ExpoL’érosion d’une époque: Michael Schmidt au Jeu de Paume

Expo / L’érosion d’une époque: Michael Schmidt au Jeu de Paume
Sans titre – Frauen (Femmes) 1997-1999 Photo: Michael Schmidt/Jeu de Paume

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Pour la première fois en France, le Jeu de Paume propose une exposition du photographe Michael Schmidt (1945-2014), figure incontournable de la photographie allemande. Autodidacte, il a documenté remarquablement son époque, en traquant les archétypes. Pour cela, il a varié les techniques et points de vue, allant jusqu’à ne plus identifier géographiquement, vers la fin, ses photographies, en écho à la mondialisation.

Michael Schmidt a consacré la majeure partie de son œuvre à Berlin, sa ville natale, où il vivra jusqu’à sa mort. Celle-ci débute dans les années 1960, Michael Schmidt est alors gendarme à Berlin-Ouest. Dès les premières images nous avons un regard méticuleux sur les lieux, chaque détail a son importance. Pour cela il privilégie le gris, comme un intervalle nécessaire entre le noir et le blanc, donnant de Berlin des ciels opaques, une pesanteur qui l’ancre tant dans le réel que dans la métaphysique.

Une cartographie de la ville se dessine peu à peu, avec ses terrains vagues, la démolition de l’ancien monde, la construction d’un nouveau mode de vie. Les gens, pour la plupart des jeunes, en font partie. Et depuis cette grisaille qui permet une distanciation avec le réel, comme s’il était mis à plat, défilent des lieux empreints de force et de gravité. Le regard voyage comme pour un tableau, s’accrochant à une volute, une arête d’immeuble, un angle droit. Ce sont parfois des quartiers lourdement touchés par la Seconde Guerre mondiale.

„Pour faire connaissance avec un lieu“, écrit Michael Schmidt, „je parcours chaque rue dans les deux sens, muni d’une carte, c’est-à-dire qu’en principe je vois chaque rue et ses constructions au moins deux fois, mais généralement plus. J’opère avec l’acuité du ‚photographe’, c’est-à-dire conscient que la confrontation pratique (avec les choses et leur environnement) améliore la compréhension qu’on a du lieu.“

S’affranchir de l’anecdote

A partir de 1973, Michael Schmidt devient photographe indépendant. La municipalité de Kreuzberg lui commande un livre sur le quartier. D’autres commandes suivront. C’est l’occasion pour Michael Schmidt d’étudier les citoyens dans leur vie de tous les jours. Ainsi dépeint-il dans une série de photos, comme autant d’instantanés ou d’images extraites d’un film, la journée type de deux femmes, entre travail et vie privée, les photographiant dès le petit-déjeuner jusqu’au retour à la maison.

Et comme toujours pour ces séries, le gris est privilégié, comme une blancheur opaque qui donne la distance nécessaire pour s’affranchir de l’anecdote. Comme si le gris permettait la documentation des lieux, un regard neutre sur les personnages, la curiosité pour une époque, tel un anthropologue penché sur son sujet. Le mobilier urbain, les chantiers, les écoles, avec parfois un enfant qui ouvre une porte, sont autant de perspectives sur ce qui structure le quotidien. Pour une autre commande, celle du Sénat de Berlin, Michael Schmidt photographie au quotidien, et sans concession, des personnes atteintes de maladies chroniques ou handicapées. Les visages, les anatomies, nous frappent de plein fouet, avec la force d’une empathie immédiate.

En 1983, Michael Schmidt se détache du style documentaire et revient sur certaines de ses photographies pour les réinterpréter, leur offrant de nouveaux cadrages. Il photographie et recadre également des images de magazines ou de journaux, amplifiant certains détails. Le focus est émouvant lorsqu’il isole des visages et s’arrête sur leur expression, alors que ceux-ci, dans la photo d’origine, étaient perdus dans la foule. Notre mémoire devient alors une sorte d’inconscient collectif revenu à la surface. Cette série „Uni-té“ est née dans les années 1984-1985, pendant la réunification allemande.

Sans titre – Waffenruhe (Cessez-le-feu) 1985-1987
Sans titre – Waffenruhe (Cessez-le-feu) 1985-1987 Photo: Michael Schmidt/Jeu de Paume

A la bonne distance

Des photos d’architecture, aux contrastes accentués, avec une amplification du détail, permettent de saisir le détail de la matière, le grain de la pierre, l’aspect lisse du béton, la puissance de murs érigés comme des forteresses. Fragments du réel, les photos prennent une dimension esthétique forte, tout en se concentrant sur l’époque.

Dans les années 1997-1999, oubliant le gris de ses débuts, Michael Schmidt, toujours de manière fragmentaire, interroge les corps, surtout les féminins, les confrontant aux archétypes qu’ils véhiculent presque à leur insu, ceux de la mode et de la société de consommation. Ces images que les jeunes renvoient d’eux-mêmes, jusque dans leur nudité, sont monumentales, sculpturales. Emergent d’un jean et d’un tee-shirt noir, la ligne blanche d’un ventre. Les corps nus ne suscitent pas le désir, posés là, au même titre que les visages, ils témoignent, à bonne distance.

La distance est peut-être ce qui caractérise le plus l’œuvre de Michael Schmidt, lui qui a influencé nombre de photographes, dont le célèbre Andreas Gursky. Pour les dernières séries, „Quelque part“ (2001-2004), et „Denrées alimentaires“ (2006-2010), Michael Schmidt s’intéresse à la province et aux lieux interchangeables, puis aux denrées alimentaires et à l’industrialisation des produits. Michael Schmidt se rend alors en Norvège, aux Pays-Bas, en Italie, en Espagne, en Autriche. Il y photographie des saucisses, des exploitations de fruits et de légumes, des fermes piscicoles.

Ces lieux, identifiables, sont pourtant standardisés, au point que le photographe ne donne plus d’indication géographique. Pour les „Denrées alimentaires“, qui peuvent provenir de n’importe où dans le monde, Michael Schmidt aborde la couleur. Il associe les formes, de manière ludique et dérangeante. Parfois les produits ne sont pas identifiables non plus. Nous sommes ici dans le règne de l’internationalisation et de l’oubli des produits du terroir, dans un leurre. Une pomme, aussi belle soit-elle, n’apparaît plus comme une simple pomme, mais comme le résultat d’un long processus, celui de l’industrie alimentaire.

Une exposition salutaire.

Info

Michael Schmidt: une autre photographie allemande
Jusqu’au 29 août 2021
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75001 Paris
www.jeudepaume.org