ArchéologieLa lente acceptation des fouilles préventives

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Fouilles en cours sur le parking Saint-Ulrich dans le Grund
Fouilles en cours sur le parking Saint-Ulrich dans le Grund Photo: Jérôme Quiqueret

Dix ans après sa création, le Centre national de recherche archéologique a fait entrer dans les mœurs l’intérêt des fouilles préventives pour les aménageurs comme pour la connaissance. La loi sur le patrimoine culturel doit désormais graver ce tournant dans le marbre.

Voilà dix ans, en l’an zéro du Centre national de recherche archéologique, son directeur, Foni Le Brun Ricalens présentait un panorama inquiétant de la situation de l’archéologie: 5% seulement des sites aménagés dans le pays étaient sondés par les archéologues, avant leur destruction. Et pourtant, une mutation silencieuse était déjà en marche.

Un projet de recherche „Espace et patrimoine culturel“, mené entre 2003 et 2008 avait permis de créer un outil de gestion du patrimoine archéologique. Il consistait à cartographier le potentiel archéologique du pays, en analysant et généralisant les récurrences topographiques et environnementales de sites archéologiques connus. Cette modélisation prédictive reposait sur l’idée que nos prédécesseurs ont sélectionné leurs sites d’implantation sur la base de critères rationnels. Elle était, à sa manière, une opération de sauvetage. „Dans l’intervalle d’une seule génération, près d’un quart de notre patrimoine culturel sera irrémédiablement détruit, sans qu’une documentation appropriée ne puisse être récoltée“, disaient ses développeurs, parmi lesquels figurait l’actuel directeur du CNRA.

Par ailleurs, en 2010, les fouilles préventives menées sur le site du ban de Gasperich avaient fait éclater au grand jour l’intérêt d’une démarche concertée entre aménageurs et archéologues. Les archéologues avaient eu tout le temps nécessaire pour mener des sondages représentatifs sur 10% de la surface afin d’évaluer le potentiel archéologique du site puis de documenter les vestiges d’un campement de l’armée de Louis XIV lors du siège de la capitale en 1684, dont ils avaient révélé la présence. 

Sur place, il ne reste plus rien de cette trouvaille. Parce que le site archéologique a pu être détruit après le relevé, comme la très grande majorité des sites qui font l’objet de fouilles préventives. Et parce que ni le lycée Vauban, ni le centre commercial Auchan, n’ont encore eu l’idée de rappeler cette parenté à forte valeur symbolique pour elles. Le CNRA n’a pas compensé par un travail de médiation qui reste son talon d’Achille, mais il s’est assuré de la divulgation scientifique des trouvailles, fidèle à l’une de ses raisons d’être.

Les aménageurs ont vite fait leur calcul. On retire l’hypothèque d’une contrainte archéologique, et s’il y en a une, il y a encore le temps de fouiller.

Foni Le Brun Ricalens, directeur du Centre national de recherche archéologique

2,5% de sites positifs

Le chantier de Gasperich n’était toutefois pas une nouveauté. Foni Le Brun Ricalens était déjà présent lors du premier exercice du genre mené dans les sablières de Remerschen, il y a bientôt trente ans. Une photo aérienne du site orne toujours la salle de réunion du CNRA dans son site de Bertrange. La première pelleteuse utilisée mettait un temps fou pour gratter des bandes de sol.

Aujourd’hui, il est possible de prospecter un hectare en trois à cinq jours, en sondant 10% de la superficie. L’aménageur paie l’opération prévue avant le début des travaux, entre 2 à 5 euros le mètre carré. C’est bien plus abordable qu’un arrêt des machines et ouvriers dans la précipitation qui peut coûter jusqu’à 15.000 euros la journée. „Les aménageurs ont vite fait leur calcul“, observe Foni Le Brun Ricalens, „on retire l’hypothèque d’une contrainte archéologique, et s’il y en a une, il y a encore le temps de fouiller.“ De surcroît, s’adresser au CNRA, c’est dans 75% des cas, obtenir une autorisation de construire tout de suite, en l’absence de potentiel archéologique. Un quart des sites fait l’objet de diagnostics. Et au final, 10% d’entre eux se révèlent positifs.  Ainsi, chaque année, pour dix kilomètres carrés aménagés et  2.000 édifices construits par an, 40 à 50 fouilles sont menées en moyenne

