Point de vueUne application pour tracer le virus responsable du Covid-19: Une fausse „bonne idée“?

Point de vue / Une application pour tracer le virus responsable du Covid-19: Une fausse „bonne idée“?
 Photo: AFP

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On assiste actuellement à un engouement pour des applications qui, une fois installées sur nos portables, permettraient de circonscrire et de confiner l’action d’un virus, dont l’action tyrannique et dangereuse a causé de graves conséquences en termes de santé publique. 

Ce virus a réussi à montrer en quelques semaines combien la vie des êtres humains, le vivre ensemble sont fragiles, combien chacun est tributaire d’un raisonnable et respectueux rapport à son environnement, combien nous avons besoin de gouvernements en qui nous pouvons avoir confiance, car ils ont le souci de l’intérêt général. Qu’aurait été la situation dans notre pays si le gouvernement, avec le soutien de notre parlement, n’avait pas pris en mains les rênes pour organiser dans l’urgence la réponse à cette pandémie? 

Les conséquences de la pandémie ont été nombreuses: il y a eu les drames et tragédies individuelles, les mesures limitant temporairement les droits humains pour répondre à des impératifs sanitaires, la mise en veille de notre économie. Cette crise a servi de loupe pour montrer combien les personnes, déjà victimes d’injustices, ont été le plus lourdement touchées. Les pays pauvres seront plus sévèrement impactés: on peut voir comment des gouvernements qui sont peu attachés au respect des lois et droits fondamentaux utilisent cette crise pour prendre des mesures qui auront des effets dans le moyen et le long terme en fragilisant encore un peu plus la démocratie.

La prise en compte des droits humains …

Les applications dont il est question devraient permettre d’identifier comment chacun de nous a pu être contaminé ou a risqué de l’être par le virus du Covid-19 et le cas échéant de retracer à qui nous avons pu transmettre ce virus. De telles applications font l’objet de nombreuses recherches et elles existent déjà dans un certain nombre de pays, mais avec des objectifs souvent très intrusifs. Ainsi la Chine a construit depuis des années une impressionnante toile de prises de renseignements, qui parvient ainsi à contrôler tous les déplacements, la façon de vivre, les choix de ses citoyens. En Israël ce sont les services de contre-espionnage qui ont maintenant en charge de surveiller la population pour enrayer la diffusion du Covid-19. Sont utilisés les mêmes instruments qui servent à se défendre contre les actes terroristes et il est communément admis qu’ils sont peu respectueux des droits humains. Les autorités en Corée du Sud peuvent suivre les déplacements de personnes malades en interconnectant les informations qu’elles obtiennent par des caméras de vidéosurveillance, des cartes de crédit et des téléphones portables. L’envahissement et les transgressions que représentent ces formes de contrôle nous rappellent ce que George Orwell écrivait dans son livre „1984“.

Mais nous ne sommes ni en Chine, en Corée du Sud, ni en Israël. Voyons ce que pensent les créateurs de ces applications et ceux qui souhaitent leur utilisation en Europe. Ils mettent tous en avant que l’utilisation de ces méthodes de traçage doivent accorder une large place au respect des droits humains, comme le droit à la vie privée, la protection des données personnelles, les valeurs de la transparence et du libre arbitre. Cette référence aux droits et libertés fondamentales est rassurante, impressionnante et parfois aussi inhabituelle. Mais analysons de plus près ce qui est avancé.

– Ainsi est-il question que l’utilisation devra être volontaire et découlerait d’un consentement libre. Pour la petite histoire je voudrais citer l’alliance annoncée le 10 avril, opportuniste s’il en est, entre Google et Apple, qui ont déjà trouvé leur façon de penser le libre arbitre: pour eux ils envisagent que cette application serait chargée automatiquement à l’occasion d’une mise à jour et chaque utilisateur se verrait ensuite interrogé s’il désire l’utiliser ou pas. Mais il est question en Europe de veiller au bon grain et les critères pour solliciter le libre arbitre seront autrement plus clairs.

– La non-utilisation de cette application n’aurait aucune conséquence: si le tout un chacun a le droit de décider de l’utiliser, il pourra refuser de l’utiliser. Je me pose la question quant à savoir ce qu’il en sera si un patron d’une entreprise contraint ses ouvriers ou employés à l’utiliser. J’imagine les personnes qui ne se sentiront pas en mesure de réclamer leur droit au libre consentement, compte retenu des liens de dépendance existants.

– Les utilisateurs de l’application restent anonymes, ils ne pourront pas être reconnus par rapport à leur identité personnelle, mais uniquement par un code généré aléatoirement dans leur portable et renouvelé régulièrement. On conçoit que si une personne vient à être diagnostiquée positive, un message est envoyé à toutes les personnes qui ont eu un contact avec elle et celles-ci sont alors priées de se soumettre à un test pour vérifier s’il y a eu contamination ou pas.

– Il est question que tout traitement de données personnelles cesserait à la fin de cette crise pandémique et que toutes les données recueillies seraient effacées. Certains voient les choses différemment et pensent qu’il serait toujours possible de garder cette application, le cas échéant dormante, en cas d’autres pandémies ou catastrophes.

– Une question centrale est celle de savoir où seront conservées les données et quelles seront les protections mises en place durant leur utilisation? Un serveur qui centralisera toutes les données est à exclure alors qu’une architecture décentralisée assurera une meilleure protection des données sensibles.

Un monde où règne la confiance …?

