Coup de gueuleUne cuisine sans cuistot: la shortlist du „Theaterpräis“ ne contient pas un seul auteur

Coup de gueule / Une cuisine sans cuistot: la shortlist du „Theaterpräis“ ne contient pas un seul auteur
Le „Theaterpräis“ prend le concept de la mort de l’auteur un peu trop à la lettre

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Alors que le lancement définitif et officialisé de Kultur|lx chante la richesse et la promotion de la culture luxembourgeoise, il semblerait que certaines disciplines méritassent d’être amplement soutenues là où d’autres seraient tout juste bonnes à être rangées aux oubliettes.

Depuis l’annonce de la shortlist du „Theaterpräis“, une vague de mécontentement traverse le milieu littéraire: aucun auteur n’a été retenu, alors que toutes les autres catégories ou presque sont représentées. Le Luxembourg, ou tout du moins son „Theaterpräis“, conçoit donc le monde du théâtre sans auteur. Ça n’est pas là ce qu’entendit Roland Barthes quand il parlait de la mort de l’auteur, détrompez-vous.

Détrompez-vous, puis imaginez-vous: que serait le théâtre sans auteur? Imaginez un monde possible où ni Shakespeare, ni Beckett, ni Jelinek, ni Molière n’auraient existé. Ou alors un monde où ces auteurs, dépourvus de reconnaissance, auraient abandonné leur métier et se seraient adonné à d’autres activités, plus attractives, bénéficiant d’une notoriété un peu plus grande. Ils seraient peut-être devenus chauffeurs de taxi, piliers de bar, call-boys et call-girls ou fonctionnaires d’Etat. Sans texte, même dans un monde postdramatique où ceux-ci sont souvent déconstruits, malmenés, fragmentés – sans texte, pas de théâtre.

Alors oui, il y a d’autres prix pour les auteurs, dans ce merveilleux monde du couronnement artistique luxembourgeois. Mais le prix Servais, pour ne nommer que lui, n’a été attribué qu’une seule et unique fois à une pièce de théâtre. Pour ce qui est des autres prix, la situation est pire. D’ailleurs, comment récompenser une pièce au cadre d’un „Buchpräis“ quand la grande majorité ne bénéficie pas d’un support imprimé? Jadis, on publiait encore les pièces de théâtre sous forme imprimée, grâce notamment à la collection „Amphitheater“. Aujourd’hui, on n’en trouve plus guère, du théâtre imprimé, abstraction faite de la collection théâtrale de Hydre Editions et de quelques efforts isolés (les deux dernières pièces de Michel Clees chez Binsfeld, Romain Butti chez Kremart), efforts qui ne reflètent en rien la richesse de l’écriture théâtrale au Grand-Duché. Or, sans publication, pas de prix littéraire, abstraction faite du Concours littéraire national, où le théâtre est représenté une fois tous les quatre ans.

Je m’étonne donc, au-delà d’autres étrangetés de ce prix, dont l’analyse déborderait le cadre de ce petit coup de gueule quoiqu’elles méritassent encore qu’on s’y penchât (les catégories sont organisées pêle-mêle, le président du jury est aussi le directeur d’une institution culturelle qui produit (entre autres) du théâtre et le président de la „Theater Federatioun“, la catégorie „nouveaux talents“ connaît son lot d’acteurs et d’actrices déjà adoubées par le système, la critique et le public depuis des lustres …), d’une absence aussi déplorable qu’elle est étrange, sans logique, d’auteurs dramatiques, ni parmi les créations ni parmi les jeunes espoirs. C’est comme si on récompensait, dans un restaurant, le service, la déco, le barman, le voiturier, la qualité de l’argenterie, la diversité des mets servis – mais qu’on oubliait le cuistot.

Pourtant, il y en a eu, des pièces qui valaient le détour, ces dernières années, écrites par des auteurs du pays, pièces que je ne citerai pas ici afin qu’on ne puisse pas me faire le reproche du mec qui fait l’éloge de ses amis et collègues auteurs (ceux qui me connaissent savent que je suis très loin d’aimer tout ce que produisent mes collègues). Mais le jury semble miser sur des valeurs (trop) sûres, un peu évidentes – ainsi retrouve-t-on à plusieurs reprises, sur cette shortlist, „La peste“ de Camus dans son adaptation de Frank Hoffmann, qui ne m’avait guère emballé. Tout se passe comme si l’on souffrait, là encore, du fameux complexe d’infériorité qui mine depuis tant de décennies la réception et la perception de notre littérature, alors qu’en même temps, on prépare la présence luxembourgeoise à la Frankfurter Buchmesse et que Kultur|lx prône le soutien et la promotion de notre milieu culturel à l’étranger. Or: si on ne sait même pas apprécier la littérature luxembourgeoise dans notre propre pays, à quoi bon vouloir l’exporter à l’étranger?