LittératureUne météorite poétique: Un été avec Rimbaud de Sylvain Tesson

Littérature / Une météorite poétique: Un été avec Rimbaud de Sylvain Tesson
Sylvain Tesson est un écrivain et voyageur français Photo: Thomas Goisque

Jetzt weiterlesen! !

Für 0,59 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Les éditions Equateurs – France Inter ont publié un nouvel opus de leur collection intitulée „Un été avec …“. Cette année, le poète ardennais Arthur Rimbaud est à l’honneur dans l’ouvrage que l’écrivain et voyageur Sylvain Tesson lui consacre. En une série de textes courts (épousant le format de la chronique radiodiffusée), il brosse avec érudition et humour, et avec un style enlevé, le portrait chronologique d’un génie précoce et rebelle de la poésie qui termina son existence à Marseille en 1891 après moult errances en Afrique et en Asie.

Articulé en trois sections („Le chant de l’aurore“, „Le chant du verbe“, „Le chant des pistes“), le brillant (tant par le style que par le contenu synthétique qu’il y livre) recueil de chroniques de Sylvain Tesson est un vade-mecum estival autant informatif (sur les aléas d’une existence dominée précocement par la poésie puis par les voyages en Europe ainsi que le négoce au Moyen-Orient et en Afrique) qu’incitatif (à la (re)lecture de ses deux recueils majeurs, à savoir „Une saison en enfer“ et „Illuminations“). S’adressant à tout type de lecteurs, du rimbaldien convaincu au rimbaldien néophyte, l’ouvrage de Tesson, qui n’en est pas à son coup d’essai, se parcourt avec fluidité et se lit avec attention. Il est comme les grands vins qui libèrent d’autant plus leurs parfums et leurs arômes qu’on les déguste précautionneusement. Les chapitres, courts et pétillants par la perspective et le contenu informatif qu’ils proposent, s’enchaînent à un rythme soutenu, faisant se succéder les formules laconiques qui font mouche. Sylvain Tesson maîtrise admirablement son sujet et en rend compte dans un style noblement journalistique, qui parvient avec élégance, justesse et précision à employer les mots adéquats pour évoquer tel épisode de la vie de Rimbaud, tel poème-clé ou telle œuvre poétique. Tesson n’enseigne pas, il transmet une passion pour ce phénomène de la littérature s’appuyant sur un savoir digéré et un enthousiasme (stylistique) communicatif.

Le „mythe“ Rimbaud

Animé du désir de tout réinventer, de tout vivre, tout redire et tout abattre, Arthur Rimbaud, ayant réussi à exprimer l’inexprimable, transforme le monde par les mots. „Une Saison en enfer“ (1873) initie le programme de démantèlement du vers poétique français. „L’œil écoute“: cette formule de Paul Claudel décrit, selon Tesson, la lecture des vers de ce jeune poète qui, pour peupler ses textes, a fait sa moisson dans le Musée imaginaire occidental – la langue étant la clé d’une serrure qui est le monde. On peut lire la poésie rimbaldienne en laissant défiler les perspectives, sans pour autant leur chercher systématiquement de sens. Le „mystère“ ou „mythe“ Rimbaud est d’autant surprenant, nous rappelle l’auteur, qu’il est fondé sur une contradiction: une postérité totale qui s’oppose à la minceur de la production littéraire. La synesthésie, l’hyperesthésie caractérisent entre autres l’œuvre de ce „monstre“ représentant, dans le paysage littéraire français de la deuxième moitié du XIXe siècle, une „sismographie poétique“.

Rimbaud, que tant d’autres (auteurs) ont tenté de récupérer (Tesson parle à ce propos d’une „rimbaldite“ comme maladie de l’appropriation rimbaldienne), est un entrelacs de douceur et de cruauté, de boue et d’or (selon la célèbre formule de Baudelaire). Ce „bad boy à la beauté satanique“ (qui lui vaudra nombre de remous dans ses amours verlainiennes) est aussi un vagabond libertaire, le businessman d’Aden, velléitaire trafiquant d’armes en Afrique. Il a mené une vie de voyant et de voyou qui trafique dans l’inconnu. Pris dans un mouvement perpétuel (Tesson évoque la „dromomanie“ ou pathologie des embarquements et décrit ce poète comme étant „l’homme aux semelles de vent“), a marché comme il a vécu. La marche, en qualité de grand lavement de l’esprit, relève d’une stratégie d’évitement de l’ennui – la marche africaine de Rimbaud ayant été à la fois une fuite et une expiation. Quelle image retenir, en définitive, de cette figure prométhéenne, faustienne adulée pour son génie poétique ou décriée pour ses errances éthico-comportementales ? C’est peut-être le poète René Char qui tranche le mieux en affirmant que „Rimbaud poète, cela suffit et cela est infini“. Le (re)lire est un véritable voyage (estival)!

Sylvain Tesson, „Un été avec Rimbaud“, Paris, Equateurs/France Inter, 2021. ISBN-13 978-2849909799; 14,50 euros; 217 pages.
Sylvain Tesson, „Un été avec Rimbaud“, Paris, Equateurs/France Inter, 2021. ISBN-13 978-2849909799; 14,50 euros; 217 pages. Photo: Editions des Equateurs