Pour que cette stratégie fonctionne, il faudrait créer une sorte d’alliance de confiance qui aboutirait à une utilisation massive de cette application et qui comprendrait alors plusieurs millions de personnes. On estime à au moins 20% les personnes qui n’ont pas de portable, qui ne savent pas comment utiliser cette application. La stratégie se fonderait ensuite sur une approche globale qui impliquerait tous les pays de l’Union européenne ou du moins un grand nombre de pays. Ce qui en l’état actuel n’est pas évident: la Commission européenne est chroniquement impuissante dans sa capacité à fédérer des actions communes et cela depuis des années et on se demande bien comment un consensus, un partage pourront être trouvés. La question est aussi sur base de quel instrument juridique il sera possible d’encadrer ce traitement.

Il reste encore des questions techniques qui, à ce jour, n’ont pas trouvé de réponses, comme celle du choix de l’application. La Commission parle de la nécessité de trouver une application unique valable pour les pays de l’Union européenne qui voudront adhérer à cette démarche ou du moins d’avoir des systèmes „interopérables“.

La technologie Bluetooth qui sera utilisée n’a pas été conçue pour mesurer des distances et l’instrument est imprécis. Elle risque aussi de donner de fausses alertes dans certaines conditions. Puis il y a aussi des limites qui sont liées à la méthode de dépistage employée. Dans un article signé par Martin Untersinger et publié le 15 avril dans Le Monde, il est fait état des conclusions que tirait Jason Bay, qui a fait le suivi d’une telle application à Singapour: pour lui il est clair que le système de suivi des contacts numériques est insuffisant à lui seul et ne remplace pas le suivi des contacts traditionnels.

Cela correspond aussi à l’opinion de Simon Cauchemez, épidémiologiste à l’Institut Pasteur qui, lors de son intervention devant la commission des lois au Parlement français, disait qu’„il faudra faire intervenir des personnes sur le terrain afin de mener le travail d’investigation“ pour rechercher les personnes en danger de contamination, car l’application sur le téléphone n’est pas suffisante.

Et il ne faut pas exclure que ces applications aient aussi des failles. Certaines ont déjà été repérées dans les systèmes étudiés en France. Le cryptographe Serge Vaudenay, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, estime possible l’identification des personnes malades par les personnes avec lesquelles elles ont été en contact. Il serait aussi possible que des férus d’informatique réussissent à détecter l’identifiant émis par le téléphone d’une personne pour savoir si cette personne a été diagnostiquée positive au Covid-19. Il reste à voir dans quelles mesures toutes ces faiblesses vont trouver une solution.

La confiance se mérite, elle ne s’ordonne pas …

Pour conclure, je partage les réticences exprimées à diverses reprises par notre premier ministre, Monsieur Xavier Bettel, et notre ministre de la Santé, Madame Paulette Lenert, en la matière.

Reste à voir quelles sont les perspectives pour notre pays compte tenu aussi de sa géographie qui fait que nous sommes entourés de trois voisins qui risquent chacun pour eux de trouver „leur“ solution et j’ai des doutes quant à leur compatibilité. La faisabilité en termes de droits humains se mesurera à quatre critères: comment seront sauvegardées les informations, comment se mettra en place et quelles sont les garanties pour assurer le volontariat pour participer à cette méthode de traçage, l’anonymisation des données, la limitation dans le temps, …

Je suis engagé dans la défense des droits humains. Ceux-ci servent de boussole pour pouvoir se repérer, donner une orientation et une âme: cette boussole est très sensible, mais elle a appris à travailler dans des situations critiques. Dans ce cas-ci elle n’arrive pas bien à retrouver son nord. J’ai fait le choix de m’inspirer de cette boussole et je ressens une grande méfiance due pour une partie aux limites de la technologie employée, aux ratés que peut comprendre la détection des personnes malades et aussi et surtout en ce qui concerne les abus dans la gestion, la maîtrise des données et donc du respect des droits et libertés fondamentales. Je ne veux pas de „StopCovid Analytica“ à l’image de ce que fut le scandale du „Cambridge Analytica“ et pour cela il faut veiller à stopper l’intrusion par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Je ne vous cache pas combien j’ai été surpris, il y a quelques mois, en constatant la légèreté et la négligence avec laquelle nos autorités judiciaires, les forces de l’ordre et les administrations ont géré sur des années une multitude de fichiers qui comprenaient plusieurs centaines de milliers d’inscriptions. Je me suis imposé une grande prudence, même une méfiance.

Bien qu’européen, et profondément convaincu de ses valeurs, j’ai des doutes quant à la capacité de l’Union européenne à développer une stratégie commune et collective qui puisse assurer à ses citoyens un cadre qui ne soit pas attentatoire aux droits humains. Je me pose aussi des questions pourquoi la Commission européenne dans le passé n’a pas fait entendre sa voix, créé des digues pour freiner, voire s’opposer au traçage dans pleins de domaines de notre vie privée, pour contrer l’utilisation abusive de données personnelles, à travers par exemple les réseaux sociaux. Son impuissance a été bouleversante.

Et donc il ne suffit pas de faire appel à la bonne volonté et au sens de responsabilité des citoyennes et citoyens européens quand on pense en avoir besoin. La confiance se mérite et s’acquiert, elle met du temps pour ensuite … s’installer dans la durée.

*L’auteur est psychologue, président de la Commission consultative des droits de l’Homme

Lucilinburhuc
29. April 2020 - 11.17

Toutes ces belles phrases dans la langue de Molière... Des symptôme d'un peuple qui refuse à toute solution / changement et qui refuse un monde en perpétuelle accélération. RIP

Grober J-P.
28. April 2020 - 13.57

On a quand-même le droit de refuser cette fouteuse de trouble antivirale !?? Tout est dit lorsqu’on connaît les initiateurs. Braves gens ne vous laissez pas faire.