Plusieurs avertissements et une surpriseLe duel Macron/Le Pen semble un peu moins écrit d’avance en 2022

Plusieurs avertissements et une surprise / Le duel Macron/Le Pen semble un peu moins écrit d’avance en 2022
La participation historiquement basse complique toute interprétation du scrutin Photo: Bob Edme/AP/dpa

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Le faible score des candidats se réclamant d’Emmanuel Macron au premier tour des régionales, la résistance de la gauche et surtout de la droite, questionnent le scénario du duel Macron-Le Pen annoncé pour 2022.

Le détail des résultats du premier tour des élections régionales et départementales françaises de dimanche, tel qu’il s’est dessiné dans la nuit, n’a fait que confirmer, à quelques corrections près, les grands enseignements que l’on avait déjà pu en tirer en début de soirée. Des enseignements qui, sauf surprise dimanche prochain, pourraient bien infléchir, peut-être sensiblement, la donne politique globale à dix mois de l’élection présidentielle.

La question sans doute la plus partagée hier à Paris par les responsables des partis comme par les commentateurs, au lendemain de cette double consultation, était celle de savoir si l’abstention enregistrée avant-hier – elle frôle les 67% des électeurs inscrits, soit un record sous la Ve République – allait désormais s’installer dans le paysage électoral français, ou bien s’il s’agissait d’une exception, regrettable, mais réparable.

La réponse n’est pas facile. Car à l’évidence, on observe actuellement dans l’Hexagone une désaffection pour la vie politique. Ce désamour a d’ailleurs quelque chose de paradoxal: après tout, la France émerge tout juste, à l’instar de ses voisins, d’une période très difficile sur le plan sanitaire, et corollairement économique, où l’on a au contraire vu l’Etat et les collectivités locales faire leur devoir médical et social avec beaucoup d’acharnement.

Un paysage électoral passablement différent

Pour autant, on ne peut négliger tout de même d’autres facteurs plus conjoncturels, qui ne suffisent évidemment pas à tout expliquer, mais qui sont sans doute venus s’additionner à ce manque général d’appétit pour la compétition des urnes: la décompression prématurément vacancière après le confinement; l’absence de toute vraie campagne électorale un peu partout; et même de toute incitation de l’Etat à voter, ne fût-ce qu’en expliquant ce que sont et à quoi servent les conseils régionaux, encore mal entrés dans le champ de vision politique des Français, tandis que les conseils départementaux s’en sont, eux, effacés peu à peu.

Il est donc possible que, comme les y ont appelés différents leaders de partis, à commencer par ceux du Rassemblement national de façon particulièrement véhémente, les électeurs se remobilisent le 27 juin. Jusqu’où un tel mouvement ira-t-il, s’il a lieu? Et sera-t-il susceptible de modifier les grandes tendances observées avant-hier? Beaucoup semblent en douter. Toujours est-il que le paysage électoral français sort de ce double premier tour de scrutin passablement différent.

Car la semaine dernière encore, il semblait à peu près acquis que la course à l’Elysée de l’an prochain, quel que fussent le nombre et la qualité des candidats du premier tour, verrait s’affronter au second les „revenants“ de 2017: Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Et que le président sortant disposerait tout de même, sauf très gros faux-pas, de meilleures chances de l’emporter. Il suffisait, pour s’en convaincre, d’observer l’état de l’opposition, laquelle se résumait, en dehors d’un RN en pleine ascension, à une gauche en lambeaux et à une droite écartelée.

Le moins que l’on puisse dire – et à l’importante réserve près de savoir jusqu’à quel point on peut se fier à des résultats aussi entachés par l’abstention – est que cette double vision a évolué dimanche soir. Non que les deux favoris des sondages présidentiels aient brusquement perdu toute chance, l’un de rester, l’autre de s’installer à l’Elysée. Mais les électeurs leur ont tout de même délivré plusieurs avertissements.

Les macronistes ne seront pas „faiseurs de rois“

Le premier s’adresse au chef de l’Etat. Ce dernier a beau occuper systématiquement l’essentiel de la scène publique française, comme l’y poussent à la fois sa fonction, son appétit et son intérêt, il est devenu évident qu’il ne dispose toujours pas, quatre ans après sa victoire, d’un parti digne de ce nom, avec ce qu’il y faudrait de relais locaux et de réseaux militants. La plupart des (relativement) grandes figures du gouvernement viennent qui de la gauche, qui de la droite „d’avant“.

Au fond, le macronisme manque de personnalités qui lui soient propres. Et son incapacité à conquérir le terrain va l’empêcher de jouer le rôle, à défaut de vrai vainqueur, au moins de „faiseur de rois“, qu’il escomptait. S’agissant en particulier de Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, où pas moins de cinq ministres, dont ceux de l’Intérieur et de la Justice, avaient été dépêchés, et auront regagné Paris dimanche soir piteusement battus.

Le deuxième avertissement concerne Marine Le Pen. Si le RN, en spectaculaire perte de vitesse dimanche par rapport au scrutin de 2015 et aux récents sondages, échoue à conquérir la présidence de la région PACA (ce qui redevient possible, malgré la petite avance de son candidat, puisque la liste verte et de gauche arrivée troisième a finalement décidé hier après-midi de se retirer pour le second tour, afin de faire barrage à l’extrême droite), son tremplin majeur pour la présidentielle se déroberait.

Mais au-delà de cette situation particulière, voici aujourd’hui son parti, naguère encore à la pointe de la mobilisation militante et électorale, frappé comme n’importe quel autre par l’abstention. Rude contre-coup d’une „dédiabolisation“ incontestablement réussie – mais à ce degré-là, la banalisation a, cette fois-ci, joué contre elle. Et cela s’est traduit par une série d’autres déceptions régionales, en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans les Hauts-de-France en particulier.

Pour Macron et Le Pen tout se complique

Pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen, qui rêvaient d’en découdre à nouveau en face-à-face, tout se complique encore avec un maintien au minimum raisonnable de la droite et de la gauche. Celle-ci préserve en effet l’essentiel de ses positions (parfois brillamment, comme en Occitanie ou en Bourgogne-Franche-Comté). Et les Verts d’EELV ne parviennent pas, globalement, à dépasser le PS et ses alliés, ce qui va compliquer leur offensive en faveur du choix d’un écologiste comme candidat unique de la gauche pour la présidentielle de l’an prochain.

Mais surtout, la droite classique sort largement confortée de ce double scrutin où on lui prédisait déchirements et déconvenues. Trois de ses présidents de région sortants au moins, Xavier Bertrand dans les Hauts-de-France, Valérie Pécresse en Île-de-France et Laurent Wauquiez en Auvergne-Rhône-Alpes, obtiennent des scores qui sont plutôt de nature à encourager leurs possibles ambitions présidentielles … Et dans la région Grand-Est, où le scrutin a été marqué, il est vrai, par le plus fort taux d’abstention de France: plus de 70%, le président sortant LR, Jean Rottner, semble lui aussi, avec 31,15% des suffrages exprimés, bien placé pour l’emporter.

Naturellement, rien ne dit que les réflexes qui ont joué pour ce double scrutin de portée locale se manifesteront à nouveau dans dix mois pour une élection d’une tout autre nature. Mais le face-à-face Macron/Le Pen semble, depuis dimanche soir, (un peu) moins inexorable pour l’an prochain. C’est tout ce que l’on peut raisonnablement avancer; mais c’est quand même déjà une surprise.