Festival de CannesNaissance d’un Woody Allen français

Festival de Cannes / Naissance d’un Woody Allen français
Les deux soeurs, incarnées par Sophie Marceau et Géraldine Pailhas, et leur père malade (André Dussollier), qui veut en finir Photo: Carole Bethuel, Mandarin Production, Foz

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Avec „Tout s’est bien passé“, François Ozon fait se rejoindre les sujets de ses deux derniers longs métrages – le tabou et la mort – en un film qui, réussissant à éviter l’emphase et le kitsch, peine cependant à trouver le ton juste.

Adapté du livre éponyme d’Emmanuelle Bernheim, „Tout s’est bien passé“ relate l’histoire d’un père – un mauvais père, précisera Emmanuelle, incarnée par Sophie Marceau – qui, après un AVC qui le paralyse partiellement, perd toute joie de vivre et demande – ou plutôt ordonne, car „on ne peut rien refuser à mon père“ – à sa fille chérie de l’aider à „en finir“. Après un moment de choc – comment ce monstre a-t-il pu oser demander ça à sa propre fille –, Emmanuelle et sa sœur (Géraldine Pailhas) se résignent à organiser et à programmer la mort de leur père, ancien industriel et collectionneur d’art, Emmanuelle établissant le contact avec une organisation suisse.

Depuis quelques années, Ozon a atteint le rythme de croisière d’un Woody Allen, réalisant un film par an. Avec „Tout s’est bien passé“, il déroule plus loin le fil de ce fantasme – planté dans un milieu juif bourgeois, le film propose même, par le biais du père, incarné par un André Dussollier à la fois diminué et en grande forme, une sorte de variation homosexuelle des personnages incarnés par Woody Allen – André Bernheim, le père, est cynique, drôle, lubrique et sculpte son personnage monstrueux avec une tendresse qui en sauverait presque le film.

Ozon s’inspire, pour cette histoire d’euthanasie, d’„Amour“ de Michael Haneke, dont il reproduit ici jusqu’aux idiosyncrasies stylistiques – ainsi, afin d’éviter toute emphase et tout larmoiement, il évite autant que faire se peut tout recours à de la musique extradiégétique. Pourtant, cela ne suffit pas à en faire un film touchant – sur le sujet de la mort du père, Florian Zeller avait réussi à réaliser un film infiniment plus poignant alors que le film était baigné dans les compositions de Ludovico Einaudi.

Le film d’Ozon demeure étrangement distant, ce qui est à la fois louable – il esquive le piège du kitsch – et dérangeant, puisqu’on se rend compte que cela est dû à des problèmes d’écriture et de ton: ainsi, pour éviter tout sentimentalisme, le film choisit l’humour au lieu du mélodrame. Le problème, c’est que là où „Minari“, autre drame familial récent, parvenait à instaurer de la drôlerie sur fond d’une angoisse latente, „Tout s’est bien passé“ n’y réussit pas tout à fait, d’un parce qu’il glisse par trop dans le farcesque et de deux parce que les personnages sont trop caricaturaux pour que l’humour devienne ce qu’Ozon veut qu’il soit: un divertissement au sens étymologique, une esquive.

Emmanuelle est autrice, mais n’écrit pour ainsi dire jamais, son passé, élucidé à coups de flashbacks peu soignés, brosse un portrait de père distant sur fond de freudisme bancal, sa sœur est pingre et distante sans qu’on élucide ces défauts de caractère, la mère sculptrice (Charlotte Rampling) est dépressive depuis toujours.

Le film finit par ressembler à ce sandwich au saumon dans quoi André Bernheim mord à l’hôpital avant de se rendre compte qu’il n’arrive plus à avaler grand-chose, sandwich qu’Emmanuelle remballe, ramène à la maison et, ne pouvant se résigner à le jeter à la poubelle, met d’abord au frigo puis congèle pour, au bout d’un moment, s’en débarrasser néanmoins: parfois, on a l’impression qu’Ozon ne sait pas trop quoi faire avec son film, dans quel tiroir tonal le mettre.

Pour qui connaît l’œuvre de François Ozon, le problème réside déjà dans le titre, qui suggère d’emblée qu’il y aura, comme dans „Grâce à dieu“, une phrase qui frappe, qui résume tout le film. C’est là que le bât blesse – il y a désormais, malgré la diversité des sujets et des formes, une recette Ozon, un effet Ozon et, comme chez Allen, des films Ozon qui sortent du moule et ceux qui le perpétuent de façon trop évidente.

„Tout s’est bien passé“, par François Ozon, en compétition, 2/5


La deuxième journée du festival :
Lamas industriels et angoisse covidienne
Survivre n’est pas vivre
Autoportrait d’un (plus si jeune) homme en feu