Red Bridge Project Le Mudam expose William Kentridge

Red Bridge Project  / Le Mudam expose William Kentridge
William Kentridge, Untitled, Leaning on air, 2020

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Dans le cadre du Red Bridge Project, le Mudam accueille la première exposition monographique au Luxembourg dédiée à l’une des figures de proue de l’art conteporain, le Sud-Africain William Kentridge. Sa pluridisciplanirité devrait lui garantir un beau succès.

Pour incarner toute  l’étendue et la diversité des supports auxquels recourt  l’art contemporain, le Mudam n’aurait pu trouver meilleur ambassadeur. William Kentridge est de ces artistes polyvalents, touche-à-tout, qui évolue aux lisières de plusieurs styles. Car s’il a bien fallu pour lui se concentrer sur l’art et plus particulièrement sur le dessin, alors qu’il prenait des cours à Paris pour devenir comédien dans les années 70, il n’a pas abandonné la scène pour autant. Connu sur le tard dans les années 90, alors qu’il avait 40 ans, William Kentridge cumule ces dernières années les mises en scène d’opéras et les expositions de prestige.

„Un trésor global“

Le Red Bridge Project lancé en 2019, qui entend allier théâtre, opéra, danse, performances et arts visuels, et  jeter des ponts entre les disciplines dont les temples luxembourgeois sont situés de part et d’autre du Pont rouge (Grand Théâtre, Philharmonie, Mudam), offrait l’occasion de faire venir au Luxembourg celui que la directrice du Mudam, Suzanne Cotter, désigne comme „un des artistes vivants les plus importants“. Ce fut le choix „indiscutable“ des trois institutions participant au projet d’offrir au public un regard dans son travail interdisciplinaire, en montrant comment toutes ces dimensions se tressent mutuellement dans un processus en constante élaboration. 

Toute son oeuvre se fonde sur sa propre biographie et son expérience dans son Afrique du Sud natale, pré- et post-apartheid. Ce fils d’un des avocats de Nelson Mandela médite l’histoire coloniale „à travers les idées du temps, de la fragmentation et de la reconstruction de l’histoire comme possession, le pouvoir de l’absurde comme antidote aux certitudes et comment le langage, comme outil de savoir, nous attache au monde auquel on construit du sens“, expliquait Suzanne Cotter au moment d’inaugurer l’exposition.

Kentridge et le Mudam avaient déjà destin lié depuis l’achat en 2004 par le musée de „Zeno writing“, un film réalisé deux ans plus tôt et présenté l’année de l’ouverture du musée en 2006. Ce film, inspiré d’un roman d’Italo Svevo, sur la brutalité et les séquelles de la Première Guerre mondiale, est un exemple parfait d’une manière de faire artisanale recourant à l’animation d’un nombre limité de dessins, redessinés, effacés, photographiés.

L’expositon, dans la salle ouest du premier étage, offre un gros plan éclairant sur deux autres de ses „drawings for projection“. Elle se présente comme une recréation métaphorique du studio avec tous ses excès, ses désordres, ses croisements d’idées, d’où en émergent de nouvelles. William Kentridge ne le présente pas seulement comme un lieu de travail, mais comme un lieu dans lequel le monde est invité et s’invite, par fragments, qui agglomérés sont ensuite renvoyés dans le monde, comme il l’explique. C’est sans doute cela qui fait de lui un  „trésor global“, comme aime aussi le désigner Suzanne Cotter.

Dans cet atelier, on découvre notamment les travaux préparatoires au fusain de la scénographie de l’opéra Sibyl (co-commandé par les Théâtres de la Ville de Luxembourg, le Teatro dell’Opera di Roma et Dramaten et présenté à la Philharmonie les 11, 12 et 13 juin) et le court film enchanteur auquel il a donné lieu. On y découvre encore, selon le même procédé, les préparations et le résultat de „City Deep“ (2020), une série de films d’animation mettant en scène l’homme d’affaires Soho Eckstein et l’artiste rêveur, Felix Teitelbaum.

On retrouve aussi une autre tendance lourde du travail de Kentridge à travers une série de scultpures de bronze consacrés à des objets du quotdien. L’on quitte alors cet atelier semblable à un parcours muséal, parce qu’il est un „lieu ouvert, pratique, passant d’un sujet à l’autre, où tous nos sens sont en éveil, inondé de lumière et accessible“, selon la scénographe Sabine Theunissen, pour rejoindre la pièce maîtresse qui donne son nom à l’exposition „More Sweetly Play the Dance“ (2015).

Installée dans la galerie Est, elle est comme un contrepoids au foisonnement de la première salle. Non pas parce qu’elle est aride comme la steppe dessinée au fusain par l’artiste qui en fournit le décor aux sept écrans posés en quinconce dans la salle. Mais le dispositif, somme tout simple, qui donne le cadre à un défilé incessant de tout ce que la terre sud-africaine semble porter de souffrance, de bonimenteurs, de danseurs, de prêcheurs de tous bords, de mineurs exténués. Des mouvements de danse sont empruntés au Lac des Cygnes et à Carmen, ainsi qu’à la danse macabre médiévale. Ce qui pourrait passer pour une fresque sombre se retrouve transformée en une fresque sinon teintée d’espoir, du moins empreinte de solennité et de désir, par la grâce de la musique d’une fanfare d’église du township de Sebokeng. Dans un article paru dans Artforum en 2016, le philosophe indien Homi Bhabha considère cette „danse avec et contre la mort“, selon les mots de son auteur, comme un des chefs d’oeuvre du XXIe siècle.  

Le son pour remplir le hall

Ce qui est appréciable, avec cet artiste qui se méfie des idéologies, c’est cette capacité à verser dans le profond et l’universel sans condescendance, sans pontifier, en développant une réflexion poétique et politique sur l’humanité et les développements particuliers qu’elle a connus en Afrique du Sud. Qui ne dit pas tout au spectateur, faute de certitudes.

Le visiteur est censé découvrir comment WIlliam Kentridge a résolu sa confrontation avec le grand hall, comme tant d’autres artistes avant lui, au terme de son parcours au premier étage. La directrice Suzanne Cotter présente poétiquement l’installation sonore d’„Almost don’t tremble“, comme „une épuration et distillation spatiale et sonore du paysage esthétique déjà parcouru“. On pourrait y voir aussi un rappel du rapport charnel qu’entretient son oeuvre avec la musique omniprésente. Car c’est avec la musique que Kentridge a pensé devoir remplir ce grand espace emblématique du musée conçu par Pei. C’est la reprise d’une installation pensée pour le musée de Cape Town en 2019, composée de quatre mégaphones géants, symboles de résistance, amplifiant la musique sortant de simples postes radio de voiture. La composition évolue selon l’emplacement du visiteur. Si William Kentridge envisage que cette oeuvre soit évolutive et s’adapte aux lieux qu’elle habite temporairement, ce sont bien les compositions chorales et musicales spécialement créées par des musiciens sud-africains pour l’usage initial du concept qui sont diffusées. 

La seule oeuvre spécialement créée pour l’occasion, est sur l’un des murs du hall. C’est, Shadow, la silhouette d’un arbre créée (partie sur site et une partie à Metz en collaboration avec l’Ecole supérieure d’art de Lorraine) à partir d’un dessin de Kentridge et oeuvre à un dépaysement qui, avec Kentridge, ne nous est jamais vraiment étranger.

A voir

Jusqu’au 30 août 2021. Toutes les informations sur la programmation du Red Bridge Project consacré à William Kentridge sont désormais accessibles sur le site redbridgeproject.lu