.

En proie au „plaisir risqué de la réminiscence“, Tonino Benacquista s’attarde dans le labyrinthe de son enfance sans savoir où il va le conduire, tout en sachant qu’il a déjà puisé la matière de ses romans dans „ce bric-à-brac mental“ fait de photos aux couleurs sépia et de pages manquantes. Dans „La Commedia des ratés“ (1991), son alter ego Antonio Polsinelli avait déjà le sentiment de vivre „quelque chose entre la tragédie grecque et la comédie à l’italienne. Une farce bouffonne au goût amer, un drame dont on se retient de rire“. Entre-temps, le côté tragédie grecque s’est estompé, le mélodrame à l’italienne a pris le dessus, faisant de „Porca miseria“ une nouvelle „ode à la déroute“, dédiée cette fois-ci aux siens, si mal assortis, si inaptes à se débarrasser de „leur intranquillité, celle du clandestin“. Car les Benacquista-Polsinelli sont des Italiens de la province de Frosinone qui, installés à Vitry-sur-Seine après une escale en Moselle, semblent avoir du mal à gagner pour de bon „la place que la France leur a faite“. Un père, une mère et quatre enfants venus d’Italie, puis lui, le „tardillon“ – né à Choisy-le-Roi en 1961 – à qui la langue française est donnée à la naissance. Ses frères et sœurs finiront par la parler couramment, alors que les parents s’accrochent toujours à leur ciociaro, le dialecte de la région du Latium: „Nous habitons rue de la Gaîté, eux Rrrrou della Gayité“.

Cesare est un buveur invétéré, Elena une dépressive chronique. Lorsqu’il se heurte contre une porte avant de s’écrouler, fin soûl, dans son lit, il alterne les porca miseria et les Dio maledetto. Elle, de son côté, cultive la nuance, mais sur un tout autre registre: les mots français qu’on l’entend prononcer le plus souvent sont cholestérol et contrariété … Happés par leurs peurs et leurs défaites, ces deux-là laisseront Tonino se construire seul, ou plutôt en compagnie de Goscinny et de Gotlib, des „Chroniques martiennes“ et de „Cyrano de Bergerac“.

En court-circuitant systématiquement les modèles d’intégration qui lui sont proposés, le futur auteur de „Malavita“ ambitionne, en fait, de tordre le cou à tous ces clichés dont il se serait bien passé. L’idée de porter non un vrai prénom, mais un diminutif le met mal à l’aise, a fortiori avec ce nom à rallonge qui incite ses interlocuteurs à forcer le trait: „Tonnnino Benacquiiista ! C’est gouleyant, ensoleillé, ça rappelle les vacances à Capri. Si l’on veut m’agréer, c’est raté; je m’interroge sur ma ‘ritalité’ pour céder à ce folklore, car les stéréotypes, même bienveillants – pasta, mamma, opéra, mafia, dolce vita –, restent des stéréotypes qui renseignent avant tout sur ceux qui les véhiculent.“ Vingt ans plus tard – lorsqu’à la publication de son premier roman, son éditeur lui interdit formellement d’opter pour un pseudonyme –, il n’a pas fini d’en découdre avec les étiquettes et les idées reçues: „aujourd’hui encore, quand j’entends prononcer mes nom et prénom, j’ai l’impression qu’on commande des spaghetti alle vongole“.

Corina Ciocârlie

Passion livres
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Tonino Benaquista

Porca miseria
Gallimard, 2021
198 p., 17 €