L’artiste Tina GillenEn quête d’universel

L’artiste Tina Gillen / En quête d’universel
Tina Gillen pour l’exposition Windways à la galerie Nosbaum Reding en février 2019 Photo: Tania Bettega/Nosbaum Reding

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Dans la salle d’armes de l’Arsenal de Venise, Tina Gillen trouvera en 2021 un nouveau cadre pour déployer une peinture avide d’espaces et de nouvelles dimensions. 

En 2010, c’eût constitué une charge mentale importante avec deux jumelles d’un an sur les bras. En 2015, son travail pictural se serait sans doute senti trop à l’étroit dans la Casa. Avec le recul, sa nomination, à la troisième tentative,  pour représenter le Luxembourg à la Biennale de Venise, tombe finalement à point nommé pour Tina Gillen. Son travail est arrivé à maturité, ce moment où le lien entre chaque pas franchi, chaque positionnement artistique paraît tout à coup évident. Leur succession constitue les souvenirs d’un necessary journey (un voyage nécessaire), le titre de la monographie qui lui est consacrée en 2009. „Ce sont des étapes nécessaires pour mon développement en tant que peintre, qu’artiste, des étapes où je me suis focalisée sur la perception, la collecte et la mémoire des images, où j’ai trouvé une relation entre une certaine universalité de l’image collective vis-à-vis d’une impression subjective.“  

Avide d’espaces

La peinture est un medium assez lent. Dans la gestation, dans la production comme dans la contemplation. Autant dire que le jury a fait un choix audacieux, en remettant à l’honneur la peinture dans un pavillon luxembourgeois qui l’avait délaissée au profit d’arts plastiques plus directement accessibles et plus aptes à diffuser l’idée d’un pays dynamique. 

Le travail de Tina Gillen est néanmoins iconoclaste et s’évertue à pousser les murs. Elle emprunte le chemin inverse à celui de beaucoup d’artistes. Elle emprunte depuis toujours la voie de la photographie et du film pour revenir dans la peinture. C’était déjà le cas en 1996, à la fin de ses études en Autriche, quand elle peignit vingt-quatre pavillons de la banlieue de Vienne (six par saison). La série figurait en bonne place dans la première monographie luxembourgeoise qui lui fut consacrée en 2012. C’était au Mudam et les visiteurs étaient invités à intervenir les tableaux s’ils le voulaient bien. 

Cette exposition du Mudam fut aussi la première où elle a pu faire passer son travail dans une nouvelle dimension, une troisième dimension. Le mur n’est plus celui sur lequel on accroche mais un support. Et la salle d’exposition un lieu dans lequel développer une scénographie sur mesure, par laquelle par laquelle les oeuvres communqiuent, s’enrichissent ou se font écho. Ces nouveaux espaces à défricher lui permettent aussi de déployer son style, marqué par une schématisation, une stylisation qui s’opère, et la tendance à voir  la picturalité comme une architecture, „une image construite mais qu’on peut déconstruire et reconstruire dans une tridimensionnalité“.

Au MUDAM, elle habille alors sa salle d’exposition d’une toile gigantesque de 22 sur 4 mètres, autour de laquelle se déploie l’exposition. L’œuvre s’appelle Monkey Cage et s’inspire de la pratique précinématographique du diorama. 

Le projet qu’elle avait bâti pour sa candidature à la Biennale de Venise de 2015 lui a indirectement permis de se confronter une nouvelle fois avec sa soif des grands espaces. Ce projet connut son prolongement dans l’exposition Echoes au Bozar de Bruxelles. Ces deux expériences dans de vastes espaces lui font appréhender avec sérénité la future installation dans la „sala d’armi“ de l’Arsenal dans laquelle le Luxembourg a élu pavillon jusqu’en 2037. 

Un monde qui change

Le point de départ est formé des œuvres des cinq dernières années dont la thématique des Windways, du nom de sa dernière de neuf expositions dans la galerie Nosbaum Reding qui l’accompagne depuis 2001. La  série de tableaux et d’œuvres sur papier renvoyaient aux changements climatiques qui affectent la planète. De nouvelles pièces seront développées avec un questionnement central sur l’écologie, de laquelle la période du coronavirus ne risque pas de détourner le regard. „J’ai l’impression que je suis en plein milieu, que les choses que j’avais prévues se réalisent, les questions se concrétisent encore plus, comme une certaine défamiliarisation par rapport à notre environnement et une déconnexion qui, bizarrement, vient avec l’afflux d’informations. Plus on en reçoit, plus on se sent mis à l’écart de la vérité. On doit chercher des choses en nous-mêmes.“

Tina Gillen espère également que cette période d’incertitude pourra déboucher sur un élément collectif, qui empêche tout retour en arrière, à une normale. La séquence a mis à jour l’échec des politiques. „La politique et l’économie jouent un rôle dans beaucoup de choix, tandis que d’autres choses plus importantes humainement sont mises de côté.“ C’est son expérience directe qui parle. Elle est installée en Belgique depuis 1996, quand elle est venue à Anvers pour suivre des études artistiques post-universitaires. C’est là qu’elle a fait des rencontres artistiques capitales, notamment avec des personnes qui sont aujourd’hui des collègues enseignants à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers. C’est de là qu’elle observe les changements dans l’art. „Le fait d’être en contact avec des aspirants artistes ou jeunes étudiants, permet de se remettre soi-même beaucoup plus en question. On suit à la lettre l’actualité et les changements culturels. Le milieu artistique est en changement constant. Je vois les intérêts des jeunes aujourd’hui, totalement différents à ma réalité quand j’étais étudiante. Et là ça va encore beaucoup changer.“ 

A l’heure de mettre en valeur le chemin parcouru, Tina Gillen entend bien contribuer par son art à transformer les regards, prodiguer un repos intérieur qui renouvelle la vision d’ensemble. „Il y a un échange entre la vision intérieure, (l’imaginaire, la mémoire, l’intuition, le processus de création) et l’extérieur, à savoir tout ce qui est visible et est projeté dessus. On doit faire un choix qui nous correspond. Il peut arriver qu’un spectateur qui voit mon travail obtienne une nouvelle conscience de l’extérieur, de sa propre pensée, de son être.“

Tina Gillen, Windways, 2018,  Acrylic on paper
Tina Gillen, Windways, 2018, Acrylic on paper Photo: Nosbaum Reding