Théâtre„Des chimpanzés un peu bizarres“: „Girls and Boys“ de Dennis Kelly

Théâtre / „Des chimpanzés un peu bizarres“: „Girls and Boys“ de Dennis Kelly
Le personnage sans nom, incarné par Jeanne Werner, au milieu des jouets en plastique de ses deux enfants (C) Bohumil Kostohryz

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Monologue poignant qui commence sur un ton léger pour faire lentement suinter, sous une couche d’anecdotes, l’histoire d’une relation passionnelle qui vire au cauchemar, „Girls & Boys“ de Dennis Kelly est une pièce percutante qui parle de la violence millénaire des hommes. Si la mise en scène accentue par trop la brutalité du changement de registre, la pièce, produite par le TOL et montée au Kinneksbond, n’en reste pas moins d’une actualité effrayante.

Une femme se confie sur scène, sur un canapé brinquebalant, au milieu de jouets pour gamins et de sacs-poubelle remplis à ras bord. Le ton est enjoué, d’abord, et l’incipit percutant, chargé d’une désinvolture loquace qui peu à peu se fissure, révélant une vérité traumatique que cette femme cherchera d’abord à enfouir avec des mots et des anecdotes avant de finir par s’y confronter.

Ça commence donc comme ça, comme dirait Céline: „J’ai rencontré mon mari dans la file d’embarquement d’un vol EasyJet et je dois dire que cet homme m’a tout de suite déplu“, qui lit un bouquin et pousse paresseusement du pied une valise sans égard aucun pour les bousculades, rivalités, impatiences et autres mœurs sociales qui constituent le morose quotidien aéroportuaire.

Si elle s’y trouve, c’est qu’elle veut changer de vie après une jeunesse passée à picoler, à prendre de la coke et à se faire baiser un peu par tout le monde et un peu partout, cette épiphanie surgissant le jour où, se retrouvant faisant l’amour avec son colloc à quatre pattes à quelques mètres devant le contenu déversé de son estomac, elle se dit: „J’espère qu’il va jouir vite, sinon il va finir par me baiser dans la flaque de vomi“.

Quand elle voit cet homme qu’elle trouve d’abord antipathique déjouer avec ruse, calme et nonchalance les efforts de deux mannequins coupe-file, elle tombe raide amoureuse du rustre, dont elle admire et mime l’audace et le courage quand elle postule pour un poste de „secrétaire d’assistante de chargée de développement“, boulot éminemment superflu qui lui servira pourtant de tremplin pour une carrière qui ne tardera pas à prendre son envol.

S’ensuit un monologue régulièrement entrecoupé par des scènes où l’actrice gronde ses deux enfants qui se chamaillent et refusent d’obéir, monologue lors duquel elle raconte son ascension professionnelle dans le milieu du cinéma, le lent déclin de l’entreprise de son mari, le bonheur puis les disputes conjugales, l’épanouissement puis la fatigue charnels, tout s’effritant peu à peu, faisant place au constat amer que l’homme qu’elle aimait „n’a jamais existé“.

On se laisse vite emballer par le débit de la narration, bercer par le rythme du monologue. Et comme le personnage, on évite de se poser trop de questions: pourquoi ces sacs-poubelle? Pourquoi cette femme dit-elle penser „beaucoup à la violence“? Et pourquoi cette femme s’obstine-t-elle à rejouer différents moments de l’enfance et de l’éducation de ses gosses – des moments de discorde lors desquels le mari est absent – alors qu’elle nous dit de but en blanc qu’elle sait bien que ses enfants ne sont pas là, le spectateur réalisant alors que ce qu’il avait pris pour un artifice de make-believe théâtral cache en réalité une vérité plus grave, une absence non pas scénique mais définitive?

La subtilité de la pièce de Kelly réside dans ce basculement progressif du vaudeville à la fable sociale, la pièce étant le plus fort quand Kelly montre, au sein même de l’anecdote drôle, la violence inhérente de l’homme. Jeanne Werner excelle à jouer une femme dont l’emportement, le dynamisme et l’exubérance s’effritent peu à peu. Elle excelle un peu moins quand cette même femme perd la face, surjouant par moments le noyau traumatique de la pièce – la faute peut-être aussi à une mise en scène qui force un peu les contrastes tonals au lieu de suivre le lent glissement du texte.

De même, la scénographie signée Jeanny Kratochwil est un peu trop évidente – le coup des jouets sur scène qui suggère la violence faite aux enfants, on nous l’avait déjà sorti pour „Objet d’attention“. Néanmoins, quand la pièce s’achemine vers sa conclusion terrible, difficile de ne pas penser à l’augmentation statistique de la violence domestique en période de confinement – et d’être saisi d’un malaise profond.

Prochaines représentations le 20, 21 et 24 novembre à 20 heures