En trente ans de carrière, Foni Le Brun Ricalens a assisté à „une prise de conscience progressive que l’Etat doit faire quelque chose pour être responsable de son héritage“. L’époque où l’archéologie était une section du Musée national d’histoire et d’art appartient désormais à la préhistoire. „On est passé de la gestion des collections et quelques fouilles programmées, une activité intra muros. Et on a développé une archéologie territoriale, extra muros, qu’on a développée en parallèle avec la multiplication des travaux d’aménagement du territoire.“ Mais le vrai progrès des dernières années ne s’est pas tant fait dans les pratiques archéologiques que dans les structures et les capacités d’intervention. 

Le CNRA a développé des outils de gestion et d’information, pour sensibiliser aménageurs et communes et s’est doté en 2013 d’un service chargé du „suivi archéologique de l’aménagement du territoire“, qui, avec cinq personnes, est devenu le mieux doté. S’il est devenu le plus étoffé, malgré la multiplication des chantiers de fouilles qu’a permis sa création, c’est parce que l’augmentation du nombre de fouilles a été accompagnée par l’arrivée de sociétés privées auxquelles le CNRA sous-traite les fouilles, sans en perdre la supervision. Doku Plus, Archeo Diag et Schroder&associés sont les trois sociétés en mesure aujourd’hui de mener ces fouilles, tandis que Archeo Constructions est en situation de monopole pour fournir les ouvriers en charge de fouiller.

Si le Luxembourg a finalement ratifié en 2016 la convention de La Valette signée en 1992, dernier pays du Conseil de l’Europe à le faire avec le Monténégro et l’Islande, la loi 7431 sur le patrimoine culturel doit encore  reléguer aux oubliettes une législation sur les fouilles qui remonte à 1966. „Cela va régulariser tout ce que nous avons mis en place et rendre systématique le fait de nous consulter pour tout projet qui va toucher le sol“, explique Foni Le Brun Ricalens, directeur d’un centre qui se transformera par la même occasion en institut. „Cela permettra une meilleure visibilité de ce qui est détruit, qu’on aura le temps de documenter, et, en même temps d’accompagner l’aménageur et de le rassurer quant au fait que la contrainte sera retirée le plus rapidement possible.“ 

A site exceptionnel, fouilles exceptionnelles

Après avoir un temps envisagé de limiter à une année les fouilles préventives, le projet de loi déposé en 2019 entrevoit toutefois la possibilité de rallonger à au moins cinq années la durée des fouilles, pour des sites archéologiques qui seraient d’importance nationale ou européenne et mériteraient ainsi une fouille extensive et minutieuse. En compensation, l’aménageur serait indemnisé pour le retard de son projet.

Les fouilles conduites à Mamer, à l’endroit où le  projet immobilier Mameranus doit s’implanter, est un cas d’école. Les fouilles y durent depuis 2013, parce que le projet a choisi de s’implanter sur le site d’un vicus gallo-romain sur la voie entre Trèves et Reims, en zone humide. Or ces zones humides ont deux bonnes raisons pour faire durer les fouilles: elles demandent plus de moyens techniques pour être fouillées, mais elles conservent aussi des matériaux qui disparaîtraient dans d’autres environnements et promettent de précieuses découvertes. Ainsi, à Mamer, à la découverte spectaculaire d’un dromadaire, a succédé à celle, plus modeste, mais moins anecdotique, d’un atelier de cordonnier et de parties de chaussures encore très bien conservées. 

Ce fut la plus importante découverte archéologique en une année 2020 où les archéologues ont repris le travail, aussi tôt que la construction. C’est une particularité de l’archéologie que de savoir composer avec l’intérêt de l’économie et l’intérêt de la société. „Plus on fait progresser la connaissance du passé, plus on a de chances d’éviter de ne pas répéter les mêmes erreurs, et donc de ne pas être une voie sans issue dans l’arbre généalogique de l’espèce humaine“, rappelle le directeur du CNRA.