LittératureGodes et gonzo dans la nuit parisienne: „Chems“ de Johann Zarca

Littérature / Godes et gonzo dans la nuit parisienne: „Chems“ de Johann Zarca
Johann Zarca, enfant terrible de la littérature française Photo: Getty/Foc Kan/WireImage

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Avec „Chems“, Johann Zarca va encore plus loin dans l’exploration des bas-fonds parisiens en décrivant la descente aux enfers d’un journaliste d’investigation dans l’enfer de l’addiction au chemsex. Si le style est par moments trop désinvolte, le roman aborde une pratique devenue très courante parmi les gays, qui se solde souvent par des overdoses ou des suicides.

L’enfant terrible des lettres françaises est de retour. Après son „Paname Underground“, couronné par le prix de Flore, Johann Zarca signe un premier roman chez Grasset. Que ceux qui craignaient que cet auteur éminemment trash ne soit transformé en écrivain mainstream se rassurent: „Chems“ est une descente éthylique et cocaïnisée aux enfers de l’addiction au chemsex qui a dû tant choquer l’éditeur qu’il a choisi, au lieu de la sempiternelle couverture jaune, un noir mâtiné de rouge et de blanc.

Ça commence avec une soirée d’inauguration d’un magazine fétichiste qui permet à Zède, narrateur et alter ego de l’auteur, de planter le décor de son récit pendant qu’il attend son fournisseur de coke, indispensable pour que sa soirée démarre, en décrivant un monde trash et underground où traînent des personnages comme Camille, qui pratique la domination et la soumission soft, ou encore Khadija, „fêtarde et consommatrice effrénée de MDMA“: bienvenue dans le monde de Johann Zarca, peuplé d’êtres à la dérive, d’assoiffées et de toxicos en tout genre, de hipsters et de journalistes curieux, où chacun est toujours en quête d’un „rail à dépanner“. Apercevant Jason, ce collègue à qui le journalisme „permet d’emprunter la posture du simple observateur pour se dédouaner de ses fantasmes, d’approcher des univers qui le fascinent sans devoir en assumer les vices“, Zède se moque doucement: pour lui, la pratique journalistique est immersive où elle n’est pas.

Digne héritier donc d’un Hunter S. Thompson, Zède est le journaliste gonzo de l’underground parisien. Son nouveau sujet d’investigation, après „Porno Kébab“, un livre sur le „porno low cost façon Jacquie et Michel et French-Bukkake“ et un deuxième, „Paris Underground“, sur des travailleurs du sexe et les „néofascistes du 15e“? Le chemsex, une contraction de chemical sex qui désigne, pour ceux qui l’ignoreraient, „l’utilisation de drogues de synthèse pendant l’acte sexuel pour atteindre des sommets d’extase“. C’est simple: comme le lui expliquera son initiateur en matières de sexe sous GHB et sous des cathinones comme la 3-MMC, cette „drogue des pédés“ aux effets „empathogène et entactogène“ qu’on peut simplement commander en ligne, „quand tu baises en restant sobre, tu restes au niveau 1, tu atteins le niveau 7 quand tu es sous MDMA et le niveau 10 quand tu fais du sexe sous 3-MMC ou 4-MEC“. Et, continue-t-il, quand on slamme – donc quand on s’injecte la drogue dans les veines – on atteindrait le niveau 100, „un orgasme puissance 10, le Nirvana“.

Plan chems

La longue descente de Zède dans la double addiction commence par une interview avec Jérôme Dumont, auteur et comédien en vogue dans les années 80 jusqu’à son coming-out de barebacker – un mouvement qui regroupait des gays, séropositifs pour la plupart du temps, baisant sans capote en cachant parfois „leur statut sérologique à leurs partenaires“. Depuis l’effondrement de sa carrière, le provocant Dumont a passé sa vie à baiser et à partouzer, à fister, à enculer et à se faire enculer, parfois en se faisant payer.

