TNL„La Disparition du paysage“: Denis Podalydès donne corps et voix à un monologue de Jean-Philippe Toussaint

TNL / „La Disparition du paysage“: Denis Podalydès donne corps et voix à un monologue de Jean-Philippe Toussaint
Avec sa voix marquante, Denis Podalydès a hypnotisé le spectateur du premier mot jusqu’au dernier Photo d’archive: Editpress

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A l’issue de la représentation de ce qui a fini par être la première mondiale de la pièce „La Disparition du paysage“ de Jean-Philippe Toussaint, mardi dernier au Théâtre national du Luxembourg, Denis Podalydès, le comédien qui a porté ce seul-en-scène déchirant, a applaudi le public.

Visiblement ému, il a expliqué que ça faisait un an qu’il ne s’était plus retrouvé devant un public, un vrai, que c’était pour lui un moment de bonheur, que le Luxembourg avait rendu possible ce que tant d’autres pays avaient interdits sous prétexte d’insécurité (alors que les chiffres prouvent l’inverse). Il est amusant, et satisfaisant, de constater que les théâtres luxembourgeois réussissent en peu de temps ce qu’une vaste campagne de communication et de marketing intitulée pompeusement nation branding n’a pas su faire depuis des années, à savoir redorer le blason du Grand-Duché au-delà de ses frontières par et grâce à la culture.

En effet, et comme le disent les notes de production qui figurent dans la publication du monologue de Jean-Philippe Toussaint aux éditions de Minuit, son éditeur depuis plus de 35 ans, „La Disparition du paysage“ aurait dû être créé au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, le 12 janvier 2021, dans une mise en scène d’Aurélien Bory, mais, évidemment, cela ne s’est pas fait. Le spectacle serait parti en tournée, ensuite, à Rennes, à La Rochelle, mais d’annulation en annulation, les dates au TNL ont été les seules à être maintenues. La première représentation de la pièce s’y est déroulée dans une ambiance à la fois solennelle et un peu tendue, la scénographie époustouflante et techniquement complexe (dans sa simplicité), créée, elle aussi, par Aurélien Bory, ayant certainement donné du fil à retordre à l’équipe ce cette salle de la rue du X septembre qui n’a pas les mêmes capacités que les grands théâtres français.

Un puissant moment de théâtre

„La Disparition du paysage“ raconte l’immobilité d’un homme en convalescence dans un appartement au sixième étage d’un immeuble à Ostende. Il est en fauteuil roulant et passe sa journée à regarder par la fenêtre, à observer les promeneurs en contrebas, sur la plage embrumée, à fixer le toit du casino, en face, et à tenter de ce souvenir de l’accident qui l’a laissé dans cet état. Seulement, ses souvenirs sont flous. A chaque fois qu’il s’approche, dans ses pensées, de ce moment fatidique, un vide se fait. Parallèlement, il voit, par sa fenêtre, que des ouvriers procèdent à une surélévation du toit du casino. De jour en jour, des étages sont ajoutés à la construction, jusqu’à ce que le mur en béton aveugle du casino bloque complètement la vue de l’homme convalescent, à tel point que même la lumière du jour n’arrive plus à pénétrer dans l’appartement et qu’il est condamné à une existence dans les ténèbres.

Jean-Philippe Toussaint est un écrivain et réalisateur belge
Jean-Philippe Toussaint est un écrivain et réalisateur belge Photo d’archive: Editpress

Ce court texte, dont Jean-Philippe Toussaint a fait don à Denis Podalydès, le lui remettant en mains propres, un jour, dans un café à Paris, comme dans un film d’espionnage (c’est ce que le comédien raconte dans un bref texte de présentation sur le site internet des Bouffes du Nord), Aurélien Brody le transforme en puissant moment de théâtre. Un homme est assis dans un fauteuil roulant, dos tourné au public, et raconte le lent écoulement du temps dans cet appartement d’Ostende, au début très lentement, comme s’il réussissait à peine à desserrer la mâchoire, devant une fenêtre derrière laquelle un brouillard vient effectuer d’étranges danses.

Puis, au fur et à mesure que les souvenirs se précisent, que l’homme comprend qu’il a été gravement blessé, voire tué dans un attentat, que ce mur qui s’élève devant son regard et lui obstrue la vue est peut-être le dernier instant de sa vie, avant qu’une bombe ne déchiquète son corps, le texte devient plus rapide, plus menaçant, plus inquiet, plein d’un suspense précisément rythmé, dans cette langue ciselée qu’on connaît à Jean-Philippe Toussaint. Et nous comprenons, finalement, que ce monologue entier se tient dans la seconde qui précède la mort du personnage, „un moment où il n’y a plus d’après, une singularité“, comme le dit le personnage à un moment clé du monologue, où la référence astrophysique peut servir de métaphore pour expliquer ce qui s’est véritablement passé.

La disparition de la lumière

La scénographie magique et onirique d’Aurélien Bory reprend ce thème de la fenêtre qui s’obture, s’opacifie, s’assombrit peu à peu par un jeu de lumières, de couleurs, de flashs, de brouillard, ainsi que par des caches qui tour à tour provoquent une ouverture et fermeture fluide de la fenêtre (et de la visibilité même) et symbolisent ainsi la disparition de la lumière au moment de la mort du personnage – et on pense évidemment aux derniers mots de Goethe, qui aurait apparemment réclamé plus de lumière au moment exact de son trépas.

Il faut évidemment un comédien de poids comme Denis Podalydès pour porter un tel texte, pour donner corps à la prose de ce grand écrivain, et pour ainsi hypnotiser de sa voix marquante le spectateur du premier mot jusqu’au dernier.