FilmJoel sans Ethan: „The Tragedy of Macbeth“ de Joel Coen

Film / Joel sans Ethan: „The Tragedy of Macbeth“ de Joel Coen
Denzel Washington convainc dans son incarnation puissante de Macbeth (C) Apple TV

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Pour sa première excursion en solo, Joel Coen livre un exercice de style convaincant, porté par un jeu d’acteurs et une esthétique éblouissants. S’il y a de la beauté à fignoler un objet parfaitement inutile – car qui a besoin d’une énième adaptation de „Macbeth“? – et formellement parfait, le film ne répond pas à la question d’un éventuel devenir de Joel sans Ethan.

On dirait qu’il n’ose pas vraiment se lancer dans une carrière solo, Joel Coen. Ce qui se comprend: alors que leurs films sont portés aux nues depuis au moins 30 ans, les frères Coen se sont fait une réputation, ont construit leur mythe autour de cette notion de fraternité, de binôme, d’identité mêlée, hybride, tant il est vrai que jamais ou presque ils n’apparurent l’un sans l’autre, au point que d’aucuns les confondaient – un quiproquo sur quoi les deux frères jouaient par ailleurs.

Alors voilà que l’un d’eux, Joel, parce que son frère aurait un peu la flemme de faire des films, est forcé de sortir de l’ombre, de s’affirmer comme seul auteur d’un long-métrage, d’affronter son destin, aurais-je pu écrire si j’avais voulu pasticher l’idiome grandiloquent des auteurs d’épopées, un peu comme Macbeth cherche à le faire précisément, à qui les fameuses trois sorcières soufflent, en début de pièce, qu’il serait promis un destin bien meilleur que celui qu’il avait presque fini par endosser comme un uniforme de guerrier. Point de fratricide ici pourtant, Joel Coen semblant avoir voulu chercher un associé, un texte derrière lequel se cacher pour éviter d’occuper seul le devant de la scène – et l’avoir trouvé, rien de moins, chez l’une des tragédies les plus noires du grand Shakespeare, dont la violence devrait seoir à un réalisateur qui, depuis ses débuts (pensons à „Blood Simple“ ou „Miller’s Crossing“), trempe dans le sang.

Inutile de retracer ici l’histoire de „Macbeth“, une pièce mille fois interprétée, dont certains vers sont tellement mythiques que l’on se surprend à les murmurer, un peu comme une prière, au bout de ses lèvres dans la salle obscure de l’Utopia, inutile de nous épancher sur l’héritage laissé par cette histoire d’un vaillant général qui, agité par une prophétie maléfique, tue son souverain, sombre dans la folie et la tyrannie la plus totale avant de finir renversé par ses ennemis.

Filmée dans un noir et blanc dont les décors (mentionnons, à titre d’exemple, le somptueux minimalisme architectural du palais du traître) tout autant que les plans – une couronne qui s’envole avant qu’une tête ne soit tranchée, des fondus enchaînés de toute beauté, des transitions mirobolantes en forme de trompe-l’œil – sont d’une beauté à vous couper le souffle, Joel Coen restitue ici, grâce notamment à un casting impressionnant – il faut voir, mais surtout entendre Denzel Washington déclamer le texte shakespearien, qui lui donne corps tout en chuintements élégants, en sifflements belligérants, en désespoir rauque à la fin – la force et le souffle d’un classique immortel, auquel il confère une esthétique léchée.

Qui plus est, les plans rapprochés nous permettent – c’est presque paradoxal – d’être au plus près des acteurs et de faire l’expérience de la pièce dans toute sa théâtralité. Si l’on peut s’interroger sur la nécessité d’une énième adaptation de „Macbeth“ et qu’on peut donc reprocher à Joel Coen de n’avoir pas su dépasser, par prudence peut-être, le simple – mais excellent – exercice de style, l’on en ressort surtout sans avoir eu de réponse véritable à la question: que vaut, que veut, que peut Joel sans Ethan?

En salle à l’Utopia.