Cinéma / La guerre n’est pas finie: entretien avec Arthur Harari, réalisateur d’„Onoda – 10.000 nuits dans la jungle“
Envoyé aux Philippines en 1944, dans l’île de Lubang, pour organiser la guérilla, le sous-lieutenant japonais Onoda refuse d’admettre que l’empire aurait perdu la guerre et mène une résistance inlassable contre un ennemi fantôme jusqu’en 1974. A cette date seulement, après avoir perdu ses compagnons d’armes et vécu dans une solitude absolue, Onoda consent à renouer avec le fil de l’histoire et à sortir de la jungle … Le réalisateur français Arthur Harari livre une vision très personnelle d’Onoda dans un film d’aventure librement adapté d’une histoire vraie. Nommé dans la section „Un certain regard“, „Onoda – 10.000 nuits dans la jungle“ parle d’héroïsme, de sacrifice, d’idéalisme, d’honneur, mais aussi de la paranoïa d’un homme qui, pendant trente ans, s’est coupé du monde.
Je le trouve à la fois courageux et lâche. La dimension contradictoire m’intéressait dans son histoire.réalisateur
Tageblatt: Pourquoi vous êtes-vous intéressé à ce personnage historique hors du commun et si éloigné de vous?
Arthur Harari: Cette histoire devait être racontée. Je voulais faire un film d’aventures. Mon père m’a fait découvrir Onoda. Il se souvenait de son retour au Japon, en 1974. Ce fut un événement mondial même s’il y avait d’autres soldats japonais „restants“. La question du refus d’accepter la réalité m’a sauté aux yeux. Onoda ne croit qu’à une seule chose: un autre monde qu’il a fabriqué. Je trouvais intéressant d’essayer de me mettre aux côtés de ce personnage pour essayer de comprendre ce qu’était ce monde-là et cette réalité qui n’était pas moins réelle que l’autre. Il devient le maître de son royaume, de sa tête, en fait. A dix-huit ans, Hirô Onoda avait des difficultés avec sa famille. Il se rendit en Chine orientale (alors occupée par le Japon) pendant deux ans. Lors de la seconde guerre sino-japonaise, Onoda revint au Japon pour devenir soldat. Son retour au Japon trente ans plus tard fut un moment assez confus du Japon. La population voulait en même temps garder une certaine fierté. Le cas „Onoda“ est toujours présent. Par exemple, les acteurs ont compris à travers le film d’autres choses qu’ils savaient déjà sur Onoda. Pour ma part, j’avais l’impression de reconnaître quelque chose dans mon humanité dans l’humanité très complexe de ce personnage. Je me sens très proche de lui. Comme un enfant, Onoda rêve d’autre chose. Il s’invente un autre monde. J’aurais voulu vivre son expérience extraordinaire.
Considérez-vous Onoda comme un héros?
A mes yeux, je ne me voyais pas trancher sur son attitude. Je le trouve à la fois courageux et lâche. La dimension contradictoire m’intéressait dans son histoire. Il est très paradoxal car il ne veut pas mourir et en même il est dans la négation que peu de gens ont faite. J’ai été attiré par cette histoire hors du commun qui dépasse les questions strictement morales. Onoda refuse toujours ce qu’on lui dit du monde mais il attend toujours quelque chose. Il souhaite qu’on vienne donner raison à sa croyance et la seule personne qui puisse le faire, c’est lui-même. Une fois qu’il a perdu son dernier camarade il ne peut que l’imaginer pour ne pas être seul et la seule autre personne qui pourrait venir, il finit par sentir que c’est lui-même. Il est dans une solitude absolue.
L’acteur Kanji Tsuda incarne Onoda, âgé. Pourquoi ce choix?
Je l’avais découvert dans de film de Kiyoshi Kurosawa („La sonate de Tokyo“, 2008, ndlr), où je l’avais trouvé extraordinaire. Habitué aux seconds rôles, il n’a jamais incarné un personnage aussi „important“ que celui d’Onoda. Pendant les essais, la ressemblance avec Onoda avait été frappante pour moi, elle l’était encore plus quand il a perdu du poids et s’est rasé la tête. Au fil du tournage, il y a eu une sorte de fusion entre lui et le personnage. Un état physique et spirituel très beau et qui, en tout cas, correspondait à ce que j’imaginais d’Onoda.
Avec ce projet assez fou, comment un réalisateur français est-il arrivé à convaincre un producteur?
Il a été tout de suite convaincu. Le sujet était très porteur. Mon frère (Tom Harari, directeur de la photographie, ndlr) et le monteur sont venus très vite dans mon désir et mon projet. Plus que les mémoires d’Onoda („Au nom du Japon“, Hirô Onoda, Ed. La Manufacture des Livres, 2020, ndlr) que j’ai lues plus tard, je me suis inspiré du livre remarquable „Onoda Seul en guerre dans la jungle, 1944-1974“ (Arthaud poche, 2020, ndlr) écrit par deux Français, Bernard Cendron et Gérard Chenu. J’y ai trouvé une construction temporelle éclatée qui rendait le vertige du temps et aussi la dimension de rêve. „Vous avez été heureux sur cette île? Pas une seule journée“, avait répondu Onoda en conférence de presse. Ce qui me semblait inconcevable. Comment raconter un voyage intérieur qui possiblement raconte aussi une histoire de beauté? Après, comment on écrit, comment on fait les choses, j’avoue ne pas pouvoir répondre. L’écriture est complexe surtout quand il s’agit de récupérer des faits réels. Bernard Cendron a collaboré à l’écriture du scénario. On a essayé de comprendre le personnage. Cette fable-là parle aussi de nous, du monde dont on a hérité et hélas aussi du monde qu’on laisse à nos enfants.
Comment s’est déroulé le tournage qu’on imagine très dur?
Le tournage a demandé une très longue préparation, principalement pour les repérages dans la jungle. Le défi était de trouver directement des décors qui dégageaient la sauvagerie qu’on cherchait. On s’est baladés dans des coins assez reculés. La jungle a une dimension assez métaphorique. Elle était autant présente dans la tête d’Onoda que dans le réel. Notre démarche n’est pas juste documentaire. C’est aussi une construction. Le tournage a démarré à la fin de la mousson. Pour la pluie qui a un rôle narratif important, nous avons utilisé la dimension artificielle du cinéma. Tout le travail consistait à arriver à une sensation de réel, d’immersion et de naturel. On arrivait à se comprendre au-delà de l’obstacle de la langue. Nous avions un excellent interprète.
Info
Titre original : „Ma guerre de trente ans sur l’île de Lubang“, 1974. Les mémoires d’Onoda sont un best-seller.
„Onoda – 10.000 nuits dans la jungle“ d’Arthur Harari. Avec: Kanji Tsuda, Tetsuya Chiba, Shinsuke Kato.
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