Comédie musicaleRêve général – „In the Heights“ de Jon M. Chu

Comédie musicale / Rêve général – „In the Heights“ de Jon M. Chu
 Photo: Macall Polay/Warner Bros. Entert

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Comédie musicale survitaminée, „In the Heights“ brosse le portrait d’une communauté d’immigrés qui chantent leurs combats et dansent leurs rêves.

Qu’est-ce qu’un „sueñito“? C’est un désir, un besoin, une idée fixe, une raison de vivre. C’est ce qui permet de s’évader, de surmonter un quotidien trop difficile jusqu’à parvenir à la destinée rêvée. Pour Usnavi, ce destin, c’est un pays: la République dominicaine, dont il est originaire. Dans sa chambre, il a épinglé quelques photos de lui petit, jouant avec son défunt père sur une plage de sable blanc. „Les meilleurs jours de ma vie“ se répète-t-il, comme un mantra. De ce souvenir, il a fait davantage qu’un fantasme: un projet, une fin en soi. Son sueñito, son but, c’est de retrouver la plage de son père, ainsi que le pays de ses origines. Usnavi s’apprête donc à quitter Washington Heights, le quartier du Nord Ouest de Manhattan dans lequel il a grandit. Ce quartier, dans lequel vit une population latino immigrée de divers pays, est le véritable personnage principal du film. C’est lui dont Jon M. Chu fait la radiographie et chante l’apologie, en adaptant la célèbre comédie musicale de Lin-Manuel Miranda qui fit sensation à Broadway.

Ce qui fait la réussite de ce film, est la façon dont sont alliés le fond – la lutte et les espoirs d’une population immigrée, défavorisée, victime d’inégalités, de racisme et d’ostracisme, qui doit se battre pour avoir accès à une éducation, à un salaire, à des papiers – et la forme – celui de la comédie musicale grand public, avec chorégraphies réunissant plusieurs centaines de danseurs dans les rues, les clubs et les bains publics de la mégalopole américaine. Après une année de privation, Jon M. Chu offre à son public un grand et tonitruant spectacle. Pour porter la bande-son, deux styles musicaux majeurs: des rythmes latino endiablés, et du rap américain vitaminé. Les paroles, composées par Lin-Manuel Miranda, manquent parfois d’originalité ou de profondeur, mais les morceaux de rap séduisent grâce à l’humour et l’autodérision dont font preuve les personnages, ainsi qu’aux pas de danse savamment exécutés.

Deux grandes intrigues

Deux grandes intrigues sous-tendent le film: l’histoire d’Usnavi, d’une part, dont le rêve de retour au pays entre directement en conflit avec celui de la femme qu’il aime, (Vanessa, qui veut se faire un nom dans la mode à NYC). Et d’autre part, le parcours de Nina, brillante jeune femme partie étudier dans la prestigieuse université de Standford en Californie et qui, revenue au quartier, se trouve confrontée aux attentes et espoirs que sa communauté a placés en elle. Ce personnage d’une jeune femme cultivée, indépendante et volontaire, mais également profondément humaine dans les conflits intimes et politiques auxquels elle doit faire face, est sans doute le plus séduisant de tous. A travers elle, c’est la lutte universelle des défavorisés pour accéder à leurs droits et faire évoluer les mœurs qui est représentée. Comme Usnavi, Nina est une rêveuse, une dreamer. Aux Etats-Unis, cette expression renvoie à une situation politique et légale précise concernant les enfants d’immigrés entrés illégalement sur le territoire américain.

Jon M. Chu (côté gauche) offre à son public un grand et tonitruant spectacle
Jon M. Chu (côté gauche) offre à son public un grand et tonitruant spectacle Photo: Warner Bros/Everett Collection

Grâce à la loi passée par Obama en 2012, ces dreamers se sont vus accorder le droit d’étudier et de travailler légalement aux Etats-Unis pendant deux ans renouvelables. Leur expulsion est repoussée, et ils caressent l’espoir de voir leur situation enfin régularisée, pour qu’ils puissent vivre chez eux en toute légalité. En 2017, Donald Trump avait annoncé la fin du dispositif et aujourd’hui, Joe Biden doit se battre pour tenter d’inscrire dans la loi le statut de ces Dreamers. Il est donc assez jouissif de voir dans „In the Heights“ cette génération de rêveurs volontaires envahir les rues de New York pour chanter leurs désirs et leurs combats, danser leur résilience et leur détermination. On pourra certes être quelque peu agacés par l’esthétique très léchée et l’aseptisation de la ville façon Montmartre dans „Amélie Poulain“, par certaines séquences tire-larmes, par des voix moins mélodieuses que d’autres ou par la simplicité de certains messages répétés. Mais les combats des personnages demeurent contemporains, réalistes et touchants.

Une séquence, notamment, restera gravée: celle du morceau de bravoure que constitue la chorégraphie durant laquelle Nina et son aimé dansent leur amour sur les murs et escaliers de secours. Une chorégraphie d’une grande inventivité, qui exprime toute l’énergie de la jeunesse et de ces rêveurs qui, par leur espoir et leur ardeur, défient jusqu’à la pesanteur-même. Rêve général!