LittératureVers des „ténèbres d’or“?

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Né en 1999, Simon-Gabriel Bonnot, jeune écrivain saint-martinois auteur de „Courir dans la chair des murs“ (L’Harmattan – 2016), publie un nouvel opus poétique au titre tant symbolique que programmatique: „La nuit abolie“ (paru chez le même éditeur, dans la collection „Poètes des cinq continents. Espace expérimental“, dirigée par Philippe Tancelin). Dans ce recueil où se mêle l’exaltation antagoniste du merveilleux et du terrible, l’auteur exprime le pêle-mêle „nocturne“ du désir et de la douleur qui permet de s’enfoncer à la fois dans la densité ontologique du poème et dans la dimension poétique de l’être.

„Oh! combien peut grandir dans ma nuit curieuse
De mon coeur séparé la part mystérieuse,
Et de sombres essais s’approfondir mon art! …“
(Paul Valéry, „La Jeune Parque“)

Au lecteur s’interrogeant sur les tenants et les aboutissants du titre, la quatrième de couverture, vraisemblablement rédigée par l’auteur lui-même, répond: „Qu’est-ce que ‚La nuit abolie‘? Un lyrisme dévolu d’abord à la figuration du monde; un lyrisme qui s’atténue, se fait plus fragmentaire, évoquant une sorte de ‚Mal‘ (celui, inexorable, de vivre à travers l’écrit) – un lyrisme qui s’éprend, pour finir, d’une métrique qui canalise un ordre arbitraire et lui offre des rives.“

Or, comme l’on sait, le lyrisme est l’expression d’une émotion personnelle intense, et ce à travers des thèmes récurrents tels que l’amour, la mort, la nostalgie, la fuite du temps, la communion avec la nature, le destin, le sacré, etc. A cela s’ajoute, comme aime à le rappeler le poète et critique littéraire Jean-Michel Maulpoix, „la recherche de la musicalité et la visée de l’idéal dans l’idée que le lyrisme, au final, doit être perçu comme l’expression d’un sujet singulier qui tend à métamorphoser, voire à sublimer le contenu de son expérience et de sa vie affective, dans une parole mélodieuse et rythmée ayant la musique pour modèle“.

La démarche poétique à l’œuvre dans ce recueil illustre les différentes caractéristiques définitoires du lyrisme que nous venons de rappeler. A cela s’ajoute un autre élément interpellant: le titre du recueil – „La nuit abolie“ – qui n’est pas sans rappeler ce que l’écrivaine Marguerite Duras, dans un entretien filmé par (et donné à) Benoît Jacquot en 1993, disait de l’acte d’écrire. Distinguant les livres de jour („sans prolongement aucun, sans nuit“) des livres de nuit (qui puisent dans les profondeurs de l’être la matière première de la création), elle affirmait qu’„un livre, c’est la nuit“. La démarche poétique de cet artisan saint-martinois de la plume semble s’inscrire, de façon consciente ou non, dans la dynamique et dans la vision durassienne de l’écriture.

Une simulation immersive

Articulé en deux grandes sections („Les palabres de nos ombres“ – qui est de loin la plus étendue, et „L’Aube confisquée“), cet opus commence par deux pièces poétiques („Les palabres de nos ombres“ et „Ulysse me l’a dit“) pouvant être rapprochées du courant de la „poésie narrative“ qui, comme l’on sait, sans renoncer à sa dimension expérimentale ou à une certaine forme de lyrisme, inclut des fragments discursifs ou narratifs tout en s’appuyant sur le rythme et l’oralité non pour cacher le sens, mais pour le révéler, comme en témoigne par exemple le passage suivant: „Comme un roman intérieur,/ une longue introspection de la ténèbre/ dans la clarté: ce silence. Pèlerin de la voix – il va, chancelant/ comme la vieillesse rouge des braises“ (p. 28).

A la lumière comme tentation de l’universel, le poète préfère les ténèbres et les replis de l’intimité qu’il se plaît à narrer en sorte de laisser libre cours aux formes et aux forces estompées de l’indistinct et des apparences. Proust n’écrivit-il pas en effet dans ses „Cahiers“ que „(…) comme je sens à cette heure-là la profondeur de l’apparence (je ne sais l’exprimer) et c’est ceci qui est poésie“?

Dans la pièce intitulée „Angoisse“, qui suit ce même schéma de poésie narrative, l’on comprend selon la maxime de Kierkegaard (l’on pourrait même placer ce très long poème sous l’égide de la citation suivante, tirée de „La Répétition“) que „la vie d’un poète commence par une lutte avec la réalité tout entière: il s’agit pour lui de trouver l’apaisement ou la justification“. „Angoisse“ peut se lire à la lumière (ou à l’obscurité) de cette dialectique: „je me suis défendu de la frontière/ en absorbant d’odieuses rosées/ des poisons de toutes les couleurs/ m’ont traversé/ pourfendu/ il reste de mon visage cette ruine pâle/ où s’épanche le désordre/ de la lumière d’automne“ (p. 56).

Par ailleurs, dans „L’Aube confisquée“, l’on appréciera de façon générale la dimension fragmentaire (qui s’oppose à la composante narrative de la première section) qui résonne comme la confrontation à une violence qui laisse, fragiles, des morceaux de sens. On sent qu’il s’agit, chez ce jeune poète, d’une raison d’être qui est ébranlée, éclatée par les fracas du temps et de l’histoire – le fragment pouvant être envisagé comme un enjeu esthétique déterminant pour penser les bouleversements personnels et explorer les changements du monde.

C’est avec cette grille de lecture qu’il est possible d’appréhender la pièce poétique intitulée „Des sanglots qui s’enfuient“ dans laquelle „Ma boussole parle/ La langue du cœur …/ Ô le cœur du vent ! –/ Nous ne sommes plus/ Que des hommes nus –/ Pâleur est mon nom“ (p. 113).

Dans le dépouillement tout ontologique du langage, le poète est comme pris comme de vertige devant ce gouffre de l’être. Ainsi considérée, l’abolition de la nuit apparaît-elle comme une sorte de scénario catastrophe (servant à recenser tous les obstacles possibles à l’atteinte d’un objectif ou les freins à la mise en œuvre d’une action) ou comme une mise en garde doublée d’une valorisation de cette plongée dans les profondeurs de l’être? En définitive, du balbutiement du narratif à l’épiphanie du lapidaire, Simon-Gabriel Bonnot propose à son lecteur une forme de simulation immersive destinée non seulement à reproduire des expériences de vie (quelle qu’en soit leur nature), mais encore à faire goûter la „solitude essentielle“ (selon l’heureuse expression du romancier et philosophe Maurice Blanchot) du poète disant l’exaltation antagoniste du merveilleux et du terrible.

Info

Simon-Gabriel Bonnot, „La nuit abolie“, Paris, L’Harmattan, 2020.
ISBN: 978-2-343-21822-9; 140 pages; 15 euros