Restitution de biens africainsLe MNHA mène l’enquête

Restitution de biens africains / Le MNHA mène l’enquête
 L’exposition coloniale de 1933 au Cercle municipal de Luxembourg démontre qu’il y a eu des biens africains sensibles ramenés au Luxembourg, mais ils n’ont pas fini dans les collections du MNHA

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L’un des biens africains des fonds du MNHA susceptibles d’être restitués
L’un des biens africains des fonds du MNHA susceptibles d’être restitués MNHA/Photo: A. Biwer
 Michel Polfer, directeur du MNHA
Régis Moes, conservateur au MNHA
Régis Moes, conservateur au MNHA Photo: Feller Tania

Le Musée national d’histoire et d’art (MNHA) explore ses réserves à la recherche de biens africains sensibles. Si parmi la cinquantaine de pièces inventoriées, aucune ne semble suffisamment prestigieuse pour susciter une demande de restitution, l’exercice n’en reste pas moins instructif.

La question de la restitution de biens africains était déjà ancienne. Michel Polfer avait souvent assisté à des discussions entre confrères allemands au sein du réseau de musées germanophones auquel appartient le Musée national d’histoire et d’art qu’il dirige. Trois musées allemands sont par exemple visés par les demandes du Nigeria, vielles de cinquante ans, afin de récupérer les statues en bronze ivoires pillées dans la capitale de l’ancien royaume du Bénin en 1897 et éparpillées dans dix musées européens.

Le sujet ne semblait à Michel Polfer pas avoir la même pertinence pour le Luxembourg. Et puis, en 2018,  l’engagement du président français Emmanuel Macron à proposer systématiquement la restitution aux pays d’origine de tous les biens africains obtenus dans un contexte colonial (parmi les 90.000 objets présents dans les collections des musées français) a ramené le sujet sur le devant de la scène. Alors, le MNHA a décidé de faire à son tour son travail d’introspection. La démarche devait aussi nourrir les réflexions en vue de l’exposition que le conservateur Régis Moes entendait consacrer à la thématique (qui fut sont sujet de son mémoire de master) de la colonisation du Congo par les Luxembourgeois.

Provenances douteuses

Ce type de travail que l’on dit de récolement est une tache habituelle dans les activités d’un musée: „L’étude des provenances fait aujourd’hui partie de nos missions premières. Chaque fois qu’on sort un objet pour un prêt ou une exposition“, explique Régis Moes. Il existe dans le cas précis un guide édité par l’association des musées allemands en plusieurs langues, afin d’épauler les institutions dans leur travail. Le document rappelle d’ailleurs les enjeux de l’opération et l’importance de jeter un regard nouveau sur les collections venant d’Afrique. „Le colonialisme fut autant une pratique qu’un discours. Ces deux aspects se reflètent dans les collections coloniales: d’une part dans les formes d’acquisition, qui ont pu s’inscrire dans le cadre d’une domination coloniale formelle ou dans le contexte d’une situation coloniale en cours d’établissement; d’autre part dans l’objectif même des collections et des expositions, qui reposait sur l’enthousiasme colonial et sur une curiosité concernant les régions étrangères, mais pouvait aussi renforcer, à son tour, la mentalité coloniale“, y lit-on.

L’acquisition d’objets issus de contextes coloniaux est souvent liée à des actes de violence et à des rapports de dépendance très prononcés. Mais des objets acquis à l’occasion de génocides à ceux qui ont fait l’objet d’une transaction dans un rapport d’égalité, il y a toute une palette de situations dans lesquelles l’opération de récolement permet de voir plus clair, en cherchant la date et le lieu de l’obtention de l’objet, de l’identité des détenteurs successifs et des conditions de changement de propriétaires.

A la variété des moyens d’obtention de ces objets s’ajoute la variété des objets eux-mêmes. C’est principalement la valeur symbolique et unique de l’objet tel que perçu par les pays ou communautés d’origine qui déterminent l’intérêt d’une éventuelle restitution. On peut y retrouver des objets rituels ou d’exercice du pouvoir, qui peuvent être culturellement sensibles parce qu’y sont liées certaines croyances. Ce peut être des objets qui témoignent d’un savoir-faire artistique ou encore des objets politiquement délicats parce qu’ils se font le reflet de représentations discriminatoires et d’idéologies coloniales ou racistes. 

Ce sont des objets peu problématiques, entourés de très peu de prestige et de caractère symbolique aussi bien pour nous que pour les sociétés d’origine

Régis Moes, conservateur au MNHA

La situation du Luxembourg est toutefois particulière par rapport à ses trois pays voisins dans lesquels le débat sur la restitution de biens africains est vif. Cela tient en premier lieu au fait que l’Etat n’était pas colonisateur et donc n’incitait pas à l’importation de collections ethnographiques. Cela tient aussi à la longue absence d’institution muséale capable et intérêssée à accueillir et encourager de telles collections, comme le firent le British Museum ou le musée de Tervuren à Bruxelles.  

Le Luxembourg a attendu le centenaire de son indépendance en 1939 pour créer un musée d’Etat. Et ce dernier, peu doté, fut bien plus occupé à la mise en avant de la nation luxembourgeoise plutôt qu’à légitimer la colonisation. Cette dernière se faisait plutôt à travers des conférences et des expositions.

En participant à la colonisation et à l’exploitation du Congo belge, des années 1880 jusqu’en 1960, des milliers de Luxembourgeois (militaires, ingénieurs, industriels) ont pu tirer profit de la situation pour ramener des biens africains. 

L’exposition organisée au Cercle municipal en septembre 1933 montrait certaines des collections privées qui pourraient être problématiques, fait remarquer Régis Moes. Mais celles-ci n’ont pas fini dans les futures réserves du MNHA. La grande collection d’objets africains, constituée par l’ancien gouverneur luxembourgeois du Kasaï au Congo, Fritz Wenner, fut par exemple vendue aux enchères dans les années 60 à Londres. D’autres collections de Luxembourgeois figurent au musée de Tervuren à Bruxelles.

Et on peut supposer qu’il existe des collections africaines chez des particuliers, abreuvées notamment par les marchés d’art africain qui existent depuis la fin du XIXe siècle. „Ça doit exister toujours dans de nombreuses familles luxembourgeoises qui avaient des contacts dans des milieux de fonctionnaires coloniaux, sans aucun doute“, acquiesce Michel Polfer, en se remémorant le grand vase chinois et les éléphants sculptés dans l’ivoire qui figuraient chez sa grand-mère, venant d’un aïeul ingénieur.  

„Nous n’avons pas le bronze du Bénin“

L’inventaire réalisé par le MNHA ne concerne finalement qu’une cinquantaine d’œuvres exotiques (dont les deux tiers africaines). Et ironie de l’histoire, les plus sensibles proviennent d’un colon étranger. Il s’agit d’une collection d’armes remises par un capitaine allemand, Albert Spring, au Grand-Duc Adolphe en 1898. Ce sont un tabouret et des lances obtenues dans un contexte de violence en Tanzanie et au Rwanda, comme la description du lot et les mémoires de son acquéreur permettent de l’établir. „Ce monsieur, en tant que militaire, était dans le cadre d’un voyage d’exploration qui était en fait plus de soumission militaire que d’exploration“, confie Régis Moes.

Leur présence au Luxembourg, plutôt que dans un musée allemand, pourrait bien trahir leur peu d’importance, tout comme le peu d’intérêt que leur portait le Grand-Duc. Le souverain les a aussitôt remis à la section historique de l’Institut grand-ducal. „Ce sont des objets peu problématiques, entourés de très peu de prestige et de caractère symbolique aussi bien pour nous que pour les sociétés d’origine“, observe Régis Moes. „Nous n’avons pas le bronze du Bénin.“ 

Le reste des objets ce des collections exotiques, dont ceux issus de la plus récente acquisition en 1986, semblent être plutôt des souvenirs rapportés par des Luxembourgeois. Il y a notamment des masques africains dont les parties en résine disent qu’ils sont assez modernes et sans doute de peu de valeur aux yeux des pays colonisés.  

Toutefois, l’avenir dira l’importance que peuvent revêtir ces objets. Car cette entreprise de récolement est avant tout une entreprise de transparence, qui s’achèvera par la publication en ligne de l’inventaire. Le MNHA étudiera alors avec bienveillance toute demande de restitution qui pourrait en émaner. 

Rien dans la législation luxembourgeoise n’empêcherait, dès lors que les collections ne sont pas considérées comme inamovibles. Mais il faut trouver quelqu’un qui y soit intéressé. „Même si on a décidé de restituer, encore faut-il savoir comment, dans quelles conditions et à qui“, explique Michel Polfer. „Il faudrait d’abord qu’il y ait une demande de restitution, que quelqu’un revendique cet objet pris à ses ancêtres.“  Or, l’intérêt pour une restitution peut beaucoup varier selon les pays et régions d’Afrique concernés, qu’ils manquent d’objets culturels ou pas, que ces communautés soient travaillées par leur passé ou pas, et que les futurs hôtes disposent des structures muséales capables d’accueillir les biens restitués. 

Il faudrait dans le cas d’une restitution une décision entre Etat et Etat. Au cas elle pourrait avoir une valeur symbolique forte, le directeur du MNHA doute que celle-ci ait quelque chose à voir avec le débat ravivé par la mort de George Floyd, sur la situation des Afro-descendants au Luxembourg. „Le racisme actuel au Luxembourg tient à énormément de choses, mais certainement pas à cette trentaine d’objets d’origine africaine dans nos collections.“

Le racisme actuel au Luxembourg tient à énormément de choses, mais certainement pas à cette trentaine d’objets d’origine africaine dans nos collections

Michel Polfer, directeur du MNHA

Ni vues ni connues

A l’époque où le MNHA s’est „auto-saisi“ du sujet, l’étude „Being black in Luxembourg“ menée par l’Agence européenne des droits fondamentaux de l’UE venait tout juste de sortir. Mais, elle n’avait pas encore permis la spectaculaire prise de parole d’Afro-descendant·e·s et l’éclosion de mouvements militants, tels Finkapé, dénonçant le racisme systémique attribué aux antécédents coloniaux du pays. Pour autant, hier comme aujourd’hui, il n’y a pas eu de débat sur la restitution d’éventuels biens africains. Cela tient sans doute au fait que toutes les pièces de l’inventaire n’ont jamais été montrées au public. Car l’intérêt est là.

Artiste et membre de l’association Finkapé, Jennifer Lopes Santos souligne l’importance d’accéder au patrimoine de ses ancêtres, pour pouvoir retracer son histoire et son identité, afin de pouvoir les transmettre aux générations suivantes. „A mes yeux, un être humain dépourvu de la majorité de son histoire et ne gardant en mémoire que les atrocités de l’époque de l’esclavage et coloniale aura beaucoup de difficultés de s’en libérer, d’en guérir et de se réapproprier sa vie et son avenir par la suite.“

La restitution est dans l’intérêt des personnes vivant en Afrique, qui n’ont pas les facilités administratives, quand ce n’est pas éconimique; d’accéder à ces collections présentes dans les grands musées européens. Mais elle sert aussi aux Afro-descendant·e·s du Luxembourg. „Cette coupure avec la richesse culturelle de ses origines laisse place à des questionnements internes et externes. Ceux qu’on se pose tout le long de notre développement et ceux qui nous sont posés quasi tous les jours et nous défient sur notre légitimité ‚d’être’“, constate-t-elle.

Jennifer Lopes Santos
Jennifer Lopes Santos Photo: Jennifer Lopes Santos

Jennifer Lopes Santos estime qu’il ne faut pas négliger le „plancher de verre“ sur lequel on tient debout et „qui menace de rompre à tout moment“, lequel est tout aussi redoutable que le plus connu plafond de verre qui empêche l’ascension sociale. „Lorsqu’on se trouve dépossédé de ses origines, on est amené à se contenter de s’identifier par ce qui nous entoure. Lorsque cette tentative d’identification est remise en question constamment, on risque de se perdre dans cette course effrénée de suradaptation et de surpassement pour être accepté et correspondre aux exigences extérieures.“ Son travail artistique est directement le fruit de cette situation. „Je décompose pour comprendre, je trie, j’analyse, je nettoie en enlevant le superflu, puis je répare et rassemble. Tel un rituel de guérison.“

Un être humain dépourvu de la majorité de son histoire et ne gardant en mémoire que les atrocités de l’époque de l’esclavage et coloniale aura beaucoup de difficultés de s’en libérer, d’en guérir et de se réapproprier sa vie et son avenir par la suite

Jennifer Lopes Santos, artiste et membre de Finkapé

Nouveaux publics, nouveaux artistes

Au-delà de la restitution, la numérisation et l’accès au plus grand nombre de ces biens africains nichés dans les collections de musées peuvent avoir pour effet de faire émerger un nouveau regard sur ces collections, aussi bien de la part des musées et de leur public que des Afro-descendant·e·s. 

L’alternative à la restitution, c’est la conservation accompagnée d’une remise en contexte pour s’assurer que l’œuvre soit bien comprise, chaque fois qu’elle est exposée. L’exposition que le MNHA présentera en 2022 sur le colonialisme intègrera aussi le regard africain sur le sujet. La majeure partie des objets seront des objets luxembourgeois fabriqués en Europe mais véhiculant des clichés colonialistes, à côté de quelques objets rapportés d’Afrique et qui proviendront sans doute du musée de Tervuren. „Il faut expliquer que l’esprit de l’époque était bourré de préjugés, clichés racistes. Je ne suis pas partisan de ne plus rien montrer. Il faut mettre en contexte et expliquer quelque chose qui fait partie de l’histoire, et donner les clés de lecture et d’explication aux visiteurs“, observe Régis Moes.

Le guide des musées allemands insiste aussi sur l’intérêt des musées à mener de tels travaux d’inventaire; susceptibles non seulement de mettre au jour des éléments historiques surprenants et de susciter une prise de conscience et un changement de mentalité du grand public, du monde scientifique et des musées, mais aussi d’ouvrir le musée à de nouveaux groupes cibles.

Un autre moyen d’attirer les Afro-descendant·e·s vers les musées est aussi de remettre en valeur leur héritage culturel et l’influence de l’Afrique sur l’art occidental, selon Jennifer Lopes Santos. „Historiquement la présence noire a toujours été limitée à son corps (…). Hors le savoir-faire, l’ingéniosité et l’ADN de l’art brut et l’art contemporain provenant d’Afrique a une grande influence dans la culture occidentale“, dit-elle en référence au cubisme et aux œuvres de Picasso inspirées de masques africains.“

De même, il s’agit de mettre plus d’artistes afro-descendant·e·s au programme des musées, affirme cette dernière. „Afin que nos œuvres soient portées et racontées par nous-mêmes et non d’un point de vue euro-centré, comme c’est trop souvent le cas et comme c’est d’ailleurs encore le cas concernant le patrimoine africain.“

jemp
5. Juli 2020 - 10.52

Wie ist es mit der weiteren Aufarbeitung der Kolonialgeschichte? Insbesondere der Tatsache daß über den Kongo die Exilregierung Bech 1940-45 finanziert wurde. Damals 32 Millionen Franken. War noch Geld.

Nomi
4. Juli 2020 - 17.14

""Restitution de biens africains"" Awer nemmen wann di Konschtwierker proper an virun allem secher Ennerdaach kommen !