Pour lui, le fléau des gays, ça n’est plus le sida, qui se soigne, mais le chemsex: „Les pédés sont des avant-gardistes du cul. […] On a compris avant tout le monde que les mecs avaient une prostate, que le sexe ne se limitait pas à la classique pénétration et que les capotes tuaient le plaisir. Avant tout le monde, on a testé le polyamour, l’abondance de partenaires et le poppers. Le chems aussi. Une génération plus tard, les mecs hétéros réclament des doigts à leur partenaire, délaissent la capote, multiplient les rencontres sentimentales et enchaînent les plans baise […], hument des vapeurs de nitrites de butyle et petit à petit découvrent le chems.“

Même s’il avertit Zède sur les risques du chemsex, ce sera Dumont qui initiera le narrateur à la pratique du sexe sous influence au cours de scènes hallucinatoires, où le journaliste se fera enculer par des partouzeurs peu recommandables avant de retourner chez lui, où l’attendent sa femme Mia, enceinte, et son fils Aron. S’enfonçant de plus en plus dans l’addiction synthético-sexuelle, tombant victime de l’enchevêtrement entre observateur et sujet d’observation qui fascine tout journaliste gonzo, Zède succombe à des pratiques douteuses qui ruineront sa vie conjugale lors de soirées au bout desquelles il tapera dans l’alcool et la coke pour surmonter ses terribles gueules de bois.

Désinvolte

Le style de Zarca est sans fioritures, va droit au but, son écriture suit les errances du narrateur en reproduisant sans l’enjoliver la défonce du narrateur, au cours de laquelle il se transforme en queue errante, obsédé par les différents orifices qui se présentent à lui: „Vanina partage ma queue avec le balafré. Son acolyte, la tête recouverte d’une cagoule en cuir, fiste Jérôme sur la bâche. Ma vision est brumeuse et ma notion du temps confuse; tout me paraît irréel.“

Véritable descente aux enfers de la libido, „Chems“ n’est pas d’une lecture agréable, d’un parce que son langage cru révèle un univers sombre, un monde des bas-fonds peuplé d’êtres perdus, de deux parce que l’oralité du style est trop désinvolte et que, comme je l’ai déjà dit ailleurs, l’on n’écrit ni ne lit de la littérature pour reproduire telle quelle et sans la transcender stylistiquement la vulgarité du parler des gens (ainsi Zède dira-t-il, d’une fille qu’il voulait „pécho“, qu’il n’avait aucune chance puisqu’elle était „lesbiche ascendant lesbiche“). C’est volontairement cru, et si on peut apprécier cette stylistique naturaliste en ce qu’elle reproduit avec fidélité les idiosyncrasies d’un monde qui n’y va pas par quatre chemins pour parler drogue et baise, l’on aurait apprécié un peu de poésie et un travail sur la langue.

Si Zarca est clean depuis deux ans, il évoque avec une conviction presqu’insupportable les mécanismes de l’addiction et la recherche d’extases qui deviennent de plus en plus inaccessibles au fur et à mesure que la consommation augmente tout en décrivant un monde sur lequel bon nombre de gens se ferment les yeux, un monde de la quête effrénée et hédoniste de l’extase permanente, un monde où règne la démocratisation de toutes les drogues, dont la coke, avant cantonnée aux milieux bourges: „Shit, coke, weed, MDMA et ecstas se déversent par tonnes dans les vingt départements, toutes ces substances se chopent en un claquement de doigts.“ La drogue, tout comme le regain de la spiritualité (un sujet souvent évoqué lors de la dernière rentrée littéraire), est devenue une façon de trouver du sens à une existence qui en est dénuée, une réaction à cette „ère du vide“ dont parle le philosophe Gilles Lipovetsky. On aurait juste aimé que le roman de Zarca le soit un peu moins, vide, au niveau du style.

Info

„Chems“ de Johann Zarcan, Editions Grasset 2021, 216 pages, 18,50 euros