Zeitgeschichte„Nécessité fait loi“: La crise du logement et la protection des locataires dans les années 1920

Zeitgeschichte / „Nécessité fait loi“: La crise du logement et la protection des locataires dans les années 1920
Lettre de Raymond de Waha, directeur général de la Prévoyance sociale, au président du Conseil d’Etat, du 21 avril 1921 (copie de la lettre originale). Source: Archives nationales du Luxembourg, M-02877 Archives nationales du Luxembourg

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Dans les années 1920, une crise du logement touche le Luxembourg. Le gouvernement fait passer une série de lois et d’arrêtés pour protéger les locataires, sans vouloir pérenniser les mesures. C’est la première fois que le gouvernement aborde la protection des locataires au Grand-Duché.

Les contemporains avancent plusieurs raisons pour la crise des années 1920, en commençant par le manque de nouvelles constructions pendant la guerre. Certains, comme le député conservateur Eugène Steichen, pointent du doigt l’immigration, l’arrivée des étrangers, des „indésirables“. De telles vues critiques vis-à-vis de l’immigration ne se limitent pas à la droite politique. Pour le député libéral Albert Clemang, les étrangers devraient être „obligés“ à construire des maisons. S’il est vrai que l’immigration reprend après la guerre, elle est liée à la reprise des activités économiques et à un besoin accru de main-d’œuvre. L’augmentation de mariages et de naissances est une autre raison de la crise, l’évolution démographique entraînant une hausse de la demande de logements plus grands.

Une politique à coups de décrets et au tâtonnement

La protection des locataires qui est mise en place de 1918 à 1927 revêt d’un caractère urgent et limité dans le temps. A l’exception des lois, tous les arrêtés grand-ducaux sont basés sur les pouvoirs élargis du gouvernement (Diktatorialgewalt) conférés par une loi de 1915. Evidemment, le Conseil d’Etat n’apprécie pas cette approche, mais il la tolère dans un premier temps. „Nécessité fait loi“, écrit-il dans un avis du 25 juin 1920.

Déjà en juin 1918, le gouvernement instaure des „offices de conciliation“ pour régler à l’amiable les litiges entre propriétaires et locataires. Chaque office est composé d’un juge de paix comme président, d’un locataire et d’un propriétaire. Ces offices n’ont pourtant aucun pouvoir. Un an plus tard, le gouvernement les remplace par des „tribunaux arbitraux des loyers“. Les locataires peuvent demander une prolongation du bail ou une diminution du loyer. En même temps, les administrations communales sont obligées de loger des personnes expulsées et peuvent réquisitionner des logements inoccupés. Selon l’historienne Antoinette Lorang, qui s’est penchée sur l’histoire de la politique du logement au Luxembourg, les tribunaux n’accordent aux locataires en général qu’une prolongation du bail d’un mois à un mois et demi.

Ainsi, la pénurie des logements persiste. Dans les villes, des centaines de familles sont à la recherche de logements ou risquent d’être expulsées. Prenons l’exemple d’Esch-sur-Alzette: en janvier 1920, selon les chiffres de la section centrale de la Chambre des députés, 121 ménages ont besoin d’urgence de logements. En juillet 1923, 291 familles sont inscrites à l’Office de location de la commune. La ville d’Esch est certes particulièrement touchée par la crise, mais elle n’est pas la seule. La situation n’est pas toujours claire. Les opinions sur l’existence ou non d’une crise peuvent même diverger, faute de statistiques détaillées qui pourraient renseigner sur l’évolution de la crise.

La première loi de protection des locataires est votée en mars 1920 sur l’initiative du député-maire libéral Gaston Diderich. Plusieurs dispositions sont introduites, comme la prolongation des baux jusqu’en avril 1921 et un plafond des loyers basé sur le revenu cadastral. La réquisition possible de logements inoccupés est maintenue. Les mesures de la loi de 1920, qui ne s’appliquent pas aux nouveaux logements d’après janvier 1920 par peur de freiner les activités de construction, sont prolongées par arrêtés grand-ducaux jusqu’au vote d’une nouvelle loi en 1921. Dans une lettre du 21 avril 1921 au président du Conseil d’Etat, le directeur général de la Prévoyance sociale Raymond de Waha constate que „la crise du logement, loin de diminuer, va encore en augmentant“. Or, le gouvernement ne souhaite pas pérenniser les dispositions. D’ailleurs, Diderich lui-même a conçu sa proposition de loi comme une solution à court terme; selon lui, „le remède normal“ serait la construction d’habitations nouvelles.

Dès 1920, les propriétaires et les locataires s’organisent dans des associations respectives. L’association des propriétaires réussit, par exemple, à faire exclure les baux commerciaux des mesures de protection; au plus tard en 1922, elle réclame un véritable retour au „droit commun“ (elle n’est pas seule). L’association pour la protection des locataires et les syndicats, mais aussi certaines communes et les députés socialistes, militent pour la prolongation des mesures chaque fois qu’elles arrivent à terme. A la Chambre des députés, certains reconnaissent les problèmes, mais ne veulent pas non plus léser les propriétaires. Les opposants aux mesures soulignent surtout l’impact négatif sur les activités de construction et la restriction du droit de propriété.

La loi du 29 juillet 1921 modifie celle de 1920 et prolonge les mesures jusqu’en avril 1922. Or, elle n’est applicable que dans les communes qui constatent une pénurie de logements. Dès octobre 1922, les seules communes profitant des mesures sont Differdange, Esch-sur-Alzette et Luxembourg. Une loi votée en décembre 1924 accorde une dernière prolongation des mesures jusqu’au 30 juin 1926 concernant le plafond des loyers, les délais de résiliation et la déclaration obligatoire des logements vacants; s’y ajoute, pour Esch, une prolongation des baux.

La fin du „régime locatif“

L’année 1927 sonne le glas des mesures. Elles sont réintroduites jusqu’à la fin de l’année 1927, mais uniquement pour Esch-sur-Alzette et Luxembourg. Bien que Schifflange, Wiltz et Diekirch déclarent la crise du logement, elles sont exclues. A Dudelange, malgré un manque de centaines de logements et une requête officielle, la loi n’y est pas étendue. En octobre 1927, le député socialiste Nicolas Biever dépose une proposition de loi pour réintroduire les mesures dès 1928. Le Conseil d’Etat n’en voit pas l’utilité et la rejette. La proposition n’est jamais soumise à un vote. Le 21 février 1928, le Tageblatt réagit au refus du Conseil d’Etat: „Es handelt sich heute gar nicht darum, ein Ausnahmegesetz für diese oder jene Ortschaft des Landes wieder erstehen zu lassen. Wir brauchen ein Mieterschutzgesetz von allgemeinem Charakter […].“

Après la fin du „régime locatif“, les problèmes ne semblent pas être résolus. En juillet 1923, dans l’exposé des motifs d’un projet de loi sur les logements, de Waha croit que la crise à Luxembourg est „virtuellement finie“. Or, en décembre 1928, un rapport publié par la commission du logement de Luxembourg compare la situation de 1922 avec celle de 1927 et conclut: „ […] la crise du logement existe toujours dans la ville de Luxembourg, mais elle ne consiste pas seulement dans la pénurie des logements, mais aussi dans les prix excessifs des loyers demandés par les propriétaires.“

Le gouvernement préfère la construction d’habitations nouvelles et des aides à l’acquisition. Cette politique n’est guère contestée; la différence porte sur la prise en compte ou non du volet locatif. Pour le gouvernement et une bonne partie de la classe politique, la maison unifamiliale représente le modèle idéal pour la famille. La location ne pourrait être qu’une solution à court terme. Quand le député Eugène Steichen déclare en 1921: „Unsere Luxemburger wollen vor allem ein eigenes Heim haben“, il exprime une opinion largement répandue.

Malgré leur caractère éphémère, certains principes et idées des années 1920, comme le plafond des loyers (qu’il soit efficace ou non) ou des organes de conciliation (commissions des loyers), sont entérinés aujourd’hui dans la loi. Il a fallu la crise sanitaire pour que le gouvernement redécouvre d’autres mesures, bien que temporaires, comme le gel des loyers ou l’interdiction d’expulsions locatives. „Nécessité fait loi“ – jadis comme aujourd’hui.