Interview„Il faut que la littérature redevienne littérature“

Interview / „Il faut que la littérature redevienne littérature“
Le romancier Yasmina Khadra

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Algérie, début des années soixante. Ne supportant pas le vide laissé par le départ de son épouse, Adem quitte tout, sans but précis. Il refuse de croire aux rencontres providentielles qui jalonnent sa route. Yasmina Khadra livre un conte philosophique autour de l’amour perdu. Dans un style très écrit. Entretien avec l’auteur.

Tageblatt: A travers Adem, vous rendez hommage à la femme …

Yasmina Khadra: Dalal était soumise, elle n’avait pas d’enfants. Elle essayait d’accompagner Adem dans sa propre vie en s’oubliant souvent. Mais lui, il ne voyait rien. Elle a eu la force de le quitter pour retrouver un amour de jeunesse qui est venu la chercher. Quand elle part, Adem comprend qu’elle était essentielle, ce que les hommes oublient souvent. Cette ingratitude m’a toujours agressé. Je ne supporte pas que l’on sous-estime ce que nous avons de meilleur par la présence de la femme. J’ai vu ma mère tout donner, tout offrir pour son mari. Elle devait être le phare de toute chose. L’homme est constamment dans une sorte d’opacité à travers laquelle il ne voit que lui-même. Une vanité, un égocentrisme, navrants. Parce qu’il oublie que tout repose sur cette personne qui est à son service. Je n’ai jamais vu, dans un couple, un mari et une épouse mais une mère et un enfant gâté. J’aime réduire l’homme à ça parce que je lui en veux de passer à côté de son bonheur et de le chercher ailleurs. L’homme est un éternel enfant jusqu’à la fin des temps. Je rencontre ce type d’hommes en Algérie, mon pays. Ils ne sont pas dans cette gratitude-là. C’est culturel. Mais cela n’empêche pas qu’en Occident, aussi, la femme souffre de ce regard constamment réducteur qui repose sur elle comme une chape de plomb.

ll refuse de dévoiler sa souffrance. Parce qu’elle lui est insupportable?

Adem est taiseux, il se méfie des amitiés car il ne croit en rien. Parce qu’il porte en lui quelque chose d’irréversible. Sa pudeur, se retournant contre lui, devient morbide. On a toujours besoin de se confier à quelqu’un, de partager des moments durs dans l’espoir de tempérer un peu ses effets mais lui non, il est fermé. Mais on ne se reconstruit pas tout seul. Il y a un environnement rédempteur. En perdition totale consentante, Adem est dans le déni de lui-même, dans le renoncement. Il refuse de rencontrer la vie. Il croise des personnages qui s’accrochent à la vie, qui s’aiment malgré les obstacles. La difficulté est une épreuve. Elle n’est pas une nature, elle est une condition. Aujourd’hui, on souffre, demain on peut accéder à des joies. C’est en fonction de nos peines qu’on mesure nos joies et vice versa.

Vous racontez une histoire d’amour. Qu’est-ce qui vous plaît dans ce sujet … éternel?

C’est assujettir le verbe. Buriner les dialogues. J’ai tout fait pour essayer d’être à la hauteur de mon lecteur. Cela m’importe. C’est une contrainte. La littérature c’est le lecteur, même pas l’écrivain. Mon roman n’est pas une histoire d’amour. C’est un code, des leçons de vie. Les personnages nous parlent pour nous-mêmes. Nous connaissons tous des échecs. En cas de malheur, on devient réfractaire à ses propres rêves, on est en colère, rancunier … On oublie qu’autour de nous la vie est là. Les expériences des autres nous parlent. L’échec n’est pas une fin en soi. Il est la preuve que d’autres voies sont possibles. Ne baissons jamais les bras. Vivons notre vie pleinement. L’amour ne nous aide pas, il nous sauve de nous-mêmes Il ne peut être que réussite sinon il n’y a pas d’amour. Aimer, c’est faire un. L’amour est inébranlable, inexpugnable.

Que réprésente la littérature pour vous?

J’ai écrit ce livre pour montrer la beauté d’un texte, pour offrir quelque chose à mes lecteurs. Il faut que la littérature redevienne littéraire. Que le texte reprenne ses couleurs. C’est du travail. Les pensées humanistes d’un livre m’ont toujours réconforté dans des moments douloureux, quand j’étais dans l’armée, en prison. J’aime être utile parce que la littérature m’a beaucoup aidé à être ce que je suis aujourd’hui. Quand j’écris, je ne raconte pas une histoire. Mais, à travers un texte, je veux être capable d’insuffler un courage, une rédemption, une force à chacun qui connaîtrait des difficultés dans sa vie. Les vrais prophètes sur terre, ce sont les écrivains, les dramaturges, les artistes, les athlètes, les champions qui nous apportent un peu de miel dans la banalité de nos jours. J’écris tous les jours, quand je suis chez moi. Ma plus grande fierté c’est de voir mes enfants lire. Le livre c’est le meilleur compagnon de l’homme. Il ne réclame rien. Il ne vous trahit pas, il est à votre disposition.

Info

„Le sel de tous les oublis“, de Yasmina Khadra. Editions Julliard, 2020