L’histoire du temps présentLa grève de mars 1921 – entre mythe et utopie

L’histoire du temps présent / La grève de mars 1921 – entre mythe et utopie
La grève de mars 1921 à Esch-sur-Alzette: Jos Kieffer, président du BMIAV, harangue les ouvriers et les ouvrières rassemblés devant l’école du Brill Photo: archives de la Ville d’Esch, Fonds photographique

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Il y a cent ans se terminait un des conflits sociaux les plus longs qu’ait connu le Luxembourg à ce jour, un conflit qui s’est étendu à toutes les usines et mines du pays sur trois semaines et localement sur presque deux mois: la grève de mars 1921. Le 21 avril 1921, après huit semaines de grève, les ouvriers de l’usine de Rodange sont les derniers à reprendre le travail.

Cette grève s’est soldée par un échec pour le mouvement ouvrier et l’intervention de forces de l’ordre luxembourgeoises et françaises. La grève a montré les limites de l’indépendance du Grand-Duché. De la dépendance économique et politique à l’égard de l’Allemagne avant 1918, le pays est passé à une même dépendance à l’égard des vainqueurs de la guerre: la France et la Belgique. Ce sont les ambassadeurs et des directeurs d’usine français et belge qui dictèrent au gouvernement luxembourgeois la répression de la grève. La Justice a frappé les militants syndicalistes du „Luxemburger Berg- und Metallindustriearbeiterverband“ (BMIAV) de lourdes sanctions (amendes et peines de prison d’un à neuf mois). Placés sur des listes noires par le patronat, ils furent licenciés par les entreprises sidérurgiques. Les ouvriers résignés quittent massivement les rangs syndicaux. Les syndicats ouvriers mettront des années à s’en remettre. Le dialogue social, initié au sortir de l’épreuve de la guerre, aura également besoin de plus d’une décennie pour repartir sur de nouvelles bases.

La grève est entrée dans la mémoire comme la „grève générale de mars 1921“. Elle marque l’aboutissement et la fin de ce que j’ai appelé les „années sans pareilles du mouvement ouvrier luxembourgeois“ (Denis Scuto, „Sous le signe de la grande grève de mars 1921“, Editpress, 1990, 464 pages).

La grève en fut l’apothéose. Le terme de „grève générale“ renvoie aussi au débat mené dans le mouvement ouvrier international autour des notions de grève et de révolution au début du 20e siècle. Comme l’explique le syndicaliste révolutionnaire français Georges Sorel dans ses „Réflexions sur la violence de 1908“, la grève générale peut être rapprochée philosophiquement de „mythes dans lesquels se retrouvent les tendances les plus fortes d’un peuple, d’un parti, d’une classe, tendances qui viennent se présenter à l’esprit avec l’insistance d’instincts dans toutes les circonstances de la vie, et qui donnent un aspect de pleine réalité à des espoirs d’action prochaine sur lesquels se fonde la réforme de la volonté“.

Le ciel plein de violons

Cet aspect mythique de la grève générale, vue comme une image qui incite à l’action, qui met en mouvement, tout en clarifiant les objectifs de transformation révolutionnaire de la société à long terme, se retrouve dans les années sans pareilles 1918 à 1921 au Luxembourg: mouvements révolutionnaires républicains, menace de grève générale, revendications de socialisation de la production et de nationalisation des usines, etc.

A la composante du mythe, Sorel oppose celle de l’utopie, définie comme projet rationnel suivi d’une transformation de la situation réelle par petits pas: „Tandis que nos mythes actuels conduisent les hommes à se préparer à un combat pour détruire ce qui existe, l’utopie a toujours eu pour effet de diriger les esprits vers des réformes qui pourront être effectuées en morcelant le système; il ne faut pas s’étonner si tant d’utopistes purent devenir des hommes d’Etat habiles lorsqu’ils eurent acquis une plus grande expérience de la vie politique.“

Ces aspects utopiques sont symbolisés dans l’exemple luxembourgeois par un syndicalisme ouvrier uni, conscient de sa force, qui vole de succès en succès dans les années 1918 à 1921 en obtenant toute une série de réformes sociales fondamentales, par des instruments comme la journée de huit heures (obtenue par le mouvement ouvrier en décembre 1918), les conseils d’usine (introduits en avril 1919) et les chambres professionnelles (projet de loi de 1920, introduites en 1924). Ces réformes étaient destinées à la fois à transformer les situations réelles dans les entreprises et à expérimenter un autre fonctionnement de la société, selon des idéaux de démocratie sociale.

En février 1921, le mouvement syndical luxembourgeois oscille entre ces deux pôles soréliens, l’utopie et le mythe. Faut-il poursuivre dans la voie suivie depuis 1918, caractérisée par des négociations avec le patronat et le gouvernement, en s’appuyant sur les conseils d’usine et des syndicats qui sont devenus des syndicats de masse, conscients de leur poids dans la négociation sociale? Les résultats obtenus – journée de huit heures, fortes augmentations de salaires, délégations ouvrières – ne prouvent-ils pas le bien-fondé de cette démarche?

Ou alors faut-il interpréter ces succès autrement? Ne démontrent-ils pas que des transformations plus radicales sont possibles? Le cheminot et député socialiste Aloyse Kayser évoque ainsi, en 1922, l’ambiance de ces années: „Damals hing der Himmel voller Geigen, man versprach uns der Reihe nach alle Wunderländer, die Schlagwörter des Selbstbestimmungsrechtes, der Nationalisierung, der Sozialisierung usw. flogen an unsere Schädel wie gebratene Tauben.“

C’est dans ce climat que les usines de Differdange, de Rodange et de Steinfort annoncent, en février 1921, des baisses de salaires, des réductions des tournées de travail et surtout des licenciements massifs (plusieurs centaines de personnes). Les sociétés Hadir (usine de Differdange), Ougrée-Marihaye (usine de Rodange) et la Société des Mines de la Loire (usine de Steinfort) invoquent de gros problèmes financiers en 1920 et en 1921 pour motiver ces décisions. Or, cela ne peut s’expliquer par la conjoncture économique, s’écrient les syndicalistes, il s’agit d’un complot capitaliste international.

Du conflit social au symbole national

Le syndicat, en écho à la revendication d’occupation des usines lancée par le jeune parti communiste – qui vient d’être fondé en janvier 1921 –, lance le slogan de la „résistance passive“. De quoi s’agit-il? Si les licenciements sont opérés, les ouvriers se rendront à leur lieu de travail et se placeront sous les ordres de leurs dirigeants syndicaux. Si on veut les en empêcher, ils occupent les usines. Sur le terrain, les conseils d’usine passent dès le 1er mars à l’occupation de l’usine de Differdange, puis à Rodange et à Steinfort. Ils maintiennent les hauts fourneaux en activité, avant que les forces militaires luxembourgeoises et françaises ne viennent les déloger. La même chose se produit dans toutes les autres usines et mines du pays, même si celles-ci n’avaient décidé aucun licenciement.

Mais le rapport de force est trop inégal. Des troupes d’occupation françaises sont au Luxembourg de 1918 à 1923 et le gouvernement fait appel à elles pour imposer le lock-out comme il l’a fait lors des journées révolutionnaires de janvier 1919. La conjoncture économique (dépression mondiale du marché du fer) permet au patronat de soutenir un conflit durable.

L’historien Jacques Maas a pointé le rôle clé joué par le directeur français de l’usine de Differdange, le général Gabriel Maugas, collaborateur du maréchal Foch, dans ce conflit social. C’est l’usine de Differdange qui annonce la première des licenciements massifs. C’est Maugas qui pousse à la confrontation en faisant pression sur le ministre d’Etat, Emile Reuter, et sur le bourgmestre de Differdange, Emile Mark, pour qu’ils fassent intervenir la force armée. Le gouvernement qui avait encore proclamé, le 25 février, que l’occupation pacifique de l’usine par les ouvriers était légale et tolérable, lâche le syndicat et cède finalement aux appels de Maugas, à son discours d’ordre et ses spéculations sur le caractère soi-disant révolutionnaire du mouvement de grève. Le ministre d’Etat Emile Reuter cède aussi aux pressions des puissances étrangères – belge et française – qui demandent, par le biais de leurs ambassadeurs, la suppression des conseils d’usine. Ce sera chose faite par l’arrêté du 11 mars 1921.

La grève de mars constitue un échec, comme nous l’avons relevé en introduction. Mais elle deviendra par la suite un symbole national. La grève a eu des traits de grève générale par sa tentative de généralisation du mouvement et par les manifestations de masse quotidiennes qui l’accompagnent, même si l’extension de la grève vers d’autres secteurs échoue (chemins de fer, fonction publique, commerces). Elle a eu des traits de grève générale par le contrôle effectif de la production par le personnel ouvrier, même si la force militaire a vite mis fin à ce contrôle.

Le symbole de la grève générale, mobilisé à l’époque, sera utilisé à plusieurs reprises par les syndicats pour jouer sur l’effet mobilisateur du mot d’ordre de la grève générale, dans le sillage des réflexions de Sorel et d’autres. Ces conflits resteront des grèves d’un jour ou de simples menaces de grève, mais pèseront sur les rapports de forces entre patronat, syndicats et gouvernement: la grève du 9 octobre 1973, la grève générale du 5 avril 1982 contre les modifications du mécanisme de l’échelle mobile („Index“) après la dévaluation du franc belge, la menace de grève générale en 1993 dans le cadre de la réforme de l’assurance-maladie et les menaces récurrentes lors des tripartites de 2005/2006 et 2009/2010.

Récemment, les grèves mondiales pour le climat de 2018-2019 nous ont rappelé que, dans le débat sur les réponses à apporter aux urgences sociales et environnementales du 21e siècle, la question sorélienne, mythe ou utopie, reste posée …

Jacques
24. April 2021 - 12.12

Merci dem Här Scuto fir seng interessant Artikelen iwert Momenter vun der Lëtzeburger Geschicht dei soss all ze séier geiwe riskeieren vergies ze ginn.