ExpoLa construction d’un rêve: Cézanne et les maîtres

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Paul Cezanne, „La Montagne Sainte-Victoire“, vers 1890, huile sur toile, 65 x 95,2 cm,  Paris, musée d’Orsay, donation de la petite-fille d’Auguste Pellerin, 1969  Photo: RMN-Grand Palais (musée d'Orsay)/Hervé Lewandowski

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Eclairer l’œuvre de Cézanne (1839-1906) à la lumière de la peinture italienne, des grands maîtres dont il s’est inspiré, pour ensuite montrer comment la peinture même de Cézanne a également influencé les peintres italiens des générations suivantes, tel est le thème de cette exposition, riche et remarquablement documentée. Forte de toiles de Cézanne rarement vues, elle convoque également les œuvres de Tintoret, Bassano, Le Greco, Giordano, Rosa, Munari, mais aussi celles des modernes comme Sironi, Pirandello, Morandi et d’autres.

D’emblée les comparaisons, les résonances s’installent. Et pour ce faire, les toiles de Cézanne côtoient celles d’autres maîtres, pour en dénicher les inspirations, des inspirations que Cézanne fait siennes avec l’aisance de la simplification et d’une composition qui lui appartiennent, il s’en émancipe aussitôt. Le langage cézannien, empreint des volumes des Italiens, mais aussi des tourments d’un Delacroix, de la force d’un Courbet, ouvre une voie inédite, on le constate dès les premiers tableaux. Il y a bien sûr au début des touches impressionnistes mais Cézanne, bien qu’il cherche à perpétuer l’apport impressionniste, à la différence de Monet, désire le retour à un art construit. Les compositions sont bien établies. Cézanne, qui n’aura pas séjourné en Italie, apprend ses classiques au musée, le Louvre en particulier.

Une vibration qui se déploie de facettes en facettes

Dans sa jeunesse, Cézanne peint des toiles violentes, meurtre et passion y sont représentés. Ici, les correspondances, expliquées par des commentaires en regard des œuvres, nous montrent des obliques structurant l’espace de la même façon chez Tintoret pour „La Descente de croix“ (1580) et chez Cézanne avec „La Femme étranglée“ (entre 1875 et 1876). La force et la violence du traitement de certains personnages sont renforcées par le relâchement d’autres corps. Parfois l’emprunt s’impose, comme pour le „Portrait de jeune fille“ du Greco et „D’après le Greco, La Femme à l’hermine“ (1885-1886) de Cézanne.

Mais cet emprunt prend le large, la touche cézanienne s’en empare pour aller ailleurs, les contours de la femme, sa coiffe, semblent se mêler au fond, célébrant déjà cette harmonie que nous retrouverons lorsque les figures cézaniennes se fondront dans la nature. Tout alors semble s’équivaloir, figure, rocher, pierre, arbres, dans la retranscription de la sensation en matière.

Autre parenté, celle des œuvres de Jean-François Millet, dit Francisque Millet, „Paysage classique“ (XVIIe siècle) et „La Montagne Sainte-Victoire“ (vers 1890) de Cézanne. Francisque Millet, inspiré par le classicisme de Poussin, pose les éléments d’un paysage idéalisé, une Arcadie heureuse. Les configurations du tableau sont proches chez Cézanne, jusqu’à l’arbre au tronc incliné, au premier plan, qui par sa frondaison, ouvre l’espace du paysage, tableau où l’air et la lumière enveloppent la vision de leur vibration. Une vibration qui se déploie de facettes en facettes, jusqu’à la montagne, jusqu’au ciel. Mais la montagne est vue de loin, construite dans un plan large, nous n’avons pas encore affaire à sa matière, à son détail, comme par la suite.

Auparavant, lui aussi inspiré par Poussin, dans l’esprit d’une nature originelle, „Pastorale“ (1870) de Cézanne met en scène des figures solides et sensuelles, esquissées, comme en écho au déjeuner sur l’herbe de Manet. Ces figures féminines, d’une blancheur marmoréenne, semblent d’un autre monde. Les couleurs sombres ajoutent au drame.

Ailleurs, la lumière, la couleur, la construction, gagnent l’espace. Malgré les touches de plus en plus larges, les objets, les formes ne se dissolvent pas ‒ „traiter la nature par la sphère, le cylindre, le cône, le tout mis en perspective, que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central“, écrivait Cézanne.

L’ordre classique italien

Les natures mortes de Cézanne sont composées d’objets équivalents qui se rejoignent dans des arrangements inventés. Les volumes des objets se définissent par ceux qui les entourent et la couleur achève de leur donner forme. Rainer Maria Rilke écrit à ce propos dans ses „Lettres sur Cézanne“: „Paysage ou nature morte, il s’attardait consciencieusement devant son sujet, mais ne se l’appropriait jamais qu’après d’infinis détours. Commençant par la tonalité la plus sombre, il en recouvrait la profondeur d’une couche de couleur qu’il faisait déborder un peu au-delà et, déployant ainsi couleur sur couleur, il arrivait progressivement à un autre élément du tableau.“

On sait Cézanne précurseur du post-impressionnisme et du cubisme. L’exposition décline son influence du côté des peintres italiens. Les influences sont patentes et là aussi il s’agit d’une appropriation du vocabulaire cézannien pour aller plus loin et s’en affranchir. Citons les exemples, entre autres, de Mario Sironi et Giorgio Morandi. Mario Sironi poursuit la tradition cézanienne par un nouvel art italien basé sur un ordre classique, et il est étonnant de constater combien, par la pose, l’absence de regard, celui-ci comme hors de l’espace de la toile, les œuvres, „Portrait du frère Ettore“ (vers 1910) et l’„Homme assis“ (1905-1906) de Paul Cézanne, résonnent entre elles.

Magistrales, les toiles de Morandi, dépouillées à l’extrême, des natures mortes d’un silence poétique inouï, empruntent à Cézanne les variations de lumière sur des objets du quotidien qui prévalent par leurs formes – comme des ossatures mises à nu. A ce propos, il est émouvant, dans cette dernière section, de contempler une esquisse de Cézanne, „Arbres“ (vers 1900,1904). On voit l’architecture de l’arbre tourner autour de la touche qui l’habille et dresse le décor, elle le structure et l’anime.

Exposition remarquable, habile et documentée, un rêve de lumière.

Précisons, en ces temps exceptionnels de confinement, que cette exposition reprendra sitôt les consignes levées et durera au moins jusqu’au 5 juillet 2020.

Info

Musée Marmottan Monet
2, rue Louis Boilly
75016 Paris
www.marmottan